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Les clés

Le délicat management la nuit

Les clés | publié le : 15.03.2016 | Florence Roux

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Le délicat management la nuit

Crédit photo Florence Roux

Gestion d’équipe. La nuit est un autre monde du travail. L’enjeu de santé est déterminant, comme le risque d’isolement, qui limite le sentiment d’appartenance à l’entreprise : les managers doivent réussir à suivre et à associer ces salariés de l’ombre, parfois jaloux de leur indépendance.

Gardiens, soignants, ouvriers, conducteurs… Les uns travaillent exclusivement la nuit et les autres, en “poste”, seulement en partie. Tous connaissent la rigueur d’un exercice entre le soir et l’aube. Leur encadrement, lui, s’adapte à la variété des contextes.

Dans l’usine MSSA, à Saint-Marcel (73), « on n’arrête presque jamais la fabrication de chlore et de sodium », explique Paul-Olivier Léon, DRH. Les 120 opérateurs se relaient donc en cinq équipes en 3 × 8, chacune pilotée par un “chef” qui travaille au même rythme. Aux Transports Perbet, à Saint-Étienne (42), « les 27 des 96 conducteurs livrent exclusivement de nuit, cinq jours par semaine, note Sandra Cellier, RRH. Parmi eux, certains sont des référents, relais des managers de jour ». Au Centre Léon-Bérard (CLB), établissement anticancéreux lyonnais, « 80 salariés, essentiellement des infirmières, gèrent la continuité des soins programmés de 21 heures à 6 h 45, précise Éric Peysson, leur supérieur hiérarchique. Chargé de la nuit, je suis l’un des cinq cadres de secteur du centre [Il est cadre supérieur, au même titre que ceux de médecine ou de chirurgie…, NDLR]. Je travaille de jour, mais suis relayé après 21 heures par deux managers de proximité ».

Les trois encadrants signalent que tout le monde ne supporte pas la nuit. « Mais souvent, on ne s’en aperçoit qu’en situation, remarque Paul-Olivier Léon. Le manager doit être très attentif à ceux qui ont vingt ans de poste : c’est là que survient la fatigue. Il doit prendre le temps de parler, repérer l’irritabilité, les absences, s’inquiéter de l’hygiène de vie. » Celle-ci doit être irréprochable, selon la RRH des Transports Perbet, qui ajoute : « La médecin du travail profite des deux visites annuelles pour les sensibiliser aux troubles du sommeil ou à l’alimentation. Et, dès le recrutement, nous nous assurons qu’ils ont l’expérience de la nuit. Bien sûr, ceux qui ne tiennent pas reviennent sans problème à un rythme diurne. »

Au centre Léon-Bérard, il y a une période d’adaptation de quatre à six mois : « Les infirmières qui choisissent la nuit par préférence supportent mieux la fatigue que celles qui s’y obligent pour l’organisation familiale, remarque Éric Peysson. Leur repérage est complexe. Mais, comme j’ai vingt ans de nuit, je sais expliquer les contraintes et l’intérêt de cet exercice. La nuit, on gagne en calme et en autonomie. Je m’efforce de déceler les motivations des candidates et leur goût pour l’indépendance, capital. »

Autre difficulté dans le management de nuit : la coupure entre personnels diurnes et nocturnes. Elle augmente le risque d’isolement et limite le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Le manager a donc un rôle capital de liaison. Dans l’usine savoyarde de MSSA, les cinq chefs d’équipe font ce lien avec la direction. « Nous les réunissons régulièrement, ils relaient nos messages et font remonter les informations du terrain », note Paul-Olivier Léon. Aux Transports Perbet, le poste de référent de nuit a été mis en place il y a quatre ans : « Il a fallu un peu de pédagogie pour le faire accepter, reconnaît Sandra Cellier. Les conducteurs de nuit aiment leur indépendance. Mais ils ont compris que les référents ne sont pas leurs supérieurs. Ils gèrent le relais avec les managers de jour et, la nuit, assurent le renfort ou l’alerte. Ils nous sont indispensables pour garder le contact avec ces personnels. » Dans beaucoup d’hôpitaux, les managers de jour croisent les soignants de nuit, qu’ils encadrent essentiellement lors des relèves, soir et matin. « Il est essentiel pour eux d’optimiser chaque réunion, analyse Lionel Vigne, consultant indépendant qui est intervenu auprès de plusieurs hôpitaux. En clarifiant au maximum leurs messages et en écoutant beaucoup. S’ils utilisent des outils numériques – intranet ou visioconférence… –, rien ne remplace leur présence la nuit, de temps en temps. Et la confiance. »

Solidarité et indépendance

Au CLB, la hiérarchie dédiée à la nuit permet vraiment de faire passer les informations et de structurer le management. « Les managers ont des réunions diurnes régulières, relève Éric Peysson. Mais ils gèrent beaucoup de choses la nuit, comme les entretiens individuels ou même certaines formations. Je les vois chaque soir et, bien sûr, je les aide à trouver des remplaçants en cas d’absence non prévue, voire les dépanne s’il le faut. La nuit, l’esprit de solidarité est aussi important que l’indépendance. » Le cadre supérieur ajoute : « Grâce à notre organisation, les salariés de la nuit sont aussi plus visibles et mieux considérés. »

Les conseils du coach

Marc Riedel

Consultant, chercheur en chronobiologie et sapeur-pompier

1

Soigner le recrutement

Il faut s’intéresser particulièrement au recrutement, car le turnover induit un coût masqué pour l’organisation. Certaines personnes sont intolérantes au travail de nuit, et il est difficile de les repérer à partir de simples déclarations. Dans les premiers mois suivant la prise de poste, on peut mettre en place une période d’essai et de mise en situation. Il faut alors observer, mesurer, poser des questions…

2

Être attentif à une inadaptation au travail de nuit

Les symptômes d’une inadaptation sont proches de ceux occasionnés par les RPS, car le métabolisme de la sérotonine est impacté. Les personnes sont irritables, dorment mal, présentent une fatigue chronique, des troubles digestifs, consomment des médicaments psychoactifs… Il faut aussi surveiller les accidents et les arrêts de travail. La collaboration avec la médecine du travail est nécessaire, mais on peut simplement être à l’écoute, observer les gens évoluer à leur poste…

3

Ne pas raisonner avec des références diurnes

L’erreur serait ici de raisonner avec des références diurnes. La nuit, tout est différent : performances, décisions, interactions sociales… Le manager doit connaître et respecter ces spécificités. Il peut aussi instaurer un cadre négocié, incluant des objectifs clairs et une souplesse dans les modalités d’organisation du travail, des temps de repos ou de sieste. Laisser les gens faire preuve d’initiatives, de solidarité : cela contribue à réaliser une prévention efficace.

Auteur

  • Florence Roux