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Les objets connectés de santé séduisent les employeurs

Zoom | publié le : 16.02.2016 | Laurent Poillot

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Les objets connectés de santé séduisent les employeurs

Crédit photo Laurent Poillot

Les entreprises prêtes à équiper leurs salariés de petits outils de quantified self (mesure de soi) relient cette initiative à des démarches de qualité de vie au travail. Mais des précautions sont à prendre, pour que le suivi de l’état de forme ne dérive pas sur du diagnostic santé ni du profilage de salariés.

Ils mesurent vos pas, votre activité cardiaque, vos cycles de sommeil et le taux d’oxygène dans votre sang. Les bracelets connectés jouissent d’un effet de mode considérable, surtout chez les amateurs de fitness. Quinze millions de ces objets se vendront dans le monde en 2018, selon le think tank Idate, dont les études de marché évaluent le secteur des wearable technologies (technologies portables : montres, lunettes et bracelets) à 123 millions d’objets prochainement distribués. Sur un marché en progression de 70 % par an depuis 2014, ces traqueurs se voient parés de toutes les vertus pour lutter contre les maladies de longue durée. Le fabriquant Fitbit, dans ses argumentaires de vente, a avancé des statistiques éloquentes sur la réduction des risques de diabète, de certains cancers et des accidents vasculaires cérébraux.

Peu d’expériences françaises

Assureurs et entreprises s’y intéressent de plus en plus. Les premiers, très gourmands de data, le font dans une logique de prévention ou, parfois, de tarification adaptée à l’état de forme de l’assuré pour leurs contrats individuels. Les seconds l’abordent sous l’angle du bien-être, avec l’arrière-pensée de stimuler l’engagement des salariés, de diminuer des risques psychosociaux et donc d’absentéisme dans l’entreprise. Or en France, les premières expériences sont encore peu nombreuses.

Système apprenant

Harmonie Mutuelle a fait figure de pionnier en prenant deux initiatives. La plus récente a été de créer, en septembre, un comparateur de produits de santé connectés (www.guide-sante-connectee.fr) pour apporter aux consommateurs une aide au choix. Avant cela, début 2015, elle avait lancé l’application Betterise. Un système de coaching en ligne qui exploite, en les interprétant, toutes des données tirées de l’activité quotidienne. La plate-forme est utilisable par ordinateur, tablette ou smartphone. Il faut être adhérent à la mutuelle pour pouvoir ouvrir un compte, renseigner son sexe, son âge, sa taille et son poids, et enfin dire si on possède un objet connecté ou pas, afin de déterminer de quelle façon les données alimenteront le tableau de bord. Et, pour stimuler la demande, la prestation n’est pas facturée. L’assureur a inclus son coût dans toutes les cotisations, de l’ordre de « quelques centimes par adhérent ».

« Le système est apprenant, explique Pierre Brun, directeur de la stratégie de l’offre et de l’innovation d’Harmonie Mutuelle. Il envoie des cartes de dialogue qui fournissent des conseils de plus en plus précis, au fil des séances, ainsi que des conseils de santé. » Vingt programmes sont prévus sur différents thèmes (tabac, nutrition, poids, sommeil…) à suivre durant un à plusieurs mois, en complément de vidéos à consulter. « Les données collectées sont des données de comportement, pas de santé, précise Pierre Brun. Elles sont hébergées chez un tiers de confiance. Nous voulions garantir que ni l’assureur ni l’employeur n’y auraient accès. »

Harmonie Mutuelle voulait éviter l’exemple d’Axa, qui avait offert un podomètre Fitbit aux 1 000 premiers adhérents de sa mutuelle individuelle Modulango. Axa leur avait proposé d’avoir un droit de regard sur leurs données, en contrepartie de bons cadeaux pour des séances de médecine douce. « On considère que les données doivent rester la propriété de l’utilisateur. Sinon, en entreprise, cela pourrait servir à profiler les salariés », ajoute Pierre Brun. Selon lui, c’est déjà le cas en Suisse et en Allemagne.

Compagnons utiles ou simples gadgets ?

« En France, on n’est pas encore sur de la santé prédictive, mais plutôt sur une automesure », estime Frédéric Come, directeur des relations clients et innovation d’Apivia Mutuelle (ex-Smip). Pour lui, la question est de savoir si les objets de quantified self peuvent devenir des “compagnons utiles”, susceptibles d’être proposés dans le cadre de contrats collectifs, ou s’ils sont de simples gadgets.

