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Philippe Détrie La maison du management

La chronique | publié le : 22.03.2016 |

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Philippe Détrie La maison du management

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Le bonheur au travail ? Et du caviar à la cantine ?Philippe Détrie a créé en 2014 La Maison du Management, dont la raison sociale est de développer un management responsable et entraînant pour l’ensemble des acteurs de la vie économique.

Quel est aujourd’hui le but ultime proclamé de nos vies ?

S’accomplir, être épanoui, être heureux. Que cela soit au travail ou dans nos vies personnelles : regardez le nombre de cartes de vœux que vous avez reçues en début d’année offrant des photos de famille unie, souriante, voyageant aux quatre coins du monde (drôles de vœux d’ailleurs que de s’autoafficher comme une famille parfaite). La quête du bonheur est l’impératif. Notre société d’abondance n’est plus la survie ou la solidarité, mais la recherche individuelle d’un eudémonisme euphorisant. La pression sociale pour réussir sa vie s’est fortement accrue par la perte de repères, qu’ils soient économiques, politiques, sociaux, religieux. Le mal-être devient un état honteux, la souffrance une maladie contagieuse, la précarité une faiblesse. Au travail, malheur à celui qui ne s’éclate pas dans son job. La réalisation de soi devient le must, avec sa cohorte d’offres de développement personnel. On connaît la promesse : “Le bonheur c’est maintenant !”

Comment cette exhortation au bonheur se traduit-elle dans l’entreprise ?

Incroyable comme, en quelques années, un glissement s’est opéré autour du champ sémantique du plaisir au travail. Nous avons démarré avec les conditions de travail, défendues fièrement par les CHSCT : on parlait climat social, ambiance d’entreprise. Puis la responsabilité morale de l’employeur a été décrétée, et les risques psychosociaux sont arrivés. Rapidement, une formulation positive a remplacé ces affreux RPS par la séduisante et prometteuse QVT : la qualité de vie au travail. Nettement plus glamour. Puis la convivialité et l’équilibre vie privée-vie professionnelle se sont révélés comme de nouvelles attentes puissantes des salariés, et particulièrement des jeunes : le bien-être est ainsi devenu l’impératif des entreprises innovantes. Et tous les médias se régalent à citer ces start-up qui fonctionnent en apesanteur organisationnelle et qui célèbrent la joie de chacun à entreprendre sa vie professionnelle.

Et nous voilà maintenant à lire des injonctions sur le bonheur au travail ! Les ouvrages sont nombreux : Le Bonheur au travail ; J’ai décidé d’être heureux… même au travail ; L’Entreprise du bonheur… Nous avons même dorénavant la première Université du bonheur au travail ! L’ancienne malédiction du travail se métamorphoserait-elle en volupté ?

Visons déjà le plaisir au travail.

Bien sûr qu’il faut militer pour cette idée, car, pour réaliser un rêve, il faut d’abord le rêver. Nous rêvons tous d’un travail librement consenti et épanouissant. Certains y arrivent, des artistes, des entrepreneurs, des gens riches qui choisissent leur travail… Cette ambition serait même un enjeu de santé publique, puisque « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin », ainsi que l’a écrit Voltaire.

Mais, pour de nombreux salariés, le travail est une obligation, et il reste encore beaucoup à faire pour limiter le stress et les souffrances. Les travailleurs n’ont pas le choix de leur job, de leurs objectifs, de leur chef, de leur environnement, de leur rythme de travail… Les accidents de vie sont fréquents.

Bien-être et bonheur me semblent des termes inadéquats et présomptueux : le premier me fait penser à un chat qui ronronne indolent près d’une source de chaleur ; le second à une promesse d’ordre spirituel, voire religieux.

J’ai déposé en 1997 l’expression : “L’entreprise où il fait bon travailler”. Elle me semble moins enivrante et plus accessible que les deux termes précédents. Commençons par développer le plaisir au travail et, d’abord, éliminer le déplaisir. Quand 100 % des salariés auront plaisir à travailler, la grève sera renvoyée à son sens premier : la plage !