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La chronique juridique d’Avosial

Chronique | publié le : 09.02.2016 | Claire Le Touzé

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La chronique juridique d’Avosial

Crédit photo Claire Le Touzé

L’objectif clandestin du travail dissimuléCertains contentieux liés au forfait-jours font référence au travail dissimulé. Sa reconnaissance par les juges nécessite un acte délibéré de l’employeur.

La sanction du travail dissimulé fait peur, d’autant plus lorsque le risque de condamnation pénale est brandi tel un épouvantail, surtout face à des employeurs étrangers qui craignent l’aspect pénal d’un dossier. Mais le volet civil n’est pas neutre : en cas de rupture de la relation de travail, le salarié qui a travaillé pour un employeur dans les conditions du travail dissimulé peut prétendre à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire (art. L. 8223-1 du Code du travail).

Aujourd’hui, le travail dissimulé est allégué de manière extensive, voire abusive, notamment dans les contentieux relatifs à l’annulation des forfaits-jours.

En effet, le travail dissimulé peut être constitué par dissimulation d’emploi salarié ou d’heures travaillées, c’est-à-dire notamment lorsque le nombre d’heures de travail mentionné sur le bulletin de paie du salarié ne correspond pas à celui réellement accompli, sans que cela soit prévu par une convention ou un accord collectif d’aménagement du temps de travail (articles L. 8221-1 et suivants du Code du travail).

Concernant le contentieux du travail dissimulé dans le cadre de l’annulation d’un forfait-jours, le critère intentionnel est devenu la pierre angulaire de cette infraction. Les décisions permettent de déterminer les éléments qui, a contrario, seraient utilisés comme contre-arguments, et de justifier de l’absence d’élément intentionnel de la part de l’employeur :

– L’absence de convention de forfait individuelle préalable signée avec le salarié permet de caractériser l’élément intentionnel nécessaire à la reconnaissance d’une dissimulation d’emploi salarié (Cass. soc. 28 février 2012, n° 10-27.839). A contrario, la présence d’une convention de forfait individuelle permettrait de justifier l’absence d’élément intentionnel.

– Lorsqu’un système d’enregistrement des heures travaillées à l’aide d’un système de badgeage est mis en place, l’employeur ne peut ignorer les nombreuses heures supplémentaires accomplies par le salarié. Le caractère intentionnel du travail dissimulé est dans ce cas caractérisé (CA Angers, ch. soc., 31 mars 2015, n° RG 13/01949). A contrario, l’absence de décompte des heures pourrait permettre de justifier l’absence d’élément intentionnel.

– Le caractère intentionnel n’est pas caractérisé lorsque la mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli résulte d’un accord collectif prévoyant une quantification préalablement déterminée du temps de travail reposant sur des critères objectifs et fixant les modalités de contrôle de la durée du travail (Cass. crim., 16 avril 2013, n° 12-81.767). La présence d’un accord collectif sur l’aménagement du temps de travail permettrait de justifier l’absence d’élément intentionnel.

– De même pour la référence légitime à la convention de forfait : « En l’absence d’une intention coupable de la SA SAP France qui a pu, courant 2010-2011, légitimement se référer à la convention de forfait en jours au visa de la convention collective Syntec, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a débouté l’appelant de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé. » L’intention coupable était absente en l’espèce, l’entreprise ayant légitimement pu se référer à la convention de forfait-jours. (CA Paris, ch. 6-9, 15 avril 2015, n° RG 13/09056).

Enfin, il a été récemment jugé par la Cour de cassation que le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait annuel en heures, en application d’un accord collectif illicite (Cass. soc., 16 juin 2015, n° 14-16.953).

À ce jour, pour caractériser le travail dissimulé, les juges de cassation exigent donc un acte délibéré de dissimulation des heures supplémentaires, manifesté par une intention mesurable. En conséquence, les juges du fond devraient rejeter les demandes indemnitaires opportunistes en faisant une application raisonnée du travail dissimulé, sous peine de voir cette notion dévoyée.

La condamnation du travail dissimulé, au plan civil, devrait être réservée à des cas graves, qui, dans la pratique, se révèlent exceptionnels. Elle ne doit pas servir à tirer, encore une fois, un profit du mécanisme de l’annulation des forfaits-jours.

Auteur

  • Claire Le Touzé