Il y a quelques mois, il a mené à cet effet une expérimentation en interne et l’a proposée aussi à deux autres entreprises (une PME et bientôt une grande entreprise, dont le nom n’a pas été communiqué). Au sein de sa mutuelle (300 salariés) et dans une entreprise adhérente de taille comparable – la société d’expertise comptable Groupe Y –, les employeurs ont offert des objets connectés aux 50 premiers volontaires. Il leur a été proposé de participer à un challenge : accomplir le plus grand nombre de pas, par équipes, durant quelques semaines. Les données individuelles (nombre de pas, dénivelé, cycles de sommeil…) restaient consultables par les seuls intéressés. Seules les données collectives permettant de départager les équipes ont été utilisées, en l’occurence, le nombre de pas par jour et, accessoirement, le nombre de calories brûlées.

Résultats ? Selon les employeurs, l’appétence pour ce type d’objet est inégale. Or ce qui compte, c’est la régularité de l’usage dans le temps. Ce sont majoritairement des trentenaires et des “quadra” qui se sont montrés volontaires. Pas forcément sportifs. Mais tous curieux du quantified self. À la marge, de rares cas étonnants ont été repérés, comme cette secrétaire du Groupe Y qui marchait chaque jour plus de 10 000 pas (plus d’une heure), malgré son poste sédentaire, ou cette autre salariée non sportive d’Apivia qui s’est mise depuis à l’ultra-trail.

Être plus sensible à sa condition physique

« Un objet connecté joue sur le mental, explique Frédéric Come. Il favorise la prise de conscience sur sa sédentarité. Plus le corps est sollicité dans le sens de prendre soin de soi, plus la représentation des difficultés quotidiennes s’en trouve modifiée : les gens se sentent plus à l’aise. »

Autre conséquence, selon lui : en devenant plus sensibles à leur condition physique, les salariés ont fait aussi plus attention à leur alimentation.

« L’objet connecté peut favoriser les sujets de QVT, mais à condition d’avoir rempli, avant cela, ses obligations en matière de santé et sécurité au travail et de prévention des risques psychosociaux », souligne Lucy Hauss, directrice de DeuxpointCinq (groupe Psya). Cette société avait transposé le programme canadien de prévention “Ma santé, je m’en occupe” dans le groupe Apicil. Psya réfléchit à la possibilité de construire une offre globale de suivi des salariés, au moyen d’applications mobiles et d’accès à une plate-forme de médecins. Sa préoccupation : faire en sorte que l’objet soit un outil de suivi, pas de diagnostic. « En Amérique du Nord, la notion de ROI n’est pas taboue dans les politiques RH, observe Jérôme Bouchet, directeur opérationnel de Psya. Mais ici, il faut anticiper les réticences, comme celle à voir indexer la prime d’assurance à la santé réelle des salariés. »

Dérive possible

Diffuser les objets connectés en entreprise est un choix ambivalent, estime Dominique Steiler, directeur du centre de développement personnel et managérial de Grenoble École de management. « D’un côté, la technique fonctionne. Le bio feedback permet d’entrer dans une boucle d’apprentissages : la personne corrige d’elle-même un comportement par un autre. C’est donc une bonne idée. » Mais, d’un autre côté, « le système de croyances occidental est basé sur la performance individuelle et la compétition des hommes entre eux. Ce qui permet de justifier la compétition, c’est la mesure. Donc la possibilité d’une dérive managériale est toujours possible ».

Aux États-Unis, connecter les salariés permet de renégocier son contrat collectif

Les exemples d’utilisation massive d’objets connectés proviennent actuellement des États-Unis, où l’enseigne de distribution Target a annoncé son intention, en septembre dernier, d’équiper ses 335 000 salariés d’un bracelet Fitbit à 60 dollars, en espérant une substantielle remise sur ses coûts d’assurance maladie. Avant elle, BP en avait équipé 14 000 salariés (ainsi que 6 000 conjoints et 4 000 retraités).

Bien souvent, la contrepartie pécuniaire implique de récupérer les données personnelles des assurés. La start-up californienne Appirio aurait ainsi renégocié son contrat et obtenu une ristourne de 5 % pour ses 1 000 salariés, réalisant une économie de 280 000 euros. Mais l’assureur a aussi pris en charge les bracelets pour 400 volontaires, ainsi qu’un programme de bien-être plus complet permettant de partager les données… de seulement 100 volontaires.

Pour commenter cette tendance, le site d’information spécialisé Stuffi.fr a repris à son compte la notion quantified other (par opposition au quantified self, qui concerne le grand public) mise en avant par le journal Forbes. Il suggère que « les grandes entreprises seraient de plus en plus enclines à s’attacher les services de fabricants d’objets connectés pour réduire leurs coûts. Une façon de récupérer les données personnelles du plus grand nombre pour les analyser et en profiter ».

Auteur

  • Laurent Poillot