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Gestion des Seniors : mieux préparer les fins de carrière

L’enquête | publié le : 23.02.2016 | H. T.

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Gestion des Seniors : mieux préparer les fins de carrière

Crédit photo H. T.

À compter de 2019, les salariés seniors devront repousser leur départ d’un an pour ne pas subir de décote sur leur retraite complémentaire. Mais cette population demeure, pour les entreprises, une variable d’ajustement. Les DRH disposent pourtant d’une palette de solutions pour assurer une meilleure transition entre l’emploi et la retraite.

Mobilisés sur la complémentaire santé, le compte pénibilité ou encore la négociation collective, les DRH n’ont pas vraiment le loisir de se pencher sur la question de la retraite de leurs salariés. Parce que celle-ci relève de “l’après”, « la première réaction des entreprises est d’ailleurs de dire que le sujet ne les concerne pas, observe Emmanuel Grimaud, président fondateur de Maximis Conseil (conseil en rémunération, retraite et stratégie de carrière). Or des salariés bien informés sur leur situation sont plus ouverts à la discussion sur l’organisation de leur fin de carrière ».

Et des discussions, il risque d’y en avoir beaucoup dans les années qui viennent. Si le relèvement progressif de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans a finalement fait peu de vagues dans les entreprises, le nouvel accord national interprofessionnel (ANI) relatif aux retraites complémentaires du 30 octobre 2015 ne va pas améliorer la visibilité, ou plutôt l’absence de visibilité des DRH sur les départs à la retraite. D’autant qu’il leur faudra composer aussi, à terme, avec le compte personnel de prévention de la pénibilité. Lequel permettra entre autres aux bénéficiaires d’utiliser leurs points pour partir se mettre au vert jusqu’à deux ans plus tôt. Une circulaire de la Cnav, publiée le 5 février, vient d’ailleurs préciser cette utilisation “retraite” du compte.

Coefficient de solidarité temporaire

L’ANI, lui, instaure notamment un coefficient de solidarité temporaire, qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2019 pour la génération 1957. Un système dit “à la carte”, mixant l’âge du taux plein et la durée de cotisation, expliquaient des représentants de l’Agirc-Arrco lors d’une séance de décryptage organisée par l’Ajis(1) en novembre dernier.

Concrètement, le salarié ayant liquidé sa retraite à taux plein dans le régime de base se verra appliquer un abattement de 10 % pendant trois ans (dans la limite de 67 ans) sur sa retraite complémentaire. Le coefficient ne s’appliquera pas si l’intéressé reporte son départ d’un an, la retraite complémentaire étant, en revanche, majorée – mais pendant un an seulement – de 10 %, 20 % ou 30 % pour un report de, respectivement, deux, trois ou quatre ans. Bref, face aux difficultés financières des caisses et sans jamais parler d’un nouveau report de l’âge légal, les partenaires sociaux ont bel et bien “dégainé” les premiers en actant un allongement de la durée d’activité.

Certes, l’échéance peut paraître encore lointaine. Cependant, « nous avons beaucoup de réactions des entreprises sur cette réforme, ainsi que, d’ailleurs, sur le compte pénibilité, constate Maud Vannier-Moreau, actuaire associée chez Galea & Associés. Cela suscite beaucoup de questions dans plusieurs domaines : quel sera le comportement des salariés face au coefficient de solidarité ? Quel sera l’impact sur le niveau des rentes de retraite supplémentaire ? Quid des congés de fin de carrière ? Sur ce dernier point, il semble que les entreprises aient, pour l’instant, l’intention de compenser l’abattement pour les salariés qui ne voudraient pas reporter leur départ d’un an ». Le cabinet estime, en tout cas, qu’il faudra étudier les accords d’entreprise au cas par cas (lire p. 26).

