logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Motivation : l’engagement des salaries, leitmotiv du DRH

L’enquête | publié le : 05.04.2016 | H. T.

Image

Motivation : l’engagement des salaries, leitmotiv du DRH

Crédit photo H. T.

Il suscite encore beaucoup d’interrogations, mais il intéresse de plus en plus les entreprises : patrons et DRH ont bien compris que l’engagement était un ressort de la performance et ils s’efforcent de le mesurer afin d’actionner les bons leviers. L’exercice est complexe.

Le 11 mars dernier, à l’université Paris-Dauphine, s’est tenu le premier Forum de l’engagement. Un événement organisé par l’Observatoire de l’engagement, cofondé fin 2014 par les sociétés de conseil Osagan et Carewan. L’objectif de cette association ? « Nous voulions créer un think tank pour animer la réflexion sur un thème montant, qui se positionne dans l’agenda des comités de direction, mais qui est surtout traité par des cabinets spécialisés, et sur lequel il y a peu d’analyses croisées », soutient Daniel Baroin, vice-président de Carewan et président de l’Observatoire de l’engagement. D’où un partenariat académique avec Dauphine, dont les études sur cette problématique – la dernière portant sur la mesure de l’engagement – permettent de nourrir les débats.

« Nous n’avons pas d’attitude militante sur le sujet, mais nous pensons qu’il y a là un levier de performance pour les organisations et un potentiel de renouvellement des politiques RH », poursuit-il. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Beaucoup se rejoignent sur la notion d’adhésion au projet de l’entreprise. Une commission de l’Association nationale des DRH (ANDRH) s’était penchée sur cette problématique il y a trois ans. Et avait défini l’engagement comme « l’ensemble des actions à l’initiative d’un salarié qui vont au-delà de la contribution demandée par le contrat de travail, qui renforcent le sentiment de contribution à un projet commun et dans le respect des valeurs de l’entreprise ».

Un facteur individuel

Pas si simple à appréhender, d’autant que, comme l’explique Brigitte Dumont, vice-présidente déléguée de l’ANDRH, « il ne suffit pas à une organisation de créer les conditions de l’engagement. Celui-ci s’inscrit aussi dans une histoire personnelle. L’analyse et la compréhension de l’engagement intègrent donc un facteur individuel ». Ce qui est sûr, c’est que cette problématique, avec celle de la transformation numérique, occupe actuellement le devant de la scène RH en France, si l’on en juge par le nombre de conférences et d’études proposées sur le sujet.

Le 24 mars dernier, Korn Ferry Hay Group organisait son 3e forum hexagonal sur l’engagement, après avoir publié les résultats de son baromètre 2015, reposant sur les enquêtes d’opinion internes de ses clients menées auprès de plus de 140 000 salariés. La société de conseil observe que, si les études autour de l’engagement existent depuis une dizaine d’années en France (et une trentaine d’années dans les pays anglo-saxons), la demande s’accroît fortement. Même les éditeurs de solutions RH, tels Oracle et ADP, se sont tout récemment emparés du sujet avec leurs clients (lire Entreprise & Carrières n° 1277 et n° 1263), y voyant une sérieuse carte à jouer, que ce soit dans le domaine des outils de pilotage des processus RH ou des environnements de travail digitaux favorisant la collaboration. L’ANDRH a, elle, décidé de réembarquer ce thème dans la commission RSE (responsabilité sociétale des entreprises), qu’anime Brigitte Dumont.

