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Espaces de travail : sans bureau mais sur mesure

L’enquête | publié le : 02.02.2016 | V. L.

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Espaces de travail : sans bureau mais sur mesure

Crédit photo V. L.

De plus en plus d’entreprises choisissent de ne plus attribuer de postes de travail individuels à leurs salariés. L’objectif est non seulement de faire des économies, mais aussi de répondre aux nouveaux besoins de collaboration. À chaque activité doit correspondre un espace adéquat : collectif ou individuel.

Accenture, Alcatel Lucent, Crédit agricole, Bouygues Télécom, Swiss Life, Cegid, Axa Tech, Bayer, Engie, Danone, Siemens, Orange… Toutes ces entreprises – et la liste n’est pas exhaustive – ont fait le choix radical de ne plus attribuer de bureaux à tout ou partie de leurs salariés. Dans un pays où ces derniers sont particulièrement attachés aux bureaux fermés – malgré la déferlante des open spaces depuis plusieurs années –, l’évolution est notable.

Comment expliquer un tel engouement ? La première réponse tient en un constat : le taux moyen d’occupation des postes de travail est de 57 %, selon CBRE WorkSpace. Un taux que confirme l’ensemble des aménageurs d’espace. Les économies de mètres carrés expliqueraient donc l’attrait des entreprises pour le passage au desk sharing (lire l’encadré ci-dessous).

Pour Siemens, qui a adopté la formule en 2014, l’espace occupé a été réduit de près d’un quart, ce qui permet une économie de 2,1 millions d’euros par an (lire p. 23). De son côté, Bouygues Télécom a réuni, après deux plans de départs volontaires, 7 500 collaborateurs sur un seul site, à Meudon (92), au lieu de deux auparavant.

Mais si la dimension économique n’est pas négligeable pour nombre d’entreprises, « ne plus attribuer de poste aux collaborateurs ne doit pas être une fin en soi, ce doit être la conséquence d’un constat que le travail a changé », rappelle Catherine Gall, chercheuse pour le fabricant d’équipements de bureaux Steelcase. Siemens, comme Bouygues Télécom et d’autres entreprises lient cette organisation spatiale des bureaux aux transformations du travail qu’elles encouragent.

Vers davantage d’activités collaboratives

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si « les RH prennent la tête de ce type de projet, davantage que les responsables immobiliers », observe Thierry Stievenard, directeur département grands comptes de CBRE WorkSpace. Prospectif, Pierre Bouchet, associé cofondateur de Génie des lieux, cabinet conseil en organisation de l’espace, envisage que « peut-être dans cinq, dix ou vingt ans, les immeubles seront occupés à 80 % par des activités dites collaboratives ».

Identifier les risques

Les bureaux partagés ne sont donc plus réservés aux consultants, commerciaux et auditeurs très nomades. « Tous les métiers peuvent être concernés, illustre Thierry Stievenard, mais il faut les aborder de façon différente : les services RH auront besoin de boxes spécifiques pour s’isoler et recevoir en tête à tête un candidat ou un salarié et les commerciaux devront disposer de lieux de rencontre. » À Engie, la DRH groupe est ainsi passée aux “espaces de travail dynamiques”, après une période de concertation et d’analyse des besoins avec les salariés (lire p. 25).

La phase d’étude d’impact en amont – qui peut durer quatre mois, selon CBRE – est essentielle à la construction du projet. « En fonction du degré d’acceptabilité de ce type d’aménagement, on identifie les risques sur les personnes et sur l’activité, précise Thierry Stievenard. Et il arrive que certaines entreprises abandonnent l’option desk sharing ». En général, les directions lancent des tests limités auprès de certaines populations. « Nous souhaitions que l’ensemble des salariés adoptent ces modalités d’organisation du travail dans les cinq ans suivant notre regroupement, rappelle Vincent Perrin, DRH de Swiss Life. Aujourd’hui, après trois ans, 50 % des effectifs sont passés en environnement dynamique contre 25 % à l’origine, et le concept est intégré dans notre culture. Nous avons procédé par étapes : groupe pilote de 30 personnes à l’origine, accompagnement par la formation et la communication autour du projet, et réunions d’expression sur les freins rencontrés. »

Le pionnier du desk sharing en France, Accenture, a d’ailleurs fait nettement évoluer son concept depuis 1995, pour le rendre moins « impersonnel ». À l’époque, les espaces individuels étaient réservables à l’avance et les salariés laissaient leurs affaires dans des caissons roulants, qu’ils récupéraient lorsqu’ils s’installaient à un poste. En 2010, avec le projet d’entreprise Moving forward, « nous avons abordé la question de la flexibilité des espaces de travail au sens large, affirme Marc Thiollier, directeur général d’Accenture France. Nous avons analysé les différentes situations de travail possibles et étudié comment répondre aux besoins des salariés. De 200 situations de travail identifiées, nous sommes parvenus à une typologie de 15 espaces ».

