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Développement de carrière : Entretien professionnel : des Retards au premier rendez-vous

L’enquête | publié le : 12.04.2016 | L. G.

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Développement de carrière : Entretien professionnel : des Retards au premier rendez-vous

Crédit photo L. G.

Début mars, les entreprises devaient avoir réalisé le premier rendez-vous de l’entretien professionnel créé par la réforme de la formation. Les pratiques sont encore hésitantes, et les effets n’interviendront qu’à moyen et long termes.

Cent pour cent des salariés éligibles ont-ils eu leur premier entretien professionnel début mars 2016, comme le prévoit la loi de 2014 réformant la formation professionnelle ? Impossible de formuler une réponse positive : le retard est patent, notamment dans les PME. Et illusoire d’imaginer que tous ceux qui en ont effectivement bénéficié aient été totalement séduits par son déroulement : l’exercice est complexe, et les tâtonnements fréquents. Mais il faut bien commencer et, au fil du temps, le contenu et la régularité des prochains entretiens professionnels s’amélioreront certainement. Dommage, néanmoins, que la majorité des entreprises contactées n’aient pas souhaité répondre. De même que les confédérations syndicales CFDT et CGC, qu’on pourrait estimer être les plus sensibles sur le sujet.

Point d’étape autour de six questions

1 Quel est le taux de réalisation à la date de mars 2016 ?

Impossible de répondre à cette question. L’étude Centre Inffo lancée récemment auprès de 1 500 entreprises apportera prochainement des réponses.

Anne-Lyse Even, consultante en management du capital humain de la société de services de gestion RH ADP, donne néanmoins une estimation sur la base de sa clientèle : « Selon notre enquête de septembre 2015 sur 190 de nos clients, 8 % d’entre eux faisaient déjà des entretiens professionnels (EP) avant la loi. À cette même date, environ 48 % de ceux qui le ne faisaient pas avant la réforme l’avaient déjà réalisé pour respecter la date de mars 2016. Donc environ un petit tiers restait à faire à l’automne 2015. » Selon elle, les entreprises de plus de 300 salariés étaient déjà avancées, alors que celles de 50-100 salariés s’y sont mises un peu plus tard. « Certaines petites entreprises de 50-60 salariés ont pu un temps tenir un discours d’évitement, “faire le mort”, mais dans la réalité, l’EP est fait », analyse-t-elle.

« Dans beaucoup de cas, les entretiens commencent maintenant, précise Geoffroy de Lestrange, consultant chez Cornerstone. On pourra dire qu’on a un vrai retard si les EP ne sont pas fait après l’été. Ce ne serait pas choquant pour un premier rendez-vous, mais il faut espérer que l’inspection du travail sera bienveillante. » Un parti pris soutenu par Alain Druelles, directeur éducation-formation au Medef : « Il ne faut pas investir trop d’importance dans la date butoir du 6 mars 2016 comme premier rendez-vous de l’entretien professionnel. Il faut en avoir une appréciation souple sur sa régularité et son esprit sur six ans. Il serait utile que la DGEFP écrive un “questions-réponses” sur ce point pour le dédramatiser et favoriser ainsi une démarche de management. De même, il sera souhaitable qu’en cas de contentieux, le juge se prononce sur la réalité et l’esprit de la démarche plutôt que sur le respect d’un calendrier reposant sur des dates anniversaire figées au jour près. » Selon le représentant du Medef, « comme pour toute nouveauté, on constate une forme d’exacerbation des débats et des analyses à son propos. Il faut que le temps fasse son œuvre. Certaines des entreprises qui pratiquaient déjà l’EP en ont profité pour en réviser le fond et la forme de manière très positive, en formant les managers. D’autres ont continué sur les pratiques antérieures ».

2 L’obligation de traçabilité nécessite-t-elle une importante refonte des SIRH ?

« Non, estime Geoffroy de Lestrange. Le process informatique n’est pas compliqué, l’aménagement a été simple, notamment au travers d’un nouveau calendrier. La formation des managers a été nécessaire et construite à la suite d’une conceptualisation par les RH. »

« Le support informatique de notre SIRH a facilement intégré le contenu légal de l’EP, précise Anne-Lyse Even : la trame a été modifiée et améliorée pour respecter la nécessaire formalisation, et l’EP a été déconnecté de l’entretien annuel d’évaluation. Les demandes étaient d’être le plus proche de la loi et d’obtenir un dispositif simple d’usage pour les managers. »

« Certains se plaignent de cette formalisation renforcée, reconnaît Alain Druelles. Mais, à l’inverse, cette traçabilité doit être utilisée comme une sécurisation juridique. Il est indéniable qu’il y a un effet volume à gérer, et que cela entraîne certaines critiques. »

De son côté, Rodolphe Morteau, responsable commercial France-Italie de Lumesse, note que « les entreprises utilisent encore beaucoup le format papier, car le SIRH couvre souvent en premier lieu les cadres, et non pas tous les collaborateurs. Cela commence lentement, en fonction du budget des entreprises ».

3 Le n + 1 est-il forcément le bon interlocuteur, et la parole est-elle libre et constructive ?

« C’est en effet le plus souvent le n + 1 qui mène l’EP, pointe Anne-Lyse Even. Pourtant, ce n’était pas une certitude au début. La DRH se garde les populations à risque ou difficile, car il est parfois compliqué d’évoquer avec son n + 1 ses projets professionnels. »

« Le problème est que n + 1 et RH ne sont pas forcément “raccord”, constate Geoffroy de Lestrange : tout l’enjeu est de gérer la différence de perspective entre le court et le long terme. » Cette différence de timing est précisément, selon Philippe Joffre, directeur du cabinet de conseil Paradoxes (lire p. 26), le point dur de l’EP, et ce qui lui fait conclure qu’il est « déjà dévoyé ».

« Personne ne peut nier l’intérêt de l’EP, et qu’il part d’une bonne intention, y compris dans sa partie formalisation, qu’il organise la gestion de contentieux futurs, répond Alain Druelles. L’esprit de l’EP n’est pas que l’entreprise prenne des engagements vis-à-vis des salariés, mais qu’un échange sur le besoin en compétences se fasse ; on est davantage dans une logique de “check-up” que d’engagement. Par ailleurs, nous espérons qu’il contribuera à faire évoluer les pratiques de certification pour mieux répondre aux besoins des entreprises en développant les logiques de bloc de compétences et les pédagogies diversifiées. »

4 Les branches et leurs Opca ont-elles suffisamment informé les entreprises ?

« Les Opca et certaines branches ont été actifs et ont déjà distillé beaucoup d’informations et d’aides, plusieurs ont livré des kits d’accompagnement auprès des RH, notamment dans les secteurs métallurgie, pharmacie, plasturgie…, reconnaît Anne-Lyse Even. Mais il s’agit désormais d’informer aussi les salariés. » Or, à l’automne 2015, selon le baromètre Perspectives 2016 d’Agefos PME, seuls 41 % des salariés se disaient informés de l’obligation imposée à l’employeur de réaliser au moins un entretien professionnel tous les deux ans. Même si le taux a dû progresser, la marge de progression reste importante.

5 Les sanctions inquiètent-elles les dirigeants ?

Globalement non. « On en parle peu, les entreprises sont encore dans la mise en place de ce premier EP », affirme Anne-Lyse Even. « Ce n’est pas un sujet à ce jour », confirme Rodolphe Morteau, responsable commercial Lumesse France et Italie. L’étude Perspectives 2016 d’Agefos PME, comme les trois représentants des PME qui témoignent dans ce dossier, confirment ce sentiment qu’il ne se sera pas trop compliqué de respecter les obligations de l’EP à six ans.

Alain Druelles reconnaît l’optimisme des opérationnels, mais souligne que « les sanctions financières à six ans, sur la base de 30 euros de l’heure, ont été introduites par la loi. À l’origine, dans le texte de l’accord interprofessionnel, la sanction s’exprimait par un nombre d’heures supplémentaires sur le compte, mais pas par une masse financière. Cette manière de solvabiliser les sanctions a, hélas, changé la perception de l’EP, l’a durci ; c’est un de nos regrets ».

6 Une externalisation serait-elle une piste envisageable pour que les entretiens professionnels gagnent en efficacité ?

Geoffroy de Lestrange ne perçoit à ce jour « aucune tentative d’externalisation ». Mais Anne-Lyse Even remarque que « l’externalisation de l’EP est une demande qui commence à naître en post-campagne. Dans les entreprises les plus avancées, une enquête post-EP est planifiée dans le but d’améliorer la démarche. Il faut réfléchir sur la suite, le suivi, les actions et les indicateurs. L’enjeu est d’utiliser les deux ans qui viennent pour animer, être à l’aise, réduire la charge, s’améliorer sur un exercice difficile mais primordial pour le collaborateur et l’entreprise. Mais cette externalisation ne se fera pas à 100 % : elle reposera de toute façon sur une co-animation avec l’entreprise ».

Philippe Joffre y voit également une opportunité pour les PME plutôt que pour les grands groupes, et pour les Opca, qui y trouveraient une nouvelle piste d’affirmation de leur intérêt. Le chantier ne fait que commencer.

Sondage AGEFOS PME : les sanctions inquietent moins

Surprenant. À lire le baromètre Agefos PME Perspectives (réalisé à l’automne 2015) sur les intentions de formation dans les PME en 2016, ne pas atteindre les objectifs de l’entretien professionnel à six ans est de moins en moins une inquiétude pour les dirigeants d’entreprises de plus de 50 salariés, celles susceptibles d’être pénalisées du paiement de 100 heures de CPF supplémentaires si elles ne remplissent pas leurs obligations.

Tous les six ans, en plus de l’entretien professionnel tous les deux ans, l’employeur devra en effet justifier d’au moins deux des trois critères suivants : avoir fait bénéficier au moins une fois ses salariés de formation, les avoir fait évoluer au plan salarial ou professionnel, ou leur avoir permis d’obtenir des éléments de certification par la formation ou par la VAE.

Et tout aussi étonnant que cela puisse paraître, 75 % des dirigeants de PME qui connaissent les obligations nées de l’entretien professionnel pensent que « l’objectif de former au moins une fois leurs collaborateurs tous les six ans est atteignable, voire très atteignable ». Ce chiffre est en augmentation de 10 points par rapport à leur ressenti fin 2014 !

De même, 48 % de ces employeurs pensent qu’il est « réaliste de faire évoluer leurs collaborateurs au plan salarial ou professionnel au moins une fois tous les six ans ». Et ce chiffre est lui aussi en très forte progression par rapport à l’année précédente : + 18 points !

Seul le troisième critère pose encore des problèmes. Ainsi, à peine 20 % des employeurs pensent qu’il sera « faisable de permettre à leurs salariés d’obtenir des éléments de certification par la formation ou par la VAE au moins une fois tous les six ans ». Un chiffre en régression de 3 points.

On verra si l’optimisme tient la distance. Reste que la notoriété de l’entretien professionnel demeure très liée à la taille de l’entreprise. Toujours selon ce baromètre Agefos PME, 99 % des dirigeants d’entreprise de 300 à 499 salariés ont « une bonne connaissance » de cet entretien, et 97 % de ceux d’entreprise de 50 à 299 salariés. Mais le chiffre tombe à 78 % pour les PME de 10 à 50 salariés et à 34 % dans le cas des TPE de moins de 10 salariés.

Au total, à l’automne 2015, seuls 44 % des dirigeants se disaient « informés de l’obligation de réaliser un entretien professionnel avec chaque salarié au moins tous les deux ans ».

Des salariés sous-informés

41 % des salariés sont informés de l’obligation imposée à l’employeur de réaliser au moins un entretien professionnel tous les deux ans, selon le baromètre Perspectives 2016 d’Agefos PME. Les salariés de TPE sont les moins informés (30 %).

Ces chiffres sont encore bas, mais une fois que les salariés prennent connaissance de l’entretien professionnel, ils en ont un avis largement positif. Ainsi, 86 % des salariés sont favorables à l’obligation de réaliser cet entretien tous les deux ans. Et cet avis est partagé par tous les profils, qu’importe le sexe, l’âge ou la taille de l’entreprise d’appartenance.

L’attente devient forte une fois l’information acquise. D’autant plus que 56 % des salariés déclarent qu’il n’y a pas d’échanges avec leur manager sur leurs besoins en formation ou leurs perspectives d’évolution professionnelle. Cet échange est encore moins fréquent dans les TPE, puisque seuls 21 % des salariés en font état. Le constat est identique pour les plus jeunes salariés (16 à 24 ans), qui ont moins d’expérience professionnelle et donc moins de chances d’avoir eu un tel entretien (23 %).

La plasturgie actualise l’entretien

« La Commission nationale paritaire de l’emploi (CNPE) de la branche de la plasturgie et des composites avait déjà outillé les entreprises pour les précédents entretiens. Nous avons actualisé le kit existant pour le conformer aux dispositions de la loi du 5 mars 2014 », précise Sophie Roguet, responsable emploi-formation à la fédération. Ce kit gratuit* est composé d’un guide (définitions, sujets à aborder) à deux entrées (employeur et salarié) et d’un canevas de conduite d’entretien : une fiche pour retracer le parcours professionnel du salarié (formations initiale et continue, certifications acquises…), une autre fiche pour mener l’entretien et une troisième pour réaliser l’état des lieux dans six ans. Ce kit est un engagement pris lors de la signature de l’accord de branche sur la formation du 25 mars 2015 : la majorité de ses 3 800 entreprises (plus de 130 000 salariés) sont des petites structures souvent sans service RH ou juridique. En parallèle, et en lien avec l’entretien professionnel, la branche a entamé fin 2015 une négociation sur la reconnaissance de ses neuf certificats de qualification professionnelle (CQP) dans les classifications, afin de conforter l’utilisation de ces certifications « qui fonctionnent très bien », selon Sophie Roguet. Dans la foulée, la branche a créé huit nouveaux CQP qui seront disponibles prochainement.

* www.observatoire-plasturgie.com

Auteur

  • L. G.