Les raisons de cet engouement rejoignent les convictions de l’Observatoire de l’engagement : des études récentes ont en effet mis en évidence une corrélation entre l’engagement des salariés et les indicateurs de performance business et RH. « Quand les collaborateurs sont dans un environnement épanouissant, comprennent la stratégie et adhèrent à la vision de l’entreprise, celle-ci obtient de meilleurs résultats en termes de productivité, de satisfaction client, de qualité, d’innovation, de rétention des talents, d’image employeur, de sécurité au travail, etc., liste Brigitte Dumont. Et l’on entre dans un cercle vertueux, car de bons résultats alimentent la fierté d’appartenance à l’entreprise. »

Impact financier

Selon le Human Capital Institute, le « retour sur salaire » d’un collaborateur activement engagé serait de 120 %. De 100 % – sans valeur ajoutée, donc – lorsque le collaborateur est moyennement engagé. Et de 60 % – l’entreprise y perd – lorsqu’il est « activement désengagé », rappelle Yves Duron, psychologue du travail et cofondateur de Motiva, société qui a développé une gamme de solutions autour de la motivation. « Étant donné l’impact financier, cela vaut le coup de se pencher sur le sujet. Les entreprises du CAC 40 ont parfaitement intégré cet enjeu que toutes les entreprises, finalement, perçoivent de manière intuitive », soutient-il.

Selon Brigitte Dumont, l’intérêt pour l’engagement résulte aussi d’une « symétrie des attentions », les entreprises s’étant aperçues que l’amélioration de la relation client, sur laquelle elles concentraient tous leurs efforts, passait aussi par une meilleure attention portée aux salariés. L’engagement fournit également aux DRH business partners un indicateur plus attractif que celui de la satisfaction au travail, estime Serge Perrot, professeur à Paris-Dauphine, qui a mené l’étude sur la mesure de l’engagement, dont les résultats ont été restitués lors du premier Forum de l’engagement (lire p. 26). Du reste, l’enseignant n’exclut pas un certain effet de mode.

Désengagement

Mais plusieurs études font aussi état d’un désengagement des salariés, notamment hexagonaux, qui inquiète les employeurs. Pour Yves Duron, cette difficulté à mobiliser les salariés s’explique, entre autres, par une transformation du contrat employeur-salariés : « Avant, c’était l’abondance. On avait des perspectives d’évolution de carrière, de rémunération… Aujourd’hui, on est davantage dans une économie de la pénurie, dans un monde global où les entreprises mutent et revoient leur business model sous l’effet des technologies numériques », dépeint-il.

En 2013, ADP Research Institute avait ainsi observé « un délitement du lien social dans les entreprises » : « 41 % des salariés en France se disaient satisfaits de leur entreprise, contre 58 % dans le monde, précise Eddy Corcos, directeur de l’activité Human Capital Management à ADP France. Même en tenant compte de l’effet culturel – les Français étant toujours moins enthousiastes –, l’écart demeure important et les résultats globaux ne sont de toute façon pas fameux. »

Points de déconnexion

Sur la base de ces enquêtes, ADP a dégagé trois grands points de “déconnexion” – manque de reconnaissance, de perspectives et d’épanouissement au travail – que ses clients n’ont pas contestés, précise Eddy Corcos : « Au niveau des DRH, il y a une prise de conscience et une volonté de travailler sur le sujet », assure-t-il. L’éditeur a d’ailleurs sauté sur l’occasion pour réunir un collectif de praticiens RH, consultants et enseignants afin de proposer des pistes d’action pour recréer du lien et de l’engagement, réunies dans l’ouvrage #RHreconnect, publié en novembre dernier.

Cependant, tous les points de vue ne sont pas aussi tranchés. Selon la dernière enquête de Korn Ferry Hay Group, « le sentiment d’appartenance à l’entreprise comme le niveau d’engagement restent relativement élevés en France, avec un taux de satisfaction globale de 70 % », mais avec un bémol sur les conditions et la charge de travail. À chacun sa méthodologie. Et ses conclusions. Plutôt que de parler d’un désengagement, l’ANDRH perçoit surtout « une quête de sens, qui s’exprime davantage que par le passé, notamment chez les jeunes générations, considère Brigitte Dumont. D’où la nécessité de montrer à chacun quelle est sa contribution au projet et aux résultats de l’entreprise. » Une voie dans laquelle s’est engouffré Labeyrie, dans le cadre de son nouveau plan stratégique (lire p. 25). Chez Microsoft, en revanche, ce qui n’était au départ qu’une démarche commerciale sur les réseaux sociaux s’est finalement révélé être un facteur d’adhésion aux valeurs de l’entreprise (lire p. 26).

