logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Anne Janand : « La mobilité interne est un outil RH insuffisamment exploité »

L’interview | publié le : 01.03.2016 | Violette Queuniet

Image

Anne Janand : « La mobilité interne est un outil RH insuffisamment exploité »

Crédit photo Violette Queuniet

Dans bien des organisations, le moteur de la mobilité interne s’est grippé. En cause : le changement du contrat psychologique, qui rétrécit l’horizon des salariés. Pourtant, avec une mobilité interne bien menée, les RH disposent d’un puissant levier de motivation.

E & C : Vous avez consacré une thèse à la mobilité interne dans les grandes entreprises. Est-ce une pratique bien développée ?

Anne Janand : Mon constat est que la mobilité interne est un outil RH insuffisamment exploité. Elle génère aussi un certain nombre de difficultés et de questionnements chez les collaborateurs. Pour résumer, quatre représentations de la mobilité interne émergent. Il y a la mobilité interne de type militaire, qui domine dans la banque de réseau. Elle est très organisée, avec des parcours pilotés par la filière RH. À l’autre extrême se place la mobilité interne darwinienne. Il faut progresser ou partir, dans une sorte de sélection naturelle complètement intériorisée par les collaborateurs. Les cadres doivent changer de poste tous les deux ou trois ans. Chacun doit être proactif, cultiver ses réseaux en interne. La filière RH intervient en appui, avec une connaissance pointue de chaque collaborateur.

Entre ces deux extrêmes, on trouve les mobilités internes browniennes et hypocrites. Dans le premier cas, l’entreprise – souvent publique ou d’origine publique – est une sorte de grand marché interne de l’emploi, où chacun doit trouver par lui-même sa nouvelle fonction. L’organisation soutient cette mobilité par des bourses d’emploi, des primes, des aides au déménagement et un système de classification favorable aux changements de poste. En revanche, comme le collaborateur gère seul sa mobilité, cela peut engendrer des carrières erratiques, un peu comme le mouvement brownien. Les risques de cette non-gestion de carrière sont le manque de sens, voire la perte d’employabilité.

Enfin, la mobilité interne hypocrite est ressentie ainsi dans les organisations qui prétendent gérer activement la carrière des collaborateurs alors qu’en pratique, c’est à chacun de trouver son prochain poste. C’est le cas par exemple dans la banque d’affaires. Pris entre deux discours, les collaborateurs ont le mal de mer : d’un côté, l’organisation prône la mobilité interne, de l’autre, les managers ne peuvent pas embaucher un collaborateur en interne qui n’a pas exactement le même profil que les experts de son équipe.

Comment expliquez-vous les ratés de la mobilité interne ?

Elle s’est grippée parce que le contrat psychologique a changé. Auparavant, ce contrat était relationnel : un échange entre des performances et une certaine forme de sécurité de l’emploi. Aujourd’hui, le contrat est plus transactionnel : on échange une performance contre une promesse d’employabilité. L’horizon s’est raccourci. Or la mobilité interne impose de sortir de sa zone de confort. C’est apprendre à lâcher des compétences immédiatement opérationnelles pour en acquérir des nouvelles. Comme les collaborateurs n’arrivent pas à visualiser leur carrière sur un horizon suffisamment long, ils ne sont pas encouragés à prendre ce risque. Par exemple, ils hésiteront à développer des compétences spécifiques à l’organisation mais qui seront moins transférables en externe. Si l’organisation ne met pas en place des filets de sécurité pour garantir une évolution en interne en échange de l’acquisition de compétences plus “corporate”, elle freine la mobilité.

Comment mieux la mettre en œuvre ?

Il faudrait l’ancrer mieux dans le contrat psychologique initial des collaborateurs, dès le recrutement. Cela leur permettrait d’avoir, dès le début, une vision plus claire de ce qui les attend. Il serait intéressant aussi de proposer aux salariés des moments de bilan, d’entretien avec de vrais professionnels de l’orientation. Un meilleur accompagnement humain est nécessaire pour prendre en compte les motivations des salariés. La filière RH doit avoir une dimension proactive : elle doit assurer ce rôle de conseil, de support à la réflexion auprès des collaborateurs. Il faut les aider à travailler la cohérence de leur parcours pour que le mouvement ne devienne pas agitation, mais soit bien construit en fonction de leurs motivations et de leurs compétences. Il faut aussi leur donner de la perspective pour les inciter à ne pas s’enfermer dans un poste et dans leur zone de confort.

Quels avantages l’entreprise peut-elle tirer d’une bonne gestion de la mobilité interne ?

Les avantages sont importants en termes de développement des compétences. De plus en plus d’organisations prônent le développement de “l’agilité apprenante”. La mobilité interne permet, précisément, de se remettre en question, d’acquérir de nouvelles compétences, d’être en mouvement. Son autre atout : sa capacité à redonner de la motivation intrinsèque aux collaborateurs. C’est un aspect très important auquel les gestionnaires de carrière doivent penser.

Pourquoi ?

Même si les motivations extrinsèques – salaire, environnement de travail… – restent importantes, les motivations intrinsèques sont un levier beaucoup plus puissant.

Le sens, la possibilité de choix, la mise en œuvre des compétences et leur reconnaissance, le sentiment de progrès sont quatre sources de motivations intrinsèques. Bien gérée par la filière RH, la mobilité interne permet de donner du sens. Passer d’un service à l’autre offre des clés de compréhension, aide à mettre plus de sens dans son travail. Quand la mobilité interne n’est pas imposée, c’est aussi un moment de choix. C’est également un moment de progression : quand la mobilité interne est horizontale, elle renforce les compétences et les connaissances et elle est source de reconnaissance – par les pairs, par des institutions extérieures – ; verticale, elle assure une progression hiérarchique ; “radiale”, elle rapproche du centre décisionnaire névralgique de l’entreprise.

Parce qu’elles ne sont pas conditionnelles à la performance, au succès dans le poste, mais sont données immédiatement par le travail lui-même, parce qu’elles ne sont pas dépendantes d’un tiers et qu’elles sont donc accessibles à tous, les motivations intrinsèques permettent d’insuffler de l’énergie aux salariés de façon durable.

Anne Janand Enseignante-Chercheuse en GRH

Parcours

→ Anne Janand enseigne la GRH à l’Istec. Diplômée de HEC, elle a travaillé dans la banque avant d’opter pour la recherche et l’enseignement.

→ Elle a rédigé une thèse de gestion sur la mobilité interne et le développement des talents, et a écrit des articles, dont “Quelle signification pour la mobilité interne des cadres ? La mobilité interne aux quatre visages” (Revue de gestion des ressources humaines, n° 96, 2015) et “La carrière intra-organisationnelle en mouvement : les apports du mouvement brownien à l’étude de la mobilité interne des cadres des grandes entreprises françaises” (Management et Avenir, n° 64, 2013).

Lectures

→ Contrats psychologiques et organisations, D. Rousseau, P. De Rozario, Y. Pesqueux, R. Jardat, Pearson, 2014.

→ Intrinsic Motivations at Work. What really drives employee engagement, Kenneth W. Thomas, Berrett-Koehler Publishers, 2009.

→ La Réalité de la réalité, Paul Watzlawick, Seuil, 1978.

Auteur

  • Violette Queuniet