logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Serge Perrot professeur en GRH à l’universite Paris-Dauphine

L’enquête | L’interview | publié le : 05.04.2016 | H. T.

Image

Serge Perrot professeur en GRH à l’universite Paris-Dauphine

Crédit photo H. T.

« Les enquêtes permettent de zoomer jusqu’au niveau de l’équipe »

Vous avez mené une enquête qualitative* sur la mesure de l’engagement des collaborateurs. Quels enseignements en tirez-vous ?

D’abord, les enquêtes de mesure de l’engagement, quel que soit le nom qu’on leur donne, sont largement répandues dans les grandes entreprises, qui se sont outillées en conséquence. Elles ne sont évidemment pas les seules concernées, mais, dans les structures plus petites, cette question sera abordée au quotidien, par une meilleure connaissance du terrain, l’étude des signaux faibles, etc. La plupart des entreprises de notre échantillon – qui, je le précise, n’est pas représentatif – ont opté pour un format d’enquête globale concernant tous les collaborateurs et tous les pays. Ce qui est remarquable, c’est la richesse des données produites, qui permet de voir à la fois l’arbre et la forêt : on peut avoir des indicateurs agrégés et zoomer jusqu’au niveau de l’équipe, le seuil minimal pour le respect de l’anonymat étant d’une dizaine de personnes. C’est cette qualité de la photographie qui peut permettre d’identifier des leviers d’action et qui est donc potentiellement source de changement.

Que contiennent les plans d’action des entreprises que vous avez étudiées ?

Ce qui ressort de beaucoup des enquêtes, c’est le manque de visibilité des salariés, l’impossibilité pour eux de se projeter à long terme. Le premier domaine qui émerge dans les plans d’action concerne donc les parcours et le développement des compétences : plans de mobilité, communication sur les parcours dans l’entreprise… Le deuxième grand sujet a trait au management. Il est question des dirigeants, mais aussi et surtout des managers de proximité, du style de management, de la communication, du feedback… Et cela débouche sur des actions de formation et de sensibilisation des managers ou encore sur une évolution des entretiens annuels. Le fait que 8 entreprises sur 20 – pas loin de la moitié – déclarent avoir intégré des indicateurs d’engagement dans les objectifs de leurs managers a tout de même été une surprise. Ils concernent notamment l’évolution des indices d’engagement, la mise en œuvre des plans d’action ou encore le taux de participation aux enquêtes. Et peuvent aussi avoir des effets pervers…

Comment expliquez-vous l’intérêt grandissant des entreprises pour les enquêtes d’engagement ?

Cet engouement est parti des États-Unis. Il a décollé en France au début des années 2000. La plupart des entreprises que nous avons interrogées expliquent le lancement d’enquêtes d’engagement comme étant le volet humain et managérial d’un plan d’entreprise plus large. Ces enquêtes peuvent aussi s’intégrer dans une politique RH, avec, par exemple, la volonté de mettre en place des labels liés à la qualité de vie au travail ou d’évaluer la perception du contrat social de l’entreprise. D’autres encore invoquent un contexte de transformation, une crise sociale ou l’arrivée d’un nouveau DRH. Mais nous évoluons aussi dans un monde de KPI [indicateurs clés de performance, NDLR], dont l’analyse fournit aux grandes organisations un moyen de « garder le contrôle ». Pour la fonction RH, l’engagement est un KPI intéressant. C’est en tout cas un concept plus accrocheur que celui de la satisfaction au travail – qui, lui, ne date pas d’hier –, car on le relie plus facilement à la performance. L’engagement est, du reste, l’un des rares sujets RH a avoir atterri sur la table des codir et des comex. On ne peut pas non plus exclure un phénomène de mode et d’entraînement, lui-même porté par l’offre des cabinets de conseil spécialisés.

Mais sait-on ce que pensent les salariés de ces démarches ?

Les DRH interrogés estiment que les managers sont partagés sur les avantages et les risques potentiels des enquêtes d’engagement, et que les IRP sont au mieux indifférentes, au pire méfiantes. Mais, curieusement, ils n’ont pas d’avis tranché sur la façon dont elles sont perçues par l’ensemble des collaborateurs, si ce n’est qu’ils scrutent de très près le taux de participation. Ce qui est sûr, c’est que si les salariés sont interrogés tous les ans et que rien ne change, ils prendront leur distance. Comme beaucoup de sujets, les enquêtes d’engagement n’ont d’intérêt que si l’on pousse la logique jusqu’au bout, en menant, dans l’esprit d’une amélioration permanente, des plans d’actions perceptibles par les équipes. La difficulté réside dans la façon de les déployer et de les coordonner, d’autant que l’un des enjeux est aussi de pérenniser ce qui a déjà été entrepris. Il y a là une vraie question de gouvernance.

* Étude réalisée auprès de responsables issus essentiellement de la fonction RH dans 20 grandes entreprises (parmi lesquelles Air Liquide, Coca-Cola, Crédit Agricole, Keolis, Orange, Sodexo, Veolia…) et de cinq sociétés de conseil, dans le cadre d’un contrat de recherche entre Carewan et l’université Paris-Dauphine pour l’Observatoire de l’engagement. Les résultats sont téléchargeables sur le site : www.observatoire-engagement.fr

Auteur

  • H. T.