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Santé : comment organiser le travail des malades chroniques

L’enquête | publié le : 15.03.2016 | V. L.

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Santé : comment organiser le travail des malades chroniques

Crédit photo V. L.

Les porteurs de maladies chroniques sont de plus en plus présents dans le monde du travail. Elles concerneraient 15 % de la population active. Les salariés atteints doivent non seulement faire face une épreuve personnelle mais aussi trouver les ressources pour continuer à exercer leur activité. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le collectif de travail. Les entreprises commencent à prendre conscience de l’enjeu.

En France, une personne sur quatre souffre d’une maladie chronique, quatre cancers sur dix surviennent avant 65 ans et, sur 1 000 personnes qui apprennent chaque jour qu’elles ont un cancer, 400 travaillent. C’est dire si le sujet des maladies chroniques ne peut rester extérieur à l’entreprise. D’autant que celles-ci ont un coût : absentéisme, présentéisme, perte de productivité.

Hypertension artérielle, diabète, asthme, cancer, polyarthrite, sclérose en plaques, sida, maladie de Crohn, etc., sont autant de pathologies qui se caractérisent par leur longue durée et qui, en règle générale, évoluent lentement. Leur variabilité et les incertitudes liées à l’évolution de la maladie peuvent donc perturber les collectifs de travail. « Les grandes entreprises se sentent d’autant plus concernées que 15 % à 20 % de leurs salariés sont touchés par une maladie chronique – soit plus de 150 salariés pour une entreprise de 1 000 salariés », souligne Thierry Breton, directeur général de l’Institut national du cancer (INCa) et président par intérim. Le troisième plan cancer 2014-2019 s’est fixé l’objectif d’augmenter de 50 % les chances de retour à l’emploi deux ans après le diagnostic, alors que le taux d’activité des personnes souffrant d’un cancer est passé de 88,2 % en 2010 à 79,9 % en 2012. Quant au plan santé au travail, il a fait du maintien dans l’emploi une priorité et a missionné l’Anact, en partenariat avec l’INCa, pour travailler sur ce sujet (lire l’interview p. 26).

Accompagner salariés et entreprises

Cette mobilisation vise à aider des entreprises démunies pour aborder un sujet qui reste certes encore parfois tabou, qui touche à la vie privée et à l’intimité de la personne, mais qui a une incidence sur le travail du salarié malade ainsi que sur celui de l’équipe.

Les directions se heurtent à une première difficulté : les salariés n’ont pas forcément envie de dévoiler leur situation. « Dans le contexte actuel, les personnes ont tendance à taire leurs problèmes de santé, constate Dominique Lhuilier(1), professeure émérite des universités (Centre de recherche sur le travail et le développement-Cnam). En outre, le malade au travail est une anomalie : il est censé être en arrêt maladie, or il est finalement de plus en plus présent. »

« Il faut commencer par accompagner la personne elle-même pour l’aider à partager et à vivre sa maladie au travail, avec son équipe et son manager », recommande Valérie Tran, présidente-directrice générale du cabinet Ariane Conseil. Le salarié est souvent peu au fait des dispositifs qu’il peut solliciter, notamment la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), et, quand il en a connaissance, « le terme handicap étant encore très connoté, il est difficile pour lui de se sentir effectivement concerné et d’engager la démarche de demande de reconnaissance », remarque Valérie Tran. Alors que 71 % des malades chroniques estiment que leur activité professionnelle est impactée par leur état de santé, seuls 69 % ont la RQTH, contre 85 % pour les personnels atteints d’un handicap, selon les résultats de l’observatoire QualiTHravail(r) sur la santé et la qualité de vie au travail des personnes handicapées ou en situation de handicap réalisé par Ariane Conseil auprès de 1 902 répondants, dont 419 malades chroniques.