Analyse des comportements

C’est ce même type de réflexion selon les usages des collaborateurs qui a été opéré chez Bouygues Télécom. Après avoir constaté avec l’aide du cabinet OZ Consulting et Services que les salariés étaient absents de leur poste la moitié du temps, l’opérateur a analysé plus finement les comportements, service par service. « Nous avons déterminé des territoires d’équipe et retenu une proportion de 100 bureaux pour 115 collaborateurs. Pour les commerciaux, le ratio est de 1,3 », indique Philippe Cuenot, DRH de Bouygues Télécom. Pour répondre aux besoins identifiés, différents espaces ont été imaginés. Par exemple, pour le travail personnel, des cabines pour téléphoner ont été créées afin de s’isoler. Une quiet room, sorte de bibliothèque où il est interdit de parler, permet de se concentrer sur la lecture d’un document. Pour les espaces collaboratifs, le choix est vaste : boxes (non réservables) pour se retrouver à 2, 3 ou 4 personnes ; une lounge cafétéria pour des réunions informelles ; un Openmind Kfé et des salles de créativité, où on peut écrire sur les murs et où le mobilier peut bouger. Selon une enquête de perception publiée fin décembre, 83 % des salariés disent que leur espace de travail est approprié à leur activité. « Même s’il y a eu une période d’adaptation, le fait de créer de nouveaux espaces informels a été bien perçu », reconnaît, de son côté, Nicolas Faber, DSC CFTC de l’opérateur.

« Les bureaux non attitrés peuvent être bien acceptés, à condition que ce choix s’accompagne d’un vrai processus de télétravail et de la confiance du management. Sinon, c’est vécu comme une perte », analyse Élisabeth Pélegrin Genel(1), architecte DPLG, urbaniste et psychologue du travail. De fait, l’ensemble des entreprises qui s’orientent vers les bureaux partagés couplent cette organisation au développement du télétravail. « C’est un gain d’espace et de coût pour l’entreprise et, de leur côté, les collaborateurs obtiennent plus de confort personnel : nous sommes donc dans une posture gagnant-gagnant », fait valoir Philippe Cuenot. Même tendance chez Accenture, où seules 750 places existent au siège du 13e arrondissement de Paris, pour plus de 3 000 collaborateurs (dont environ 80 % sont nomades). « Aujourd’hui, 80 % des assistantes télétravaillent entre un et deux jours par semaine, indique Marc Thiollier, et 65 % à 75 % de nos fonctions sédentaires. Globalement, nous comptons 70 % de télétravailleurs. »

Conditions de travail dégradées

Toutefois, certains syndicats dénoncent les conditions de travail détériorées et l’utilisation inappropriée du télétravail. Chez Accenture, Jérôme Chemin, DSC CFDT, constate que les lundis et vendredis, les jours où davantage de consultants sont présents en retour de mission, « certains travaillent sur les paliers, dans les escaliers et dans les cafétérias, ce qui risque de renforcer des attitudes d’isolement et leur faire demander un maximum de télétravail ». En outre, le syndicaliste souligne le danger de prendre au pied de la lettre un taux d’occupation, qui ne reste qu’une moyenne.

De son côté, Martine Bayard, déléguée syndicale FO chez Orange, affirme recueillir « des témoignages de salariés tels que : si j’arrive trop tard, je n’ai plus une bonne place, alors je vais télétravailler. Le télétravail devient ainsi une conséquence des mauvaises conditions de travail. C’est pourquoi, quand nous négocions avec la direction, nous insistons sur le fait qu’il ne faut pas systématiser les open spaces et le desk sharing car ce n’est pas adapté à tous et le télétravail doit rester volontaire ».