Reste que, si les enquêtes d’engagement sont « tendance » – le seul taux de participation étant un indicateur scruté de très près par les DRH – « on est quand même sur la plus vieille question RH qui soit : comment donne-t-on aux gens l’envie d’avancer ?, rappelle Serge Perrot. L’enjeu de la mesure de l’engagement n’est pas la mesure, mais ce qu’on en fait ! » Pour Olivier Hamelle, directeur de l’activité de conseil en engagement des salariés d’Aon Hewitt pour l’Europe, « une enquête d’engagement bien construite sera, du reste, plus offensive qu’une enquête sur les risques psychosociaux. »

Manager analyste

Ce n’est pas une surprise, les managers sont à la fois sujets et acteurs des plans d’action mis en œuvre dans les entreprises. Sodexo Santé MédicoSocial a ainsi travaillé sur les comportements clés de ses encadrants (lire p. 24). Serge Perrot estime pour sa part que les managers doivent « passer du manager suiveur de KPI* au manager analyste ». Pas si simple. « Lorsqu’il reçoit une photographie de l’engagement correspondant à son périmètre, il peut la percevoir comme une remise en question potentielle. Il doit être capable de s’emparer de ces résultats pour en faire, non pas un énième plan d’action déployé de manière mécanique, mais quelque chose de concret en lien avec ses objectifs, qui pourra aussi concerner sa propre façon de manager. » Reste que les raisons de l’engagement sont fluctuantes. Et particulièrement complexes. Car le concept a plusieurs objets. Et les logiques diffèrent selon les entreprises, les métiers, les pays, les générations…, comme l’explique l’enseignant de Dauphine : « Les motivations d’un infirmier à l’AP-HP ne sont pas les mêmes que celles d’un trader dans une banque. On peut trouver des salariés très engagés dans leur métier qui se fichent de leur entreprise. Et les jeunes générations ne sont pas forcément moins engagées que les autres, même s’il est vrai qu’elles n’ont pas le même rapport à l’entreprise et ne s’y projettent pas à long terme. » Les organisations auraient donc, selon lui, intérêt, au-delà des enquêtes quantitatives, à procéder à une analyse plus qualitative des situations. L’objectif ? Trouver les meilleures combinaisons possibles des leviers d’engagement. De quoi mettre la sagacité des DRH à rude épreuve !

Mesurer l’adhésion

Gallup, Aon Hewit, Korn Ferry Hay Group, Ipsos, Willis Towers Watson… : chaque prestataire de mesure de l’engagement a sa propre méthodologie. Selon l’enquête réalisée sous la houlette de Serge Perrot par l’université Paris-Dauphine pour l’Observatoire de l’engagement (lire p. 23), les “modèles d’engagement” sont constitués d’une mesure du concept d’engagement – le cœur du modèle –, comprenant de 6 à 12 questions, et d’un ensemble plus large de questions visant à en identifier les leviers.

Chez Aon Hewitt, par exemple, une petite série de questions permet de cerner trois comportements clés de l’engagement sur le modèle du “say, stay, strive”, détaille Olivier Hamelle, directeur de l’activité de conseil en engagement des salariés pour l’Europe : l’affirmation (le salarié est fier de travailler pour son entreprise et en parle positivement autour de lui) ; l’adhésion (le salarié se projette à moyen-long terme dans l’entreprise) ; et le comportement d’action (qui indique à quel point il est prêt à aller au-delà de ce qui est attendu de lui).

« Sur cette base, nous pouvons donner un score d’engagement, explique Olivier Hamelle. Et nous mesurons les leviers sur une quinzaine de thématiques : dirigeants, formation-développement, équilibre vie professionnelle-vie privée, etc. en construisant un questionnaire sur mesure pour chaque organisation, à partir d’items standards. » Celui-ci contient généralement entre une cinquantaine et une soixantaine de questions, qui ne doivent pas prendre plus d’une vingtaine de minutes au salarié.

La société de conseil propose des benchmarks qui couvrent 174 pays, 68 secteurs et quelque 8 millions de salariés. « Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir cerner les thématiques qui auront le plus fort impact sur l’engagement. Celles-ci variant d’un pays et d’une organisation à l’autre. » Mais les enquêtes donnent des indications sur ce qui peut être fait, et « il convient de valider ces points avec les collaborateurs. L’enquête d’engagement est un outil de dialogue », estime-t-il.

L’entreprise a d’ailleurs intérêt à ne pas poser de questions sur lesquelles elle n’est pas prête à agir, car cela pourrait susciter des attentes et, au final, des frustrations. À éviter absolument : l’enquête dont on ne communique pas les résultats et qui ne débouche sur rien !

Jouer sur les ressorts individuels

« Les salariés ne savent pas toujours expliquer ce qui les motive. Les sportifs gèrent très bien cela, mais on ne sait pas parler de motivation de manière structurée au travail », soulève Yves Duron, psychologue du travail et cofondateur de Motiva. Qui est convaincu que la motivation est une compétence qui se développe. C’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage*, publié en décembre dernier, qu’il a coécrit avec son homologue à Motiva, Zwi Segal. Les auteurs y décrivent la relation qu’entretient le salarié avec son entreprise à travers deux dimensions complémentaires : la satisfaction motivationnelle (les ressorts clés et plutôt rationnels de la motivation tels que la reconnaissance ou les possibilités d’évolution) et l’engagement (qui tient aux aspects affectifs de la relation à l’entreprise). « En croisant ces deux axes, nous avons dégagé quatre états motivationnels sur le modèle du couple », explique Yves Duron : l’histoire d’amour (la satisfaction motivationnelle et l’engagement sont forts) ; le mariage blanc (les motivations clés du collaborateurs sont satisfaites, mais il n’adhère pas au projet d’entreprise et la relation repose sur du donnant-donnant) ; la désillusion (c’est la situation inverse : le niveau d’engagement est fort, mais les motivations clés sont insatisfaites et le collaborateur commence à se poser des questions) ; la séparation (tous les clignotants sont passés au rouge, le collaborateur a décroché).

« La première chose qui va se dégrader, c’est la satisfaction motivationnelle. Ce modèle permet de mieux comprendre où se situe le problème, car certains DRH sont un peu perdus, déclare Yves Duron. Chaque personne a une combinaison de ressorts de motivation qui lui est propre, poursuit-il. Prendre des mesures globales, comme embellir les bureaux, en satisferont certains, quand d’autres y verront des dépenses inutiles. »

D’où l’intérêt pour l’entreprise de travailler le sujet en “bottom up”, en permettant à chacun d’identifier ses propres motivations et d’être acteur de son épanouissement. « Le sujet est un peu tabou, convient-il. Souvent, les salariés sont assez sceptiques et attribuent à l’entreprise toute la responsabilité de leur démotivation, alors qu’ils disposent de leviers personnels et pragmatiques pour être justement moins dépendants de l’organisation. » Avant d’engager des plans d’actions plus larges, s’autoriser à parler de la motivation individuelle en entreprise, tant au niveau des collaborateurs que des managers, permettrait ainsi de régler, à peu de frais, certains problèmes de désengagement. Tout en permettant à chacun d’être plus résilient face aux changements de tous ordres. « Aujourd’hui, on sait parfaitement cibler les besoins des clients, pourquoi n’appliquerait-on pas la même logique pour les salariés ? »

Pour aller plus loin

#RHreconnect. Idées, pratiques et outils RH pour l’avenir de l’entreprise. ADP, sous la coordination de Patrick Bouvard, rédacteur en chef de RH info, Éditions EMS, 2015.

New deal of employee engagement. A sustainable body-and-mind engagement model, Bernard Coulaty, McGraw-Hill Education, 2015. L’auteur propose également une vidéo sur YouTube..

* Key performance indicators.

* La motivation, une compétence qui se développe. Guide pour développer la motivation et l’engagement au travail, décembre 2015, Pearson, 262 pages, 25 euros.

Auteur

  • H. T.