« Par le biais de sensibilisations sur les maladies chroniques, nous avons tenté de montrer que le handicap n’était pas forcément définitif et que la RQTH peut être utile le temps de se rétablir », témoigne Hélène Chaze, responsable de la mission handicap Spie Ile-de-France Nord-Ouest (lire p. 23). En outre, le médecin du travail a justement pour rôle de proposer, si la maladie a un retentissement sur la capacité à exercer ses fonctions, « des aménagements du travail pour le rendre compatible avec la santé de la personne, indique le Dr Pascal Fau-Prudhomot, de l’ACMS. Nous dialoguons avec elle pour trouver un compromis acceptable, et nous pouvons lui expliquer quel peut être le dispositif le mieux adapté à son cas particulier ».

Handicap invisible

Autre point sensible pour les entreprises, “l’invisibilité” de la maladie perturbe la perception que le manager ou l’équipe vont avoir du travail du malade. Fatigue, retrait, absences, diminution de la performance pourront être perçus comme un désengagement, alors qu’ils sont les conséquences de la maladie. La méconnaissance des effets de la maladie ou des traitements est source de malentendus. Selon l’observatoire QualiTHravail(r), lorsque la situation de maladie chronique est apparente, les comportements des collègues en cas de difficultés sont significativement plus adaptés, tout comme la prise en compte par le management. Mais 93 % des répondants malades chroniques affirment souffrir d’un handicap invisible !

D’où les multiples initiatives associatives pour sensibiliser les entreprises sur le sujet (lire l’encadré ci-dessus) : « Nous recevons de plus en plus de sollicitations d’entreprises pour organiser des actions de sensibilisation, et nous aidons à faire comprendre les difficultés des personnes touchées pour déconstruire les préjugés », observe Muriel Londres, coordinatrice adjointe du Collectif d’associations [im]Patients, Chroniques & Associés(2), qui soutient les personnes atteintes par une maladie chronique et se bat pour la défense des droits et l’amélioration de la qualité des soins et de vie des personnes confrontées à des difficultés de santé.

Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France, qui intervient depuis deux ans auprès des entreprises pour leur expliquer « ce que c’est que de vivre avec des douleurs chroniques », est par exemple intervenue à la SNCF dans le cadre de conférences (lire l’encadré p. 22). « Je raconte notamment mon cas personnel, expose-t-elle. J’appartenais au personnel administratif d’une université et, de mon fait, j’ai demandé à régresser dans mes fonctions, à ne plus avoir aucun contact avec le public, et je ne disais pas pourquoi. Mais personne ne m’a demandé d’explications. J’avais peur que mes collègues aient une mauvaise image de moi. Mais en ne disant rien, j’ai créé moi-même la suspicion. »

Sensibilisation

C’est pour « libérer la parole », comme le dit José Félix, DRH du groupe Aldes, que les entreprises organisent de plus en plus de conférences sur le sujet. Dans la sienne, la première conférence organisée il y a environ douze mois avec l’association Entreprise et Cancer, a engendré, quelques jours après, un signalement de leur maladie par « deux ou trois personnes ».

« Une responsable de service est venue nous demander ce que l’on pouvait faire pour l’aider à annoncer à son équipe son absence pour traitement », poursuit le DRH. Selon lui, l’une des principales difficultés pour l’entreprise tient au fait qu’elle est « moins habituée à prendre en compte l’environnement social et la relation de la personne aux autres ». Autre exemple, le 26 février dernier, le Crédit mutuel Ile-de-France a lancé une formation avec Cap Santé Entreprise, auprès de tous ses managers, afin de leur donner les clés pour dialoguer avec un salarié malade et mieux prendre en charge l’équipe (lire p. 24).

De son côté, après avoir sensibilisé 300 000 salariés depuis 2014, l’association Cancer@Work, qui soutient l’insertion, le maintien dans l’emploi et l’amélioration de la qualité de vie au travail des personnes confrontées au cancer au travail, s’est donné pour objectif de sensibiliser d’ici à 2018 un million de salariés. Altran, Axa, Elior, Novartis, Roche et SNCF se sont engagées de manière formelle en signant la charte de l’association, par laquelle elles s’engagent à mettre en place des actions concrètes. L’engagement porte aussi sur la sensibilisation des RRH, des managers et des collaborateurs pour faire évoluer les représentations liées au cancer au travail, et sur l’aménagement de conditions de travail adaptées. L’association en fait un sujet de stratégie pour l’entreprise et fait toujours porter le projet par son dirigeant. « Nous avons aussi organisé des journées de codéveloppement, au cours desquelles les salariés proposent des solutions pour leur entreprise », mentionne Anne-Sophie Tuszynski, la fondatrice de l’association.

Assouplissement de l’organisation

Au-delà de la meilleure compréhension des relations interpersonnelles et des incidences de la maladie, la question de l’organisation du travail et de son assouplissement est centrale.

Le groupe agroalimentaire du Sud-Ouest Delpeyrat – qui a reçu le prix de l’Anact 2012 pour ses actions menées dans le domaine (lire Entreprise & carrières n° 1 130, et Travail et Changement n° 360, juillet-août-septembre 2015) – s’est par exemple organisé afin que l’information soit partagée entre la production, l’infirmerie et les RH pour permettre aux salariés de suivre leur traitement correctement, y compris lorsqu’ils travaillent sur une chaîne de production.

De son côté, Spie Ile-de-France Nord-Ouest aménage les horaires de salariés atteints de pathologies invalidantes ou facilite leur changement de poste pour les maintenir dans l’emploi, quand cela est possible. À la mairie de Bordeaux, seul un poste vacant peut être proposé pour un reclassement, selon les règles de la Fonction publique. Alors, pour pallier cette difficulté, la collectivité a créé dix postes tremplin, d’une durée minimale de six mois, intégrés à l’équipe RH, pour laisser le temps de se former, d’aménager le poste ou pour attendre qu’un poste se libère (lire p. 25).

Toujours dans le Sud-Ouest, et avec l’accompagnement de l’Aract Aquitaine (lire Entreprise et Carrières n° 1276), l’entreprise agroalimentaire Les Fermiers Landais a adopté un plan qualité de vie au travail pour mieux accueillir les salariés de retour d’arrêt maladie, avec à la clé une diminution du nombre de rechutes dans les six mois et une baisse du nombre de licenciements pour inaptitude.

Car une des clés pour mieux accompagner les retours d’arrêt maladie, que celle-ci soit chronique ou pas, est d’anticiper. Anticiper la répartition de la charge de travail en fonction par exemple de la date de départ du salarié pour ses soins ou préparer les aménagements de poste nécessaires.

Un regard positif

Le cabinet conseil Réhalto aide les entreprises à organiser le retour à l’activité de ses salariés pour le compte des organismes de prévoyance, après des arrêts maladie de longue durée. « Nous travaillons sur la nouvelle identité que la personne construit compte tenu de la maladie, indique Emmanuelle Fourcade, responsable du service réadaption. Nous l’aidons à porter un regard positif sur elle-même, car, à défaut, elle ne pourra pas défendre à nouveau son projet professionnel. Parallèlement, nous valorisons et renforçons les capacités fonctionnelles restantes. Si la réintégration au poste n’est pas envisageable, quel contre-projet trouver ? Notre service intervient pour guider la personne bien avant la visite de préreprise. »

Par ailleurs, souligne le Dr Vinh Ngo, médecin du travail et médecin-coordinateur au Ciamt (Centre interentreprises et artisanal de santé au travail), les médecins du travail peuvent aussi conseiller les entreprises dans leurs démarches de prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), avec l’aide des nouvelles technologies et en réfléchissant aux organisations de travail.

« Si on veut maintenir en emploi, il faut faire évoluer les salariés dans le temps, souligne Anne-Marie Waser, sociologue et maître de conférences au Cnam. De plus, pour les entreprises, c’est finalement une chance d’accueillir des salariés malades. Ils peuvent les inciter à adopter des rythmes vivables et soutenables par tous. »

Un foisonnement d’initiatives

Les initiatives se multiplient pour tenter de sensibiliser et d’accompagner les entreprises à la prise en compte des maladies chroniques. Exemples.

LE CLUB DES ENTREPRISES CANCER ET EMPLOI

Lancé par l’Institut national du Cancer (INCa), en partenariat avec le ministère du Travail et l’ANDRH, le Club des entreprises cancer et emploi est un « lieu de réflexion et d’action », selon Thierry Breton, directeur général de l’INCa et président par intérim. Les réunions du club comprennent un temps académique avec la présence d’un chercheur, et un temps d’échanges entre les responsables RH et santé des entreprises. L’idée est de partager les bonnes pratiques. « Nous travaillons notamment sur des outils d’information des managers, poursuit-il, afin de les aider à identifier les maladies chroniques de leurs collaborateurs et de les aider dans le parcours de retour ou de maintien de leur emploi. Ce travail de dialogue est d’autant plus important que, parfois, le manager réagit en mettant plus de pression sur une personne qui n’est plus aussi performante, ce qui ne fera qu’accentuer les effets de la pathologie… » Font partie du club : Afnor, Carrefour, Casino, Delpeyrat, Engie, la fondation Agir contre l’exclusion, Les Fermiers Landais, La Poste, SNCF et Sodexo.

LES EXPERIMENTATIONS LANCEES PAR LE RESEAU ANACT-ARACT (lire l’interview p. 26)

Le réseau Anact-Aract a été identifié par le plan cancer pour lancer une expérimentation avec l’INCa (Institut national du cancer) au niveau national, dans cinq régions.

CAP SANTE ENTREPRISE

Le fonds de dotation Cap Santé Entreprise, soutenu par le comité des Hauts-de-Seine de la Ligue contre le cancer, associe des représentants du monde de l’entreprise, des associations, des chercheurs et des membres du corps médical, et propose un programme pour trois ans – recoupant diagnostic, plan d’action, bilan et étude d’impact. Le Crédit mutuel Ile-de-France vient de se lancer dans la démarche (lire p. 24).

UN GROUPE DE TRAVAIL DE L’ANDRH

« À la suite de notre partenariat avec l’INCa (Club des entreprises Cancer et emploi, NDLR), nous allons lancer un groupe de travail sur les affections de longue durée, pour aborder non seulement la question du maintien dans l’emploi, traitée avec l’INCa, mais également le sujet de la prévention, annonce Laurence Breton-Kueny, DRH du groupe Afnor et membre du bureau national de l’ANDRH. L’idée est de faire remonter les bonnes pratiques de notre réseau pour pouvoir rédiger des préconisations d’actions pour les autres DRH, et faire changer le regard sur les maladies chroniques. »

UN GROUPE DE REFLEXION LANCE PAR ARIANE CONSEIL

À la suite des résultats de l’observatoire QualiTHravail(r) (lire p. 20) – l’étude sera renouvelée en 2017 –, le cabinet Ariane Conseil a lancé un groupe de réflexion sur les maladies chroniques, réunissant sociologues, entreprises, malades, associations, avec l’objectif d’aboutir à un livre blanc en 2017.

DES ETUDES SPECIFIQUES

> L’association François Aupetit (AFA) lance une étude nationale avec l’Ifop sur les conditions de vie dans l’emploi des personnes atteintes de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique. Cette étude a pour objectif de mieux comprendre leur ressenti et les difficultés rencontrées. Elle permettra d’identifier les besoins et de mieux y répondre, en engageant notamment des actions auprès de la médecine du travail et des entreprises. Résultats prévus en mai.

> Le baromètre Cancer@Work sur la prise en compte des situations de cancer en entreprise devrait être renouvelé fin 2016.

(1) Dominique Lhuilier et Anne-Marie Waser sont auteures de l’ouvrage Que font les 10 millions de malades ? Vivre et travailler avec une maladie chronique, Erès, janvier 2016 (lire p. 40).

(2) L’association publie un guide Maladies chroniques et emploi et un autre guide spécialement dédié à la Fonction publique territoriale, avec la Mutuelle nationale territoriale (MNT).

Auteur

  • V. L.