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Quelle place pour les victimes de handicap psychique ?

Zoom | publié le : 12.01.2016 | Marie Albessard

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Quelle place pour les victimes de handicap psychique ?

Crédit photo Marie Albessard

L’intégration des personnes handicapées psychiques va devenir un enjeu de plus en plus fort pour les entreprises, car les maladies psychiques toucheront « une personne sur quatre au cours de leur vie », selon l’OMS. Dix ans après la loi reconnaissant ce handicap, une étude a été menée à Lyon sur l’insertion dans l’emploi.

Un quart des personnes sont ou seront touchées par une maladie psychique au cours de leur vie, prévient l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les entreprises, déjà confrontées de fait à ce handicap “invisible”, doivent réfléchir à la façon de le gérer. Car ces maladies spécifiques (schizophrénie, dépression grave, troubles névrotiques obsessionnels, troubles bipolaires, autisme…) affectent la pensée, la perception, la communication, l’humeur ou encore la concentration.

Le handicap psychique est reconnu en tant que tel depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Celles atteintes d’une maladie mentale peuvent donc demander la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), délivrée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). La RQTH signifie que ces personnes souffrent d’une pathologie psychiatrique lourde, installée dans le temps et invalidante.

Précisément, à l’occasion du 10e anniversaire de la loi de 2005 sur le handicap, l’association Handi Lyon Rhône (qui agit pour l’emploi des personnes handicapées et accompagne les entreprises dans la mise en place de leur politique handicap) a conduit une étude sur ces handicaps psychiques et le monde de l’emploi, rendue publique en octobre 2015.

Objectif : répondre au besoin d’information sur ce handicap formulé par les professionnels de l’insertion et comprendre les difficultés d’accompagnement des personnes bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé psychique.

Aucune base de données spécifique

Handi Lyon Rhône a interrogé 210 employeurs, responsables RH et référents handicap, 80 professionnels de l’insertion et de l’emploi du Rhône. « La prise en compte du handicap psychique est une question économique centrale pour les entreprises, pointe Sarah Lamandin, chargée de mission et de recherche à Handi Lyon Rhône. Des arrêts de travail pour une souffrance psychique, c’est dramatique sur le long terme. » Plus précisément, les résultats de l’enquête révèlent un déficit d’information quantitative sur le handicap psychique : aucune base de données spécifique n’existe, car ce sujet est à la croisée des secteurs emploi, santé et social, qui n’ont pas l’habitude de dialoguer. « On ne peut pas se fonder sur la RQTH pour connaître le nombre de personnes qui souffrent de maladie psychique, car on en raterait une bonne partie. Il y a un fort phénomène de déni, dû aux stigmatisations sociales, et beaucoup ne la demandent pas », explique Sarah Lamandin.

Déficit d’information qualitative

Deuxième constat : un manque d’information qualitative. En effet, l’enquête d’Handi Lyon Rhône démontre aussi que les maladies psychiques sont encore associées à la folie et suscitent de la crainte. « Les résistances les plus importantes à l’embauche proviennent davantage des professionnels de l’insertion, qui mesurent les difficultés d’intégration, alors que les employeurs semblent plus enclins à essayer », constatent les auteurs de l’étude. De plus, les entreprises éprouvent des difficultés à prendre en compte ce handicap, car il touche les habiletés sociales élémentaires (capacité à évoluer en société, à se concentrer…) et demande des aménagements d’organisation (réduction des heures de travail…). « Lorsqu’un salarié est en fauteuil roulant, on élargit les portes, on installe des ram pes… On sait le faire. Lorsqu’il s’agit d’un handicap psychique, on doit s’intéresser au dialogue avec la personne. C’est plus compliqué », abonde Anne-Marie Guiffray-Serve, chargée de mission handicap à la Métropole de Lyon (lire l’encadré p. 8). « L’enjeu, c’est le maintien en emploi : on réfléchit à un aménagement du poste, des horaires et des missions, continue-t-elle. On doit être vigilant, car cela impacte aussi l’environnement du collaborateur et le collec tif : par exemple, si un salarié est plus lent, les autres peuvent craindre une surcharge de travail. »

