logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les clés

Succéder à …un manager charismatique

Les clés | publié le : 08.03.2016 | Marie-Madeleine Sève

Image

Succéder à …un manager charismatique

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Gestion d’équipe Surtout, s’interdire d’être le clone de son prédécesseur. Le manager qui remplace un chef talentueux a intérêt à lui emboîter le pas sur le plan professionnel pour ne rien briser. Mais aussi à affirmer son style personnel, avec pragmatisme et authenticité.

« Les deux que je préfère, c’est Jérémy et toi ! » Lorsqu’il entendit ce “compagnon” lui faire cette remarque, Arnaud Loulier – à peine promu chef d’atelier pour superviser la fabrication des pales (2009 à 2011) chez Airbus Helicopters (ex-Eurocopter) – décrypta vite le message : il allait devoir être à la hauteur de son prédécesseur : « J’ai pensé que passer derrière lui serait un handicap, car il avait introduit avec brio le lean manufacturing dans l’entité, montrant aux gens fort rétifs l’efficacité de ces méthodes venant de l’automobile. Et il avait enfilé un bleu de travail durant un mois pour travailler avec eux, ce qui lui a valu de gagner leur confiance. Il avait une aura, une vision, un sourire qui emportaient l’adhésion. » Du coup, Arnaud, pourtant déjà encadrant, s’est senti dans ses petits souliers durant quelques jours.

Succéder à un manager qui a bien réussi est moins difficile qu’on ne le pense. « De fait, les intéressés ne peuvent pas s’empêcher de se comparer au responsable précédent. Et l’“effet de contraste” peut être bloquant, explique Thierry Nadisic, professeur associé à l’EM Lyon Business School. Ils se mettent en situation d’être jugés, comme s’ils allaient devenir une bonne ou une mauvaise copie de celui – ou celle – d’avant. Or un manager doit se préoccuper de ce qu’il va apporter au groupe et non pas du regard des autres sur lui. »

Qualité du relationnel

Le maître mot, c’est l’authenticité. Le n + 1 a intérêt à rester lui-même, dans son style managérial et avec ses valeurs. Il prouvera sa légitimité par ses compétences et la qualité de son relationnel. Inutile donc de se comparer et de scruter sans cesse le rétroviseur. Dans le fond, le collectif a bien fonctionné, le terreau est plutôt favorable, la motivation et la solidarité sont là. « Dans un contexte apaisé, où celui qui s’en va est apprécié, le passage de relais en public entre le partant et l’arrivant vaut la peine, il marquera un continuum, ajoute Vincent Dicecca*, consultant chez CSP Formation. L’un se présente au groupe, l’autre l’accueille en exprimant sa confiance. C’est positif. » La période de recouvrement entre les deux pour les affaires courantes facilite par ailleurs la prise de poste. Entre Jérémy et Arnaud, à Airbus Helicopters, elle a duré dix jours. Et fut précédée d’un échange nourri entre eux, en vue de dresser l’état des lieux, d’expliciter qui faisait quoi, les aspirations individuelles et les traits de caractère.

Il s’agit ensuite de repérer les ingrédients du succès au cours d’une phase d’observation plus ou moins longue (un à deux mois). Arnaud Loulier a ainsi pris ce temps-là : « Je me suis dit : ne casse rien, écoute, apprends ; et je suis allé à la rencontre des 70 compagnons et de leurs contremaîtres au pied des machines pour dialoguer avec eux et saisir la façon dont l’atelier était organisé. » Le management baladeur – walking management – est judicieux pour établir le contact, donner des clés sur son rôle, saisir les rouages, identifier les besoins de chacun et rassurer.

Le face-à-face plus formel est aussi un bon outil, comme l’a manié durant trois semaines avec ses 40 collaborateurs Emmanuel Brinquin, directeur des opérations à Umanis (SSII, 2 000 salariés).

Au fil de cette exploration, tout nouveau chef s’apercevra vite que son prédécesseur, si brillant et talentueux qu’il fût, avait des faiblesses. C’est là-dessus qu’il peut s’appuyer, pour apposer son empreinte. L’idéal est de jouer la complémentarité d’approche avec lui et d’afficher l’amélioration de l’existant, tout en distillant des changements. Par exemple, Emmanuel, promu au début 2015, a vite saisi que si le directeur qu’il remplaçait était un stratège hors pair, un bosseur et un charmeur, celui-ci était parfois abrupt et ne savait pas se rendre disponible pour ses troupes. « Il mangeait toujours seul à midi. Moi, j’ai souhaité tisser des liens dans l’équipe. Un mois après mon arrivée, je les ai tous invités au grand complet à une soirée kick off [démarrage] en l’invitant au grand complet. Et cela s’est conclu avec entrain autour d’un cocktail. Du coup, j’ai instauré des déjeuners conviviaux trimestriels avec tous, mais en petits comités. »

Un plan d’action qui inspire

Arnaud Loulier, quant à lui, davantage “dans les finitions” que Jérémy, tourné vers le prospectif, a bâti un indicateur de suivi sur le lean manufacturing et créé le “flash 5” : des réunions bilan de cinq minutes tous les matins par équipe – quatre en tout – avec les compagnons et leur chef. Tout cela constitue les bases d’un nouveau « pacte managérial » entre le manager, son n + 1 et les salariés, selon la formule de Vincent Dicecca. Soit un plan d’action réaliste et ambitieux qui inspire et engage toute l’entité. Tel le kick off partagé d’Emmanuel Brinquin, où il a détaillé ses valeurs et ses convictions, la nouvelle organisation et l’objectif sur un an. « Toutefois, durant les six premiers mois, j’ai laissé davantage d’autonomie qu’auparavant aux collaborateurs, afin de découvrir leur potentiel. » Et de les responsabiliser !

Les conseils du coach

Thomas Flament

Responsable de l’ingénierie pédagogique en management chez Docendi.

1

Éviter d’imiter l’ancien chef

Il était tactile et tapait facilement sur les épaules de ses collaborateurs ? Il se permettait un langage familier ? Des rires sonores ? Inutile de vouloir le copier si cela ne vous correspond pas. Ce comportement était dans son tempérament, il passait bien, mais ce n’est pas le vôtre et il sonnera faux. En outre, sur le long terme, cela vous demanderait trop d’efforts et, de toute façon, l’équipe sentirait le décalage. Restez authentique, sincère, imparfait même. Assumez votre différence sans vous déprécier.

2

Annoncer des périodes d’essai sur les changements

Il s’agit de rassurer les gens. Expliquez-leur que vous allez, tous ensemble, tester des solutions diverses, de nouvelles orientations, des procédés innovants. Informez votre hiérarchie pour vous garantir son soutien. C’est capital ! Puis dites à l’équipe : « On se donne une semaine ou un mois pour voir si ça marche et, selon les résultats, nous validerons ou nous ajusterons. » En employant le “nous”, vous entraînerez toute la troupe. Et faites ce que vous dites pour rester crédible.

3

Rester attentif aux salariés “affectés” par le départ

Certains seront touchés par l’absence d’un manager avec lequel ils s’entendaient particulièrement bien. C’est une sorte de mini-deuil pour eux. Il faut les impliquer, les aider à se projeter dans ce que vous proposez de nouveau. Soyez à l’écoute de leur ressenti en poussant le questionnement : « Est-ce que ça te convient ? ». Sollicitez leur avis – « que verrais-tu comme aménagement ? ». Puis montrez-leur que vous en tenez compte. Ainsi, vous ferez passer le message qu’il y a une relation possible entre eux et vous.

* Auteur des 5 clés pour réussir ses premiers pas de manager, Dunod, 2014.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève