Environ 85 000 salariés : c’est tout l’enjeu. La branche propreté a pris à bras-le-corps la question de la maîtrise des gestes professionnels par ses salariés et déploie un plan massif de formation. « Les agents de nettoyage sont un public souvent délaissé dès qu’on parle de nouvelles technologies et d’apprentissage avec des tablettes ; ils ont pour la plupart des difficultés avec la langue française et peu d’appétence pour la formation », explique Noria Larose, directrice de Nell & Associés, le partenaire e-learning choisi par l’Institut national de l’hygiène et du nettoyage industriel (Inhni), l’organisme de formation de la branche, dont le conseil d’administration est composé de membres de la Fédération des entreprises de propreté (FEP). « Il faut saluer les efforts consentis par la branche professionnelle pour offrir une formation de qualité à des agents considérés comme de “bas niveau de qualification” et pour encourager ses adhérents à faire monter en compétences les agents, poursuit-elle. Elle a mis en place un business model intelligent qui sert adhérents, managers et personnel. »

400 000 euros ont ainsi été investis en deux ans en ingénierie de projet, dont 50 % financés par le Fare Propreté(1) et 50 % par l’Inhni et la FEP.

C’est fin 2014 que le choix d’une telle formule a été validé par l’Inhni, suite à un appel d’offres et à un cahier des charges : une première expérience en la matière. « Une longue phase d’expérimentation s’est déroulée jusqu’en septembre 2015, avec des tests durant l’été 2015 sur les modules de nettoyage de bureaux, qui est au cœur des activités des sociétés du secteur », explique Virginie Couret, chef de projet ingénierie & digital, en charge de ce dossier à l’institut. Fin 2015, tous les modules étaient terminés et la plate-forme Moodle choisie et adaptée : l’outil porte le nom de Libero 3.0.

Concrètement, l’ensemble offre un parcours de neuf modules, dont trois sur les techniques métier (nettoyage des bureaux, des sanitaires et des parties communes), et six modules complémentaires qui touchent à des sujets transversaux tels que les règles de santé et de sécurité au travail (postures, protection face aux risques pour la santé des salariés), l’environnement professionnel (sites et usagers…), la préparation de l’intervention, le respect de l’environnement, le travail en équipe et avec le client (les attitudes de service, la communication…), ou encore à certaines techniques professionnelles spécifiques. « Et ce sont les managers et agents de maîtrise d’exploitation, qui sont déjà dans leur grande majorité dotés de tablettes, qui dispenseront les formations aux agents, sur le lieu de travail », précise Virginie Couret.

À noter que les trois modules métier adoptent une structure pédagogique particulière en trois temps : « j’observe, j’applique, je m’entraîne ». Ces modules ont bénéficié d’un travail d’adaptation de la langue française spécifique (formulation des consignes notamment), réalisé par une spécialiste de la didactique de la société Co-Alternatives, et sont systématiquement doublés en audio. Au besoin, il existe un dispositif au sein de la branche sur les savoirs de base baptisé “Clés en main” et porté par l’Opca et un réseau d’une soixantaine d’organismes de formation linguistique habilités. Ce dispositif de “Maîtrise des compétences clés de la propreté” (MCCP) bénéficie d’une certification de branche et s’articule avec le dispositif national Cléa (lire Entreprise & Carrières, n° 1273).

La branche compte 480 000 emplois, qui représentent en réalité environ 350 000 personnes, dont 250 000 à 300 000 agents de service en propreté, soit environ 85 % de son effectif. Pour répondre aux nouvelles obligations, elle doit former entre 40 000 et 50 000 salariés par an sur les six années de la période 2014-2020. Libero 3.0 devrait donc bénéficier à la moitié de cette population : 5 000 parcours vendus pour l’année 2016 ; et, en rythme de croisière, à partir de 2017, 20 000 parcours par an. « 20 000 salariés par an, cela représente un objectif à la fois cohérent et ambitieux », commente l’Inhni.

Vendus ? En effet, le prix moyen d’un parcours est d’environ 50 euros par personne formée. Mais le soutien politique à l’opération étant fort, les partenaires sociaux de la branche ont opté pour des aides au financement via l’Opca Transports et Services. Pour les entreprises de moins de 10 salariés, un forfait de 1 000 euros. Pour les entreprises de moins de 300 salariés, un financement prioritaire sur les actions collectives de branche, assis sur le plan légal (0,1 %-0,2 %) et sur un versement conventionnel de 0,5 % pour les entreprises de plus de 10 salariés.

L’opération se déploie actuellement. « Elle bénéficie de facteurs clés de succès, estime Virginie Couret : un contenu issu d’un parcours présentiel mis en œuvre il y a une quinzaine d’années ; des managers placés dans la posture de tuteur plutôt que d’évaluateur afin d’encourager dialogue et partage de bonnes pratiques ; une ergonomie soignée et épurée ; et beaucoup de tests utilisateurs pour adapter l’expression écrite ou orale et l’interface aux utilisateurs et aux pratiques. »

Un premier bilan interviendra au second semestre 2016. Il sera particulièrement suivi, car ce dispositif fait partie de l’expérimentation en cours sur la Formation en situation de travail (Fest, lire Entreprise & Carrières : n° 1267) lancée par la DGEFP, le FPSPP et l’Anact.

« Libero est vraiment une bonne initiative, car en termes de formation,nous étions un peu basique, nous reposant sur l’expérience des salariés, concède Jonathan Rodulfo, tout à la fois agent de service, chargé du contrôle, RRH et commercial dans la PME lyonnaise de 10 salariés de son père, Philippe Rodulfo, qui en est le DG. Nous avons acheté le kit Libero en décembre avec le cursus agents de service, puis activé la première formation en mars et ainsi bénéficié d’une prise en charge intégrale de notre Opca. Nous espérons que l’intégralité des salariés de Propre & Net, dont l’ancienneté varie de un an à quinze ans, auront suivi cette formation d’ici la mi-2016 et grand maximum d’ici à la fin de l’année, à raison d’une heure de formation par mois. L’aide financière de l’Opca donne un vrai effet de levier. La formation est performante et facile. Elle pourra permettre d’appuyer d’éventuels recrutements. Cette formule était ce qui manquait pour faire évoluer le nettoyage, notamment pour les salariés d’âge mur. »