Conséquence : ce manque d’information génère une perception négative du handicap psychique, aussi bien chez les employeurs que chez les professionnels de l’insertion, ce qui freine l’intégration des personnes concernées. Afin de faciliter cette insertion, selon Handi Lyon Rhône, il est nécessaire pour l’entreprise de bien s’entourer. Par exemple, en faisant appel à une structure comme Cap Emploi pour le recrutement, en mettant en place des stages afin d’insérer progressivement la personne handicapée dans l’entreprise, ou encore en organisant des moments d’information et de formation pour les autres salariés.

Au final, l’étude d’Handi Lyon Rhône désigne le management comme « la clé de voûte et la solution principale » et préconise un accompagnement humain du salarié par son encadrant. « Par exemple, le manager peut tenir compte de l’anxiété du salarié en évitant de le submerger de travail ou de le changer brusquement d’environnement », dit Sarah Lamandin.

« Management bienveillant » chez Artibois

Artibois, entreprise adaptée (EA) de menuiserie basée au nord-est de Lyon, a embauché 16 personnes bénéficiant de la “RQTH psychique” en CDD, en CDI ou en CDD d’apprentissage. Les candidatures ont transité soit par une structure d’insertion spécialisée, soit par Pôle emploi, ou bien ont relevé d’une initiative personnelle. « Personne à Artibois n’est formé au handicap psychique. Nous ne sommes pas spécialisés dans ce handicap, mais dans l’accompagnement des personnes qui en souffrent, précise Chloé Valla, chargée d’insertion. Les encadrants techniques – menuisiers et peintres – sont recrutés sur leurs compétences métiers, mais aussi sur leurs qualités pédagogiques, car ils encadrent en compagnonnage une personne handicapée. L’accompagnement est rassurant pour le salarié, il permet de travailler en équipe tout en étant délesté des aspects stressants », continue-t-elle.

Les encadrants sont en revanche sensibilisés dès leur entretien d’embauche au projet social d’Artibois et se réunissent tous les deux mois avec Chloé Valla pour échanger sur leurs pratiques. « Avec les personnes qui ont ce type de handicap, assure cette dernière, il faut surtout être à l’écoute et sensible à leur volonté de réussite : c’est faire preuve d’un management bienveillant. Il est difficile de connaître les besoins du salarié, à cause d’un déni ou d’un manque de conscience de la maladie. Il faut donc être attentif : un travail moins soigneux ou des retards peuvent signifier que la personne ne va pas bien. Cela nous apprend beaucoup en termes d’audace managériale : lorsqu’il y a un problème, on se remet en question, on essaie de trouver des solutions individualisées », explique-t-elle.

Formation
Des journées d’information collectives sont envisagées à la Métropole de Lyon

À la Métropole de Lyon (9 000 agents), Anne-Marie Guiffray-Serve, chargée de mission handicap, envisage diverses initiatives pour réussir l’insertion des travailleurs atteints de maladies psychiques : se mettre en relation avec un hôpital psychiatrique pour créer un réseau de conseil, organiser des formations pour les managers et d’autres pour ceux qui encadrent une équipe avec une personne en situation de handicap psychique. Cette formation, qui pourrait prendre la forme d’échanges hebdomadaires avec un psychologue, permettrait au manager d’être accompagné le temps nécessaire.

Des mesures rendues indispensables, selon la chargée de mission, par des « difficultés de compréhension » des maladies psychiques. « Un jeune agent autiste, qui travaille dans un restaurant administratif, est victime au quotidien de la violence verbale de ses collègues, explique-t-elle. Et ce, malgré deux réunions d’information d’un médecin spécialisé auprès de l’équipe, malgré l’intervention chaque semaine d’une psychologue auprès du salarié à la demande de ses parents, et malgré une étude du service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth), qui a recensé les difficultés auxquelles cet agent est confronté ».

Auteur

  • Marie Albessard