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L’enquête

Le mérite est utile mais ne suffit pas pour éliminer la discrimination

L’enquête | publié le : 16.02.2016 | C. S.-S.

Être meilleur apprenti de France augmente les chances d’obtenir un entretien de recrutement mais moins avec un nom à consonance maghrébine que française.

La Société nationale des meilleurs ouvriers de France, responsable du concours des Meilleurs apprentis de France (MAF), a souhaité utiliser le testing en 2011 pour prouver qu’être lauréat de ce concours permettait d’améliorer l’insertion professionnelle : « Nous sommes subventionnés par le ministère du Travail, qui nous demande un suivi des jeunes, explique Isabelle Muller, responsable du concours. Nous voulions savoir si une médaille leur donnait un avantage. » Une première campagne de testing, menée sur 548 offres d’emploi de plombier et de serveur, a permis de montrer que la mention MAF donnait un avantage, y compris par rapport à un candidat avec un niveau d’études supérieur : 22,2 % des candidatures CAP + MAF accèdent à un entretien d’embauche de plombier contre 15,3 % avec un CAP seul et 16,4 % avec un bac pro. « Le testing est concluant, se félicite Isabelle Muller, pas seulement pour les lauréats d’une médaille d’or nationale, mais également avec des médailles aux échelons départementaux et régionaux. »

Impact de la mention

Une seconde campagne, menée la même année par la même équipe de chercheurs du réseau TEPP-CNRS (fédération pluridisciplinaire de recherche sur le travail, l’emploi et les politiques publiques), a permis de comparer l’impact de la mention “un des meilleurs apprentis de France” selon l’origine des candidats, à l’entrée dans trois professions du bâtiment en tension : maçon, électricien et plombier. « Nous cherchions à examiner si cette récompense, levant toute ambiguïté sur la qualité d’un candidat, était susceptible d’annihiler la discrimination à l’embauche liée à l’origine », explique Pascale Petit, maître de conférences en sciences économiques à Paris-Est Marne-la-Vallée, chercheuse spécialisée sur les questions de discrimination.

Quatre candidats fictifs ont répondu à 301 annonces : un Français au nom à consonance française et un Français avec un nom à consonance maghrébine, avec ou sans mention MAF. Les résultats(1) montrent que, si la référence MAF est un avantage pour tous, y compris les jeunes d’origine maghrébine, son impact diffère selon l’origine : un candidat d’origine française augmentera de 7 points ses chances d’obtenir un entretien (passant de 13 % à 19,9 %), alors que celui d’origine maghrébine les augmentera de 4,7 points (passant de 10,6 % à 15,3 %). L’écart s’accentue pour un CDI : la mention MAF augmente de 12,3 points les chances du candidat d’origine française (passant de 10,4 % à 22,7 %), contre un coup de pouce de seulement 4,3 points pour celui d’origine maghrébine (passant de 6,7 % à 11 %). Ainsi, l’effort accompli par un jeune d’origine maghrébine ayant obtenu une médaille au concours des meilleurs apprentis de France lui permettra juste de se hisser au niveau d’accès à un entretien d’un titulaire d’un CAP au nom à consonance française n’ayant pas fourni cet effort.

« Même si la mention d’une médaille MAF ne constitue pas un signal parfait de productivité, elle devrait permettre à l’employeur de mieux l’apprécier, et l’effet de l’origine devrait être plus faible. Or tel n’est pas le cas », notent les chercheurs, qui soulignent que la discrimination liée à l’origine apparaît même comme plus marquée parmi les candidats faisant mention d’une récompense dans leur candidature (4,6 % d’écart de réponse pour MAF + CAP contre 2,4 % pour CAP seul). « C’est la manifestation que la discrimination existe et que ce qui la motive dans le cas examiné par ce testing relève davantage de préférences non justifiées que d’un raisonnement rationnel », assène Pascale Petit. Celle-ci invite à démultiplier les campagnes de testing pour vérifier que les résultats obtenus sont généralisables.

Les recommandations des chercheurs à l’issue de ce testing sont de mettre en œuvre « des moyens de remédiation aux discriminations permettant de lever l’incertitude sur la qualité des candidats lors des recrutements, mais également aux stéréotypes et aux préférences discriminatoires des employeurs, des salariés déjà en poste dans les entreprises et de la clientèle ».

(1) Publiés dans “Le mérite : un rempart contre les discriminations ?”, juillet 2015, Revue française d’économie.

Auteur

  • C. S.-S.