Numérisation

Autre prérequis des postes de travail non attribués et corollaire du déploiement du télétravail : il faut anticiper la numérisation de la documentation papier. Car si l’on ne peut plus la stocker dans des armoires et si l’on veut pouvoir travailler en mobilité, c’est indispensable. « Dans les compagnies d’assurance, nous avons beaucoup de documentations imprimées, rapporte Vincent Perrin. Nous avons donc modifié nos process de fonctionnement en généralisant la gestion électronique de nos documents (GED). Par exemple, à la DRH, nous avons dématérialisé l’ensemble des dossiers du personnel sur une plate-forme. En outre, nous pouvons lancer nos impressions à distance, y compris sur un autre site de Swiss Life. » Par ailleurs, chaque collaborateur est équipé d’un PC portable, d’outils de messagerie interne et instantanée, de webcams pour organiser des visioconférences.

Accenture est même allée très loin dans la diffusion des technologies, et notamment l’équipement de salles de visioconférences. L’entreprise a mis l’accent sur le développement de solutions de collaboration à distance, des écrans qui permettent d’annoter en direct, ou qui se divisent en multifenêtres. « L’utilisation de ces outils a augmenté ainsi que le nombre de salles dédiées », affirme Marc Thiollier. Une autre nouveauté a beaucoup changé les choses, selon lui : le planning affiché devant chaque espace réservable, ce qui permet aussi de gérer l’instantané et d’organiser une réunion au dernier moment. Un outil qu’adoptent de plus en plus d’entreprises.

Par ailleurs, souligne Marc Thiollier, « nous encourageons nos salariés à ne pas s’approprier les espaces, à ne pas s’installer tous les jours à la même place. Et quand ils s’absentent pour une réunion, ils libèrent l’espace. Le système marche si tout le monde joue le jeu ». L’éditeur Cegid a lui aussi instauré des « règles de bonne conduite », afin d’éviter la surutilisation des espaces partagés par les mêmes salariés, mais aussi pour sensibiliser ceux-ci au bruit dans les espaces partagés.

Un argument d’embauche

Et ces évolutions semblent particulièrement convenir aux jeunes générations. « Le bien-être au travail est de plus en plus important pour les jeunes générations, qui veulent avoir un cadre de travail favorable », avance Pierre Bouchet. Chez Vodafone, aux Pays-Bas, « 81 % des employés disent que cette organisation est un élément majeur pour les inciter à rejoindre l’entreprise, car elle leur accorde plus de liberté et une meilleure conciliation entre leur vie privée et leur vie professionnelle », signale Catherine Gall.

Mais la position la plus difficile reste peut-être celle des managers. Non seulement on les dépossède d’attributs du pouvoir (lire ci-contre), mais le télétravail les oblige à organiser la présence des équipes et à bien anticiper le fonctionnement des collectifs de travail en espaces partagés (lire l’interview ci-dessous). D’où l’importance de bien les accompagner et d’organiser des formations.

Desk sharing et free seating, même combat

Depuis que le concept a été développé en France par Accenture, le vocabulaire relatif aux bureaux partagés (desk sharing) varie en fonction des entreprises, avec en général l’option de le formuler en anglais.

Flex office semble assez répandu, Bouygues Télécom l’a adopté et c’est aussi la formule qu’emploie BNP Paribas pour son expérimentation en cours depuis presque un an, avec la centaine de salariés de l’activité immobilier exploitation (Imex). Engie et Swiss Life, accompagnés par Colliers, parlent « d’environnements de travail dynamiques », pour insister sur l’accès à différents types de postes, en fonction de son activité. Free seating a également cours chez Accenture. Et pour tous, on adopte la politique du clean desk, bureau propre, car il faut ranger ses affaires et libérer l’espace.

Le cabinet Génie des lieux a de son côté développé la solution “bure@ulib*, une nouvelle offre globale de services, partant du constat que le travail devient de plus en plus nomade, investit aussi les tiers lieux et le domicile. Les collaborateurs doivent pouvoir choisir où travailler et trouver des solutions correspondant à leurs besoins de mobilité interne et externe.

(1) Auteure de Comment (se) sauver (de) l’open space ?, Éditions Parenthèses, à paraître le 4 février 2016.

* Pour en savoir plus : “Guide Génie des lieux 2016. Guide des bonnes pratiques pour la performance et le bien-être dans les espaces de travail”.

Auteur

  • V. L.