Obsession du taux plein

« La réforme des complémentaires risque tout de même d’activer les départs avant 2019, estime, pour sa part, Françoise Kleinbauer, Pdg de France Retraite (spécialiste de l’information retraite). Ensuite – mais l’âge légal n’aura-t-il pas été repoussé d’ici là ? –, il est probable qu’une part non négligeable de salariés restera un an de plus. » D’autant que, comme l’explique Emmanuel Grimaud, « l’obsession du taux plein est très forte, même si ce n’est pas forcément rationnel ». De fait, « pour un non-cadre, qui peut espérer un taux de remplacement de 70 %, l’impact du coefficient minorant sera de l’ordre de 3 % sur sa pension totale pendant trois ans, ce qui peut être considéré comme négligeable, considère Norbert Gautron, actuaire associé chez Galea & Associés. Pour un top manager, cela pourra atteindre 7 % à 8 % ». Jouer les prolongations pour éviter la décote ? « Encore faudrait-il que les intéressés aient le choix. Gardons à l’esprit qu’aujourd’hui, une personne sur deux partant à la retraite n’était pas en emploi !(2) », rappelle Françoise Kleinbauer.

Nombreuses ruptures conventionnelles

Les seniors demeurent en effet une variable d’ajustement, comme le montre notre dernier Baromètre Défis RH (lire Entreprises & Carrière n° 1246).

Ainsi, malgré une taxation plus forte, les employeurs continuent de recourir aux préretraites maison avec rupture du contrat de travail, révélait la Dares dans une étude d’août 2014. Et le nombre de ruptures conventionnelles qui, déplorait récemment le secrétaire général de Force ouvrière Jean-Claude Mailly, seraient parfois des préretraites déguisées, ont atteint un record en 2015 (plus de 358 000 ruptures homologuées, soit 25 000 de plus qu’en 2014).

Une situation qui n’étonne guère Éric Aubin, en charge du dossier retraite, chômage et pénibilité à la CGT (non signataire de l’accord Agirc-Arrco) : « Tous les dispositifs permettant de cesser le travail de façon anticipée ont été supprimés, à l’exception de la préretraite amiante et de la retraite pénibilité qui est conditionnée à une incapacité permanente. L’explosion des ruptures conventionnelles répond à cette situation. L’intérêt, pour l’employeur, étant de pouvoir faire partir des salariés à trois ans de la retraite, en sachant qu’ils seront portés par l’assurance chômage. » Ce qui, ajoute-t-il, coûte de plus en plus cher à la collectivité.

Françoise Kleinbauer le reconnaît : « La gestion des seniors ne va pas nécessairement dans le sens des politiques publiques, mais les entreprises gèrent les fins de carrière en fonction de leurs contraintes propres. »

La situation perdurera-t-elle ? Pas sûr : l’article 9 de l’ANI renvoie aux partenaires sociaux, dans le cadre de la négociation sur l’assurance chômage qui a débuté le 22 février, la tâche de proposer « la mise en place d’une contribution aux régimes Agirc et Arcco assise sur le montant des transactions accordées suite à la rupture du contrat de travail », en précisant « l’âge minimal des salariés concernés ». Par ailleurs, dans le cadre cette fois de la réforme du Code du travail, la ministre du Travail Myriam El Khomri réfléchit aussi à un nouveau plafonnement des indemnités prud’homales en fonction de l’âge et de l’ancienneté du salarié.

Des effets négatifs

En outre, les modes de séparation utilisés jusqu’ici ont leurs limites : « Un chèque n’efface pas la frustration et, parfois, la violence de la négociation d’une rupture conventionnelle. Et une mauvaise gestion des seniors a des effets négatifs sur la motivation de tous », juge Emmanuel Grimaud. De son côté, Éric Teboul, directeur du pôle benefits d’Adding (actuariat et conseil RH), considère qu’« une préretraite maison coûte quasiment aussi cher que de maintenir les collaborateurs en emploi, et a des effets pervers en termes de perte de compétences : ceux qui partent ne sont pas toujours ceux que l’entreprise voulait voir partir ! » Sans parler de la somme de travail qu’un plan limité dans le temps (pour gérer une réduction d’effectif ou une restructuration) représente pour la DRH. Ni de l’éventuel ressentiment des salariés qui n’y auront pas droit.

Des incidences qui incitent aujourd’hui certains employeurs à procéder autrement : « Il y a un intérêt qui se développe, quoique très progressivement, pour des schémas alternatifs permettant d’éviter la rupture brutale », observe Emmanuel Grimaud. Éric Teboul abonde : « On sent une volonté des entreprises d’accompagner leurs collaborateurs sur une meilleure transition entre l’emploi et la retraite, en leur donnant aussi une meilleure information relative aux conditions de liquidation de leur retraite dans les années à venir. » La politique seniors de la foncière Gecina en est une parfaite illustration (lire p. 25).

Cette nouvelle échéance liée aux complémentaires fournit du reste une occasion, pour les DRH, de remettre en lumière ou d’adapter des mesures de fin de carrière qui peuvent être contenues dans des accords de GPEC. « Avec des avantages octroyés aux salariés contre l’officialisation de leur date de départ », explique Françoise Kleinbauer. Dans son nouvel accord de GPEC (signé avant l’accord Agirc-Arrco), Nestlé France SAS actionne ainsi différents leviers, accompagnement à l’appui, pour aménager les fins de parcours et rajeunir sa pyramide des âges (lire p. 23).

Majoration des indemnités de fin de carrière, aide au rachat de trimestres, utilisation du compte épargne-temps pour l’aménagement de temps partiel – une mesure proposée chez le bailleur social Sia, qui n’a pas eu le succès escompté (lire p. 24), retraite progressive ou cumul emploi-retraite (lire p. 22) : « L’entreprise doit s’intéresser à l’intégralité de cette boîte à outils et prendre la mesure, d’un point de vue financier et organisationnel, de chaque dispositif pour répondre au mieux aux aspirations de ses collaborateurs – qui, pour la plupart, ne demandent qu’à partir plus tôt dans les meilleures conditions », soutient Éric Teboul. Un atterrissage en douceur dont la manœuvre la plus délicate, aux dires de plusieurs cabinets de conseil, consiste à enclencher le dialogue sur la retraite avec les salariés !

Des simulateurs pour y voir plus clair

Afin d’accompagner les assurés dans leur choix, l’Agirc et l’Arrco ont mis en ligne un simulateur. L’outil, qui doit pour l’instant être renseigné manuellement avec les données de l’estimation indicative globale (EIG) reçue à partir de 55 ans, devrait, pour cet été, fonctionner automatiquement avec les données réelles. Son extension aux 34 autres régimes de retraite est prévue pour septembre.

Mais plusieurs sociétés de conseil et d’information retraite proposent leur propre outil. Tel Simul-retraite.fr, développé par Maximis conseil, qui propose gratuitement aux assurés de simuler le montant de leur retraite à différents âges de départ. Une version entreprise (donc payante) pouvant être intégrée à l’intranet, permet aux DRH d’obtenir des informations collectives sur les départs, les taux de remplacement de certaines catégories de personnel, etc.

Adding a également mis au point, pour les entreprises, une plate-forme Web qui propose la réalisation d’un bilan retraite aux salariés de manière automatique (sans saisie de données de carrière), dont l’intérêt, précise la société de conseil, est de servir de base de discussion entre l’employeur et ses futurs retraités.

France Retraite s’est, pour sa part, concentré sur la retraite progressive, avec un outil qui permet aussi bien à l’entreprise qu’aux collaborateurs intéressés d’en calculer les avantages.

Association des journalistes de l’information sociale.

Selon la Dares, 47,9 % des 55-64 ans sont en emploi fin 2014 (Emploi et chômage des seniors en 2014, janvier 2016).

Auteur

  • H. T.