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L’interview

Sabrina Loufrani-Fedida : « En organisation par projets, la gestion des compétences revient au manager »

L’interview | publié le : 05.04.2016 | Éric Delon

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Sabrina Loufrani-Fedida : « En organisation par projets, la gestion des compétences revient au manager »

Crédit photo Éric Delon

Si les compétences sont considérées comme un facteur nécessaire pour mener à bien des projets, elles sont le plus souvent gérées directement par les managers plutôt que par la direction des RH.

E & C : En quoi le management des compétences dans les organisations par projets est-il une problématique difficile à gérer pour les entreprises ?

Sabrina Loufrani-Fedida : Les entreprises doivent gérer conjointement le développement des compétences de leurs collaborateurs et la mise sur le marché de produits et de services innovants issus de la mise en œuvre de projets. L’articulation entre ces deux logiques est complexe pour les managers et les directions des ressources humaines. La première difficulté tient au temps d’apprentissage. Alors que les compétences des individus requièrent de la durée pour se fiabiliser et se développer, le management de projet répond de plus en plus à des exigences de réduction des délais de conception et de développement des produits et services. Par ailleurs, alors que les compétences reposent sur les notions d’autonomie, d’initiative, d’employabilité et de transversalité, les projets sont finalisés sur un produit, un service ou une technologie. Autrement dit, même si les compétences sont considérées comme un facteur clé pour la performance de ces projets, ceux-ci ne sont pas motivés prioritairement par le développement de ces compétences. C’est pourquoi l’entreprise doit réfléchir à la pertinence des leviers de gestion des RH qu’elle doit activer.

Quels sont les leviers que vous avez identifiés ?

Ils sont au nombre de quatre : délivrance de certifications métiers, mobilité intermétiers, identification des experts techniques, mise en place de référentiels de compétences individuelles. Je les ai identifiés au cours d’une étude menée auprès de quatre grandes entreprises autour de l’articulation gestion de projet-développement des compétences : IBM, Hewlett-Packard, Arkopharma, Temex.

Comment sont-ils utilisés dans les entreprises étudiées ?

La délivrance de certifications métiers est une pratique notamment utilisée à IBM et Hewlett-Packard dans le cadre de la gestion des métiers. Elle permet d’attester un certain niveau de compétences sur tel ou tel métier. La mise en place de la structure par projets a conduit les entreprises à réfléchir à l’organisation et au pilotage de la dynamique des métiers appelés à intervenir dans les projets de développement de produits et de services nouveaux. Au sein de ces deux entreprises, la certification des individus est devenue un outil stratégique d’entretien et de développement des compétences de leurs collaborateurs pour les besoins de leurs projets.

La mobilité intermétiers, chez IBM et Hewlett-Packard, est une démarche clairement identifiée comme un moyen d’enrichir les compétences des individus, et en particulier de favoriser l’intégration des compétences fonctionnelles nécessaires aux projets. L’immersion des collaborateurs dans d’autres fonctions leur permet de mieux comprendre les problématiques des autres métiers de l’entreprise. J’ai toutefois observé que, même si les managers métiers déclaraient souhaiter favoriser les rotations intermétiers, ils cherchaient également à capitaliser sur les compétences de leurs collaborateurs, afin de maintenir et d’améliorer l’efficacité des compétences de leurs unités pour la mise en œuvre des projets. La problématique est la suivante : le manager métier doit-il maintenir un “bon élément” dans ses prérogatives métier, ou bien doit-il lui permettre d’évoluer vers un autre métier afin qu’il enrichisse ses compétences ?

Concernant l’identification des experts techniques, IBM et Temex se sont lancés dans un tel programme. Cette démarche apparaît comme un gage de reconnaissance pour la communauté technique, et de valorisation des carrières techniques face à l’attractivité des carrières managériales. Avec l’instauration de l’organisation par projets, la reconnaissance de l’expertise technique est déstabilisée du fait de la valorisation des nouveaux rôles de coordination de projet et de l’évolution concomitante des politiques de gestion des cadres, lesquelles privilégient la mobilité et les compétences managériales au détriment de l’expérience technique. J’ai observé, au cours de mon étude, que la hiérarchie était bien souvent plus “managériale” que technique, en raison notamment de la focalisation sur la gestion de projet et de l’importance des critères économiques de coûts et de délais dans ces projets.

Enfin, dans les quatre entreprises étudiées, des référentiels de compétences individuelles – techniques et/ou managériales – sont développés. L’intérêt majeur de ces référentiels ? Faciliter la constitution des équipes projets, en aidant notamment les chefs de projet à repérer et à sélectionner les acteurs porteurs des compétences requises. Bien entendu, d’autres pratiques de GRH plus “classiques” viennent ici soutenir le management des compétences : la formation, la rémunération ou encore la gestion des carrières.

Comment la DRH peut-elle être partie prenante dans cette démarche ?

Au sein des quatre organisations par projets que j’ai étudiées, la DRH intervient en support du management des compétences. Concrètement, elle fournit aux managers les supports et processus pour gérer les compétences des acteurs dont ils ont la responsabilité et qui seront amenés à intervenir dans les projets innovants de l’entreprise. Les ressources humaines mettent en place et diffusent les outils de gestion des compétences – recherche de formations adéquates, grilles d’entretiens d’évaluation, référentiels de compétences, etc. –, sur lesquels les managers s’appuient pour évaluer, sélectionner et faire évoluer les compétences de leurs collaborateurs. Ainsi, la DRH “s’efface” devant les managers, qui deviennent les vecteurs du management des compétences. Ce transfert de responsabilités de la DRH vers le management permet d’ancrer le développement des compétences dans les pratiques managériales quotidiennes – évaluation individuelle, formation, organisation du travail, communication interne – et d’en multiplier les bénéfices. Ceci illustre le slogan-concept “Tous DRH”, forgé par le chercheur Jean-Marie Peretti. Avec un certain nombre d’autres chercheurs en GRH, nous nous interrogeons sur les notions suivantes : la DRH peut-elle demeurer une fonction centralisée et prendre en charge les demandes contradictoires des activités régulières et des activités projets ? En quoi la fonction RH est-elle questionnée en se transformant peu à peu en mode projet, avec l’émergence de chefs de projets RH ? Comment se construisent dès lors les relations entre la fonction RH et les project management offices ?

Sabrina Loufrani-Fedida Maître de conférences en sciences de gestion

Parcours

→ Sabrina Loufrani-Fedida est maître de conférences, habilitée à diriger des recherches en sciences de gestion à l’université de Nice Sophia Antipolis (UNS).

→ Elle est responsable du master 2 communication organisationnelle à l’IAE de Nice, et membre du groupe de recherche en droit, économie et gestion (Gredeg, CNRS).

Lectures

→ La Délégation managériale. Levier de compétences et de développement stratégique, T. Picq, F. Belle, C. Defélix, E. Oiry, D. Retour, Vuibert, 2015.

→ La Gestion des talents, C. Dejoux, M. Thévenet, 2e éd., Dunod, 2015.

→ La Gestion des ressources humaines au service des réseaux d’innovation, D. Chabault, A. Hulin, D. Leroy, R. Soparnot, L’Harmattan, 2013.

Auteur

  • Éric Delon