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Motivation : Anticiper et gérer un bore-out dans l’équipe

Les clés | publié le : 12.04.2016 | Marie-Madeleine Sève

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Motivation : Anticiper et gérer un bore-out dans l’équipe

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Tel ou tel salarié s’étiole à son poste ; plusieurs au bureau ou dans l’atelier s’ennuient ferme, ruminant la vacuité de leurs tâches. Pas question de laisser pourrir la situation. Le manager a intérêt à sonder les envies, imaginer des défis stimulants et revoir son organisation.

« J’en ai marre. Cela fait trois mois que je n’ai rien à faire de la journée ! » Vivant une période d’intermission au sein du bureau d’études d’une société d’ingénierie, ce jeune diplômé ne décolère pas. Certes, l’alternance de creux et de pics d’affaires est une caractéristique de ce secteur. Mais Jérôme, se sentant inutile, voire oublié, durant ce temps libre forcé, cherche à partir. Il s’ennuie et ne le supporte plus. La faute, pour partie, à son manager, qui aurait pu se démener pour occuper ces gens. « Dans ces métiers de conseil habitués au yo-yo d’activité, la hiérarchie propose souvent aux consultants en attente de contrats de réaliser des “missions blanches”. C’est-à-dire d’imaginer les futurs besoins des clients et de plancher dessus, précise Jean-Michel Rolland, coach et directeur de la formation à l’Isen. Du coup, le jour où la situation se présente, l’équipe a gagné du temps. » Un bénéfice qui a manifestement échappé au n + 1 !

Comme Jérôme, ils seraient nombreux à souffrir de bore-out en entreprise. Un mal dont les symptômes et les effets sont similaires à ceux du burn-out (épuisement professionnel), mais qui trouve sa source dans le désœuvrement, les tâches répétitives et le désintérêt pour son travail. L’ennui génère alors du découragement, une perte d’estime de soi et un état dépressif. Christian Bourion, économiste et professeur à l’ICN Business School Metz-Nancy, qui a réalisé une étude sur le sujet(1), estime à 30 % la part des salariés touchés par le chômage partiel ou total à leur poste. Les causes ? Elles sont diverses : l’individu travaille plus vite que les autres ou, à l’inverse, manque de compétences ; il est surqualifié pour la fonction, ou bien il y opère depuis si longtemps que la routine le mine ; il se mortifie à la fin d’un projet en espérant le suivant ; il subit des fusions de services et se retrouve “placardisé” le temps que l’horizon se dégage.

« En soi, l’ennui n’est pas pathogène, explique Dominique Lhuillier, professeure en psychologie du travail au Cnam(2). Les salariés trouvent des stratégies pour compenser le vide, mais à la longue, ils ont le sentiment d’occuper une place socialement inutile et ils en ressentent de la honte, incapables de se remobiliser pour eux-mêmes. » Le sujet est donc tabou pour les intéressés, mais aussi pour les DRH et les managers qui, officiellement, emploient des gens productifs.

Rester attentif aux insatisfactions

À son niveau, le n + 1 peut toutefois participer à pallier un bore-out rampant. Dans les entités au business en accordéon – SSII, cabinets de conseil, industries, etc. – la sous-activité peut s’anticiper. Ainsi, Xavier Nast, responsable études et développements chez EFFBE à Habsheim (100 salariés sur ce site du Haut-Rhin, composants flexibles en composite, groupe Woco) pratique la politique du fil rouge : une tâche non urgente qui peut être délaissée et reprise à tout moment. « J’ai confié à chacun de mes cinq collaborateurs une machine spéciale à concevoir en période de creux, soit pendant deux mois 2 à 3 fois par an, expose-t-il. Des outils qui, une fois finalisés, seront mis en route dans les ateliers. »

Dans les autres cas, les coachs préconisent de rester attentifs aux insatisfactions latentes. Le plus simple consiste à mener régulièrement des entretiens en tête à tête avec ses collaborateurs, pour repérer les points de blocage et les envies. Gilles Charpenel, dirigeant du cabinet Implica et auteur du Plaisir, nouvel enjeu du management (Maxima, 2015), liste cinq ressorts clés de la motivation : l’intérêt aux tâches, une bonne ambiance, la prise de (petits) risques, la sécurité qui procure la sérénité et le sentiment de fierté. Autant de ressorts à retendre pour désennuyer le collaborateur. « On peut lui proposer, selon ses inclinations, d’animer une présentation chez des clients, d’intervenir à un congrès, de transmettre son savoir aux nouveaux entrants, un rôle tourné vers les autres qui donne du sens à l’ouvrage », poursuit cet expert.

Recombiner les talents

D’ailleurs, le système du prêt de main-d’œuvre, dont il faut prévoir la durée (article L. 8241-2 du Code du travail), peut constituer pour celui qui tourne en rond un challenge aux objectifs ambitieux et un bon moyen de se former (voir le site de rencontre pour entreprises Mobiliwork). « Le manager peut également l’aiguiller sur l’optimisation de procédés, de la qualité, le charger de la veille sur Internet, de visites chez des concurrents, cela élargira sa palette d’actions et il apprendra des choses », suggère le coach Jean-Michel Rolland. L’ennui perçu est aussi l’occasion pour le chef de repenser son organisation, en déterminant des zones de responsabilités « multi-équipes, multiproduits, multipérimètres », selon l’expression de Philippe Burger, Associé Capital Humain chez Deloitte. Et de recombiner les talents : des binômes différents peuvent redynamiser le collectif. À défaut, il faut aller voir la DRH pour envisager avec elle des mobilités internes.

(1) Auteur du Bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, Albin Michel, janvier 2016. Voir aussi son interview dans Entreprise & Carrières n° 1272, janvier 2016.

(2) Auteure de Placardisés. Des exclus dans l’entreprise, Seuil, septembre 2002.

Les conseils du coach

Valerie Moissonnier

Coach de dirigeants et fondatrice de l’Institut du Selfcoaching

–1– Repérer les signaux faibles

Généralement, le salarié cherche à cacher son oisiveté, de peur de passer pour inapte ou de se retrouver surchargé. Pourtant, certains comportements sont révélateurs. Exemple, il ne vient plus voir son n + 1 et l’évite. Il s’isole. Ou il répond laconiquement « oui, oui, ça va. », à la question « tu en es où ? » : il n’a rien entamé. Autres clignotants : l’intensification des échanges d’e-mails ou les chats, l’usage des jeux en ligne qui s’éternise, les pauses à rallonge, une arrivée tardive et un départ précoce, des absences répétées ou, à l’inverse, l’accaparement du travail du voisin… Le cumul de deux ou trois de ces facteurs, associés à la morosité et à la fatigue psychologique du n - 1 doit vous alerter.

–2– Déculpabiliser les “désœuvrés”

En prévention, mieux vaut inciter chacun à déceler son propre point de routine sur une courbe temporelle. Au cours d’une réunion ad hoc – qui remplacera la réunion de service – expliquez à vos troupes le processus de développement à un poste de travail : l’individu est d’abord dirigé, puis entraîné-formé, épaulé, et enfin lâché, car autonome. Soulignez que c’est durant cette phase 4 que la monotonie va s’installer, et qu’il est alors normal d’éprouver de la lassitude. Cela rassurera le collaborateur et l’autorisera à venir vous voir dès qu’il sentira qu’il se morfond.

–3– Faire des réunions de brainstorming

Suscitez la créativité de l’équipe au moins une fois par trimestre. Il s’agit de la pousser à s’interroger, deux heures durant, sur la façon dont les gens travaillent ensemble. Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ? Faut-il repenser les règles de communication ? Le rythme des réunions ? Les sujets abordés ? La coopération ? Cette réflexion obligera les collaborateurs à prendre du recul sur leur quotidien. Elle recréera du lien, tout en valorisant l’apport indispensable de chacun… même du plus désabusé.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève