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Gestion des carrières : à quoi servent les revues de personnel ?

L’enquête | publié le : 15.12.2015 | É. S.

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Gestion des carrières : à quoi servent les revues de personnel ?

Crédit photo É. S.

Moment charnière pour la gestion des carrières et des compétences, la revue de personnel est le lieu où se joue le devenir professionnel de nombreux salariés, en particulier des cadres. Comment la préparer, l’animer ? Quels critