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Base de données économiques et sociales : l’outil ne fait pas le dialogue

L’enquête | publié le : 12.01.2016 | E. F.

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Base de données économiques et sociales : l’outil ne fait pas le dialogue

Crédit photo E. F.

Seules quelques entreprises se sont réellement approprié la base de données économiques et sociales (BDES). Cet outil, qui devait permettre aux directions et aux représentants du personnel de parvenir à un constat partagé sur la situation de l’entreprise, est vécu par les premières comme une contrainte et n’est guère utilisé par les seconds.

Une obligation de plus ! Tel est le sentiment qui prévaut majoritairement dans les directions des ressources humaines vis-à-vis de la base de données économiques et sociales (BDES), un an et demi après la date butoir pour sa mise en place. Voulue par les signataires de l’ANI du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi et par la loi du même nom votée au mois de juin suivant, la BDES devait être, selon ses promoteurs, « une ambitieuse modalité de partage, avec les représentants des salariés, de l’information stratégique de l’entreprise dans les domaines économiques et sociaux ». Juridiquement, la base de données est en effet le “support” de la nouvelle consultation du CE sur les orientations stratégiques de l’entreprise. La loi Macron lui ajoutera ensuite un objectif de simplification, considérant que la mise à disposition actualisée des informations dans la BDES vaut leur communication au comité d’entreprise. Les sociétés avaient jusqu’au mois de juin 2014 pour mettre en place la base (juin 2015 pour celles de moins de 300 salariés), mais ces échéances n’étaient pas vraiment impératives, l’administration du travail ayant décidé de laisser du temps aux entreprises. Il est donc probable, même s’il n’existe pas de bilan officiel, que toutes ne se sont pas conformées à leur obligation.

Pour les auteurs du “Guide de la BDES”(1) : « L’ambition est claire : transformer en profondeur la culture du dialogue social français par le partage d’un diagnostic économique et social. » Regrouper les quelque 80 indicateurs épars dans divers rapports et les actualiser afin d’en faciliter la consultation, donner de l’information prospective afin de sortir le social de la logique de bilan et lui conférer ainsi une dimension stratégique susceptible d’intéresser les élus et le codir, afin qu’ils parviennent à un diagnostic partagé : tel était le scénario imaginé par les inventeurs de la BDES. Il ne s’est pas (encore ?) réalisé.

« Coûteuse et inutile »

« La base de données a été globalement mal accueillie par les entreprises. Sa mise en place est perçue comme une obligation formelle de plus, coûteuse et inutile », expliquait le Medef dans son bilan de l’ANI, publié en mars 2015. Sondés au mois de juin dernier(2), les responsables SIRH estimaient que la BDES était une complexification pour l’entreprise ou qu’elle ne changeait rien ; seuls 5 % pensaient qu’elle simplifiait les choses. Il est vrai que les responsables SIRH n’ont guère été associés à son élaboration et qu’ils se sont simplement vu passer commande, par la DRH, d’une solution rapide et conforme, ainsi que le constate Michèle Rescourio-Gilabert, d’Entreprise & Personnel (lire son interview p. 25).

Il apparaît également que la BDES a rarement été négociée entre partenaires sociaux, malgré la recommandation des pouvoirs publics : rares sont les accords d’entreprise signés sur ce sujet. Signalons tout de même ceux de Carrefour (lire p. 23), de Thales, d’Areva, de Capgemini(3) ou encore de la banque publique d’investissement Sfil (lire p. 21). Mais la règle générale est plutôt qu’il n’y a eu que « des échanges avec les représentants du personnel », relève Xavier Monmarché, directeur commercial de Docapost, prestataire de BDES. Selon Patrice Poirier, Pdg de Sigma RH, un autre prestataire : « Les entreprises cherchent d’abord à se mettre en conformité, et, dans neuf cas sur dix, il s’agit d’une conformité minimale. Elles ne cherchent pas à négocier avec leurs syndicats. Peut-être les choses vont-elles changer dans un an ou deux ? »

Risques juridiques

À quelques rares exceptions près, les entreprises – quand elles se sont dotées d’une BDES – ont adopté une approche juridique, les yeux rivés sur les risques et sur le décret. Selon Xavier Monmarché, elles recherchent, en faisant appel à un prestataire, un outil qui « réponde à la loi, permette de gérer les droits d’accès des représentants du personnel à la base, sécurise les informations et les trace, afin de pouvoir répondre à une éventuelle accusation d’entrave ; mais aussi qui soit ergonomique, afin de répondre aux attentes des représentants du personnel ».

Les syndicats et la direction de la banque Sfil ont été particulièrement sensibles à ce dernier point (lire p. 21). Leur BDES a été négociée et réalisée sur mesure ; elle remplace déjà les rapports récurrents transmis au CE, et il est prévu que son architecture s’adapte au regroupement des informations-consultations indiquéees dans la loi Rebsamen. Les informations sont facilement accessibles, à la satisfaction du syndicat FO, qui regrette quand même que la masse d’indicateurs ne soit plus agrémentée des analyses qui figuraient dans les rapports. La direction réfléchit au moyen d’accompagner les représentants du personnel dans la prise en main de ce nouvel outil. À cette importante objection près, l’objectif de simplification est atteint, et la qualité du dialogue social est meilleure, selon la direction.

Quatre approches

Mais cet exemple est exceptionnel. Dans la plupart des cas, les entreprises font le minimum. Patrice Poirier recense quatre cas de figure : « 1 – Les entreprises mettent à disposition des fichiers contenant les informations légales mais sans forcément les classer dans les rubriques prévues ; cela représente beaucoup d’informations en désordre et donc difficiles à consulter ; c’est ce que font la plupart des entreprises. 2 – Elles utilisent un logiciel de type SharePoint pour classer les informations dans des rubriques, conserver leur historique et gérer les droits d’accès. 3 – Elles acquièrent un logiciel dédié dans lequel elles déposent les fichiers, ce qui donne une interface plus sympathique et permet de lancer des alertes quand il y a des mises à jour. 4 – Elles saisissent directement les données dans le logiciel, ce qui permet d’avoir des informations à jour ; c’est plus long, puisqu’il faut extraire des données. Mais si l’entreprise dispose déjà d’un SIRH, l’extraction et les calculs sont automatiques ; c’est la solution que nous proposons. »

Dans ces conditions, peu d’entreprises ont, comme la Sfil, remplacé les rapports au CE par la BDES ; celle-ci vient donc s’ajouter auxdits rapports en une couche supplémentaire. Et rares sont les syndicalistes qui s’aventurent à rechercher des informations perdues au fin fond d’une base de données mal conçue ; leur information économique et sociale sur l’entreprise n’est donc pas meilleure qu’avant. Au final, la base de données économiques et sociales aura – modestement – contribué au chiffre d’affaires des éditeurs de logiciels (lire l’encadré ci-dessus) ; elle aura peut-être fait avancer la digitalisation des RH, mais, pour l’heure, elle n’a pas fait progresser le dialogue social.

Éditeurs et consultants se sont mis sur les rangs

L’obligation de mettre en place une base de données économiques et sociales a créé un petit marché pour les cabinets de conseil et pour les éditeurs de solutions informatiques. Citons Docapost, qui propose un SIRH complet, dont la BDES est une des briques. Elle fonctionne en mode SaaS et coûte « quelques milliers d’euros », selon Xavier Monmarché, directeur commercial, qui revendique une centaine de clients, ETI et grandes entreprises.

Sigma RH propose également un SIRH global avec un module BDES, dont le coût est de 300 à 400 euros par mois pour une entreprise de 300 personnes, selon Patrice Poirier, le Pdg. Il déclare que la BDES ne représente qu’un « à-côté » dans son chiffre d’affaires global, mais qu’elle est un point d’entrée intéressant, certaines entreprises souhaitant ensuite aller plus loin. Ses clients sont des PME, « qui ne disposent pas d’une personne dédiée pour extraire les données destinées à alimenter la base de données économiques et sociales ».

NetExplorer, spécialiste de la gestion de fichiers et du partage collaboratif de documents, s’est également positionné sur le marché de la base de données économiques et sociales. Mais les entreprises qui recourent à ce service ne représentent qu’« une faible part de nos 1 000 clients », explique Bertrand Servary, directeur général. Il constate toutefois qu’il est « de plus en plus contacté par des entreprises ayant voulu mettre en place une solution « faite maison » – notamment sur Excel –, et qui se rendent compte que cela devient vite impossible à gérer ».

Citons également FWA, qui propose une déclinaison de sa solution de gestion électronique de documents (GED) Dispodoc, pour un coût de 9 000 euros HT à la mise en place, auxquels s’ajoutent 2 000 euros de support.

Alixio, Ricol Lasteyrie et Secafi (groupe Alpha) se sont également associés pour proposer une BDES, mais ils n’ont pas répondu à nos sollicitations.

(1) Jean-Nicolas Moreau, Éric Pouliquen, Antoine Faucher, Stéphane Bellanger, éditions Liaisons, juin 2015.

(2) Par le cabinet de conseil Danaé en partenariat avec le Cercle SIRH, dans le cadre du 6e Benchmark SIRH.

(3) Lire Entreprise & Carrières n° 1233 du 24 mars 2015 ; n° 1208 du 30 septembre 2014 ; n° 1205 du 9 septembre 2014.

Auteur

  • E. F.