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Négociation : sans syndicat, pas d’accord d’entreprise ?

L’enquête | publié le : 29.03.2016 | Emmanuel Franck

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Négociation : sans syndicat, pas d’accord d’entreprise ?

Crédit photo Emmanuel Franck

Les PME dépourvues de délégués syndicaux peuvent signer des accords à condition, notamment, de les faire valider par des commissions paritaires de branche. Mais très peu se sont saisies de cette possibilité. La procédure est longue et les décisions des commissions – lorsqu’elles existent – provoquent parfois l’incompréhension des directions. Dès lors, le risque est que les PME se détournent des voies légales de négociation pour leur préférer des arrangements internes. La future loi Travail tentera, comme d’autres avant elle, d’améliorer la situation, mais la solution passe vraisemblablement par les branches.

Pas facile de négocier un accord d’entreprise quand on n’a pas de délégué syndical. Les PME en savent quelque chose. Il a fallu un an et beaucoup de précautions à la clinique Saint-Christophe de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône) pour finaliser celui qui lui a permis de basculer en semaine civile dérogatoire, condition pour faire évoluer le temps de travail de ses salariés (lire p. 25). Au mois de septembre, Algimouss (produits de nettoyage) s’est vu refuser la validation de son accord d’aménagement du temps de travail, comme 64 % des entreprises dépourvues de délégués syndicaux qui présentent un texte devant la commission paritaire de validation de la chimie (lire p. 23). Dans la même branche, le groupe de PME spécialisées dans les parfums Elixens a connu 9 refus en trois ans pour deux succès seulement (lire p. 22). « Cela fait trente ans que l’on tente d’aménager le monopole syndical de négociation afin de développer la négociation d’entreprise, mais ce n’est toujours pas rodé, constate Alexia Alart Mantione, juriste en droit social au sein du réseau de cabinets d’experts-comptables Exco. La loi Rebsamen d’août 2015 apporte ici un souffle nouveau. À suivre… »

Modes alternatifs de négociation

Depuis les lois Auroux du début des années 1980 jusqu’à la loi Rebsamen de 2015, le législateur fait la promotion de la négociation d’entreprise, dont il estime qu’elle pourrait prendre le relai de la loi dans la production de normes sociales. Il a même subordonné certains dispositifs à la signature d’un accord d’entreprise (participation, temps de travail au forfait, dépassement du contingent d’heures supplémentaires…). Mais cette idée se heurte à l’absence de syndicats dans les PME et au monopole syndical de négociation. Seules 10 % des entreprises employant entre 11 et 19 salariés disposent d’un délégué syndical ; 20 % de celles de 20 à 49 salariés ; 59 % au-delà (Dares 2011). Or, sans délégué syndical, pas d’accord d’entreprise.

C’est pourquoi le législateur a prévu, à l’adresse notamment des PME, des modes alternatifs de négociation ; la loi travail de 2016 apportera à son tour ses petites pierres à l’édifice. Les modalités varient en fonction des sujets et des négociateurs. Un accord de participation peut ainsi être conclu avec des syndicats, avec le comité d’entreprise ou par ratification des salariés. C’est d’ailleurs sur le sujet de l’épargne salariale que sont signés l’essentiel (90 %) des accords atypiques, qui, eux-mêmes, représentent moins de 20 % des 36 000 accords d’entreprise signés chaque année (DGT, 2014).

En dehors du sujet de la participation, la négociation d’un accord avec des élus obéit à des conditions très strictes, la première étant l’absence de délégué syndical (voir infographie p. 21). Une entreprise dans cette situation peut signer un accord avec des élus mandatés par des organisations syndicales représentatives dans la branche ou au niveau national et après approbation de la majorité des salariés.

À noter que la future loi Travail prévoit d’élargir le mandatement. Les pratiques de mandatement des syndicats n’ayant pas été étudiées depuis les lois Aubry, le phénomène reste obscur. « En général, un employeur n’envoie pas un salarié se faire mandater à la CGT », fait néanmoins remarquer Carlos Moreira, de la fédération de la chimie de la centrale de Montreuil (93).

Élus non mandatés

Une autre possibilité, un peu mieux renseignée, consiste à signer un accord avec des élus non mandatés, titulaires, représentant la majorité (50 %) des suffrages aux dernières élections, et après approbation par une commission paritaire de branche. Procédure très stricte, et encore, qui ne concerne que les accords relatifs à des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, comme, par exemple, les forfaits-jours, et à l’exception des accords portant sur les PSE.

Jusqu’à la loi Rebsamen, seules les entreprises de moins de 200 salariés pouvaient négocier avec des élus non mandatés ; le verrou a, depuis, sauté. Mais la même loi a supprimé la validation tacite des accords en l’absence de réponse de la commission au bout de quatre mois, ce qui permettait auparavant une validation des accords dans les branches dépourvues de commission ; la future loi Travail prévoit de réintroduire la validation tacite.

Marge importante d’interprétation

Ensuite, rien ne garantit que la commission validera l’accord. Celle-ci est supposée se contenter de vérifier la conformité juridique du texte – ce qui fait d’ailleurs dire aux partenaires sociaux de branche qu’ils ont hérité du travail de l’administration –, mais sur un sujet aussi instable que le forfait-jours ou que le contingent d’heures supplémentaires (principaux sujets des accords soumis aux commissions de validation), sa marge d’interprétation est importante. C’est bien le problème de la branche chimie. Le taux de rejet des accords y est si important qu’il fait craindre à Laurent Selles, directeur des affaires sociales de l’Union des industries chimiques (UIC), que les PME ne finissent par renoncer à présenter des accords. La première rédaction de la loi Travail semblait faite pour la branche chimie : elle prévoyait que les entreprises de plus de 50 salariés n’auraient plus à passer par un accord pour déployer le forfait-jours ; l’idée a ensuite été abandonnée.

Selon plusieurs observateurs, l’idéal, s’agissant des forfaits-jours, serait que les branches signent des accords. « Eu égard à la jurisprudence actuelle, restrictive, de la Cour de cassation, une solution serait que les branches sécurisent leurs accords sur les forfaits annuels en jours, afin de neutraliser en amont les risques juridiques ; toutes ne le font pas », constate Alexia Alart Mantione.

La commission de validation de la branche des bureaux d’étude semble mieux fonctionner. Marie Buard, de la fédération F3C CFDT, constate que le nombre d’accords (233) qui sont passés en commission de branche en 2014 a progressé de 20 % par rapport à 2013. Dans la branche de l’hospitalisation privée, 25 accords ont été soumis à la commission paritaire de validation au cours des deux dernières années (2013-2015) : 13 ont été validés, 12 rejetés. « Les rejets proviennent essentiellement du non-respect des procédures, explique Fabienne Seguenot, directrice des relations sociales et des ressources humaines à la Fédération hospitalière privée (FHP). Avec les organisations syndicales, nous sommes d’accord pour ne juger les textes qu’en conformité et non en opportunité. » Au contraire de son homologue de la chimie, elle estime que la négociation avec les élus est « une alternative intéressante, en l’absence de délégué syndical ».

1 200 accords par an

Globalement, peu d’accords sont sortis de ces commissions : moins de 1 200 par an en moyenne, calcule Pascal Geiger, fondateur du cabinet Dialogue social et compétitivité, auparavant représentant des pouvoirs publics dans plusieurs commissions paritaires de branche, en se basant sur les statistiques du ministère du Travail. Les raisons de cette production “epsilonesque” sont multiples : « Les organisations syndicales sont déstabilisées de voir les élus se substituer à elles ; elles craignent que les élus soient manipulés par les directions ; les conditions de mise en œuvre des commissions de validation sont lourdes ; il manque des élus formés à la négociation ; les représentants syndicaux et patronaux qui siègent à la commission craignent des réunions chronophages ; les chefs d’entreprise craignent un accord mal “ficelé” qui pourrait, en cas de jugement, se retourner contre eux ou l’entreprise ; certaines commissions ne se contentent pas d’apprécier l’accord en conformité. »

Dans son rapport d’évaluation de la loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale, le ministère du Travail conclut que « la possibilité ouverte à des représentants élus ou des salariés mandatés de négocier des accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux ne semble pas avoir porté atteinte aux prérogatives associées au mandat de délégué syndical ». Il est donc probable, comme l’affirme Michèle Rescourio-Gilabert, d’Entreprise & Personnel, que la grande majorité des PME renoncent aux accords en bonne et due forme et se « débrouillent autrement » (lire p. 24).

E. F.

Erratum.

Une erreur s’est glissée dans notre enquête « Comment organiser le travail des malades chroniques » du n° 1280 (page 23) : le secteur d’activité de l’entreprise Spie n’est pas le BTP mais l’énergie et les communications. Nos excuses à Spie et à nos lecteurs.

Auteur

  • Emmanuel Franck