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L’interview

Fabienne Goux-Baudiment : « Le “second age de la machine” concernera tous les metiers »

L’interview | publié le : 12.04.2016 | Pauline Rabilloux

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Fabienne Goux-Baudiment : « Le “second age de la machine” concernera tous les metiers »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Avec la robotisation de tâches de plus en plus complexes, l’inquiétude monte. Et il ne faut pas se voiler la face, l’automatisation de très nombreux métiers devient inéluctable. Il faudra bien d’une manière ou d’une autre envisager la question de la subsistance économique et occupationnelle des ex-travailleurs.

E & C : La concurrence des robots et des hommes dans le champ du travail n’est pas nouvelle, mais la problématique semble cependant n’être apparue que récemment, pourquoi ?

Fabienne Goux-Baudiment : La science-fiction a paradoxalement contribué à occulter la question de l’automatisation dans le champ social, notamment dans celui du travail, comme si la forme littéraire ou cinématographique avait relégué la question de la robotisation dans le champ de la fiction, alors que de nombreux ouvrages ou films de ce genre sont au contraire fondés sur des hypothèses scientifiques sérieuses et très bien documentées. Ce n’est pas parce que l’imagination s’en est emparée que le problème ne se pose pas dans le réel, avec notamment des conséquences lourdes sur les perspectives d’emploi dès aujourd’hui et, a fortiori, encore plus à l’avenir. Le livre d’Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee(1) semble avoir servi de révélateur.

Les travailleurs doivent-ils craindre les robots ?

Je ne sais pas s’ils doivent les craindre, parce que ceux-ci leur facilitent aussi souvent la tâche, mais, en tout cas, ils doivent envisager sérieusement la question de leur disqualification comparative quand la quasi-totalité des emplois peut dès aujourd’hui être partiellement ou totalement assumée par des machines. Il y a évidemment sur ce sujet une convergence entre le désir des hommes et les progrès de la robotique. Les tâches que les hommes n’aiment pas faire peuvent être accomplies par les machines. Celles-ci peuvent, dans la plupart des cas, prendre le relais des tâches physiquement pénibles, emplois de manutention ou emplois répétitifs. Elles sont souvent conçues pour cela et le font déjà en partie. Toute la question étant de savoir quand les machines le feront de manière si systématique que ces emplois disparaîtront de la liste des métiers exercés par les hommes.

Cela fait près d’un siècle que l’industrie fonctionne avec des automates : chaînes de montage, par exemple, à l’ère du taylorisme, puis robots de production programmés pour effectuer une partie des tâches industrielles de manière complètement autonome. Aujourd’hui, les robots physiques ont gagné le domaine des services dans les pays ayant accepté cette évolution. On les voit au Japon, par exemple, tenir un certain nombre d’emplois de service éventuellement sous forme d’humanoïdes. Le travailleur humain peut parfois travailler au coude à coude avec une machine qui fait la même activité que lui ou l’assiste dans sa tâche. Non plus un collègue mais un “cobot”, selon le néologisme inventé pour décrire cette situation. Mais ce compagnonnage ne se limite pas aux métiers peu qualifiés. Les robots chirurgiens donnent l’exemple d’une symbiose de haut niveau entre les compétences de la machine et celles des hommes.

Cependant, en dehors des robots physiques, les processus automatisés couvrent toute la gamme allant des algorithmes à l’intelligence artificielle en passant par les systèmes experts. Au niveau “cellulaire”, pour prendre une métaphore biologique, les algorithmes assument pour nous plus rapidement et sans erreur toutes les tâches de calcul et de compilation chronophages. C’est par exemple la plupart des tâches que nous demandons à nos calculatrices ou à nos ordinateurs. Au plan “organique”, les systèmes experts sont capables de combiner les équations pour obtenir des résultats sophistiqués avec un relatif degré d’autonomie pour relancer le travail en cas d’anicroche : à ce niveau, on peut songer à nos recherches sur un moteur de recherche. Au stade ultime, l’intelligence artificielle fonctionne comme un cerveau susceptible d’apprendre de ses erreurs, d’intégrer la conscience de soi et d’acquérir une large marge d’autonomie, comparable à celle d’une espèce vivante. Si l’on cumule robots physiques et intelligence artificielle, tous les emplois sont aujourd’hui à un titre ou à un autre ou seront à brève échéance impactés par ce « second âge de la machine ». Le premier correspondant à l’ère industrielle, qui démarra avec la machine à vapeur.

Quelles sont les conséquences sur le travail ?

Pour envisager les conséquences du progrès technologique sur le travail, il faut préciser le sens du mot travail. Celui-ci recouvre trois aspects. Un aspect hiérarchique, un aspect métier et un aspect rémunération. Les aspects hiérarchiques et métier tendent aujourd’hui à s’estomper. Le travail en mode projet et le travail collaboratif ont déjà fortement entamé la perception de l’entreprise comme un ordre social où les uns seraient soumis aux autres. Les salariés à leurs chefs, eux-mêmes soumis à de plus grands chefs. L’aspect métier tend à être de moins en moins prévalent, justement du fait de l’assistance robotique et numérique. La machine, à terme, prendra en charge l’aspect métier y compris pour les métiers qualifiés. Dès aujourd’hui, 40 % des analyses financières, par exemple, peuvent déjà être générées automatiquement à une vitesse inégalable par des journalistes et pour un coût marginal qui tend vers zéro.

L’aspect rémunération, en revanche, demeure tout à fait essentiel, puisque, sauf à voir des millions d’ex-travailleurs réduits à la misère, il faudra bien d’une manière ou d’une autre envisager la question économique et occupationnelle de leur subsistance. À long terme, le revenu universel semble incontournable. Toute la question sera de mettre en place un modèle économique qui permette de le financer. La solution qui semble aujourd’hui la plus raisonnable consisterait à mettre à contribution les entreprises qui, grâce à l’automatisation, pourront produire à une cadence exponentiellement augmentée pour des coûts de production quasi nuls.

Cependant, le fossé semble se creuser entre ce qui à l’avenir serait souhaitable et la réalité actuelle. Aujourd’hui, l’humain est en concurrence directe avec la machine. Si le coût du travail augmente, les entreprises, dans un système d’économie globalisée, n’ont pas d’autre choix que d’automatiser le travail pour en diminuer le coût et survivre. Il est donc indispensable de favoriser leur compétitivité pour espérer générer la croissance qui leur permettra d’anticiper l’automatisation massive à venir. Tout d’abord en assurant le maximum de reconversions pour éviter de faire grimper le chômage vers des taux exorbitants. Puis en travaillant avec les gouvernements afin de mettre en place un système de revenu pour tous. Concernant la suite, nous n’avons pas d’autre alternative que de faire confiance à l’intelligence des décideurs de demain. L’important étant, pour aujourd’hui, d’arrêter de se voiler la face et de prendre conscience du problème : anticiper pour subir le moins possible.

Fabienne Goux-Baudiment prospectiviste

Parcours

> Fabienne Goux-Baudiment est professeure associée en prospective et innovation à l’Institut des sciences et des techniques de l’ingénieur (Istia) à Angers. Elle préside la Société française de prospective (2013-2016).

> Elle est directrice de ProGective, bureau d’étude, de recherche et de conseil en prospective. Elle est également membre de la section Prospective du CESE régional d’Ile-de-France.

Lectures

Le Jour où mon robot m’aimera, Serge Tisseron, Albin Michel, 2015.

Le Deuxième Âge de la machine, Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, Odile Jacob, 2015.

(1) Le Deuxième Âge de la machine, Odile Jacob, 2015.

Auteur

  • Pauline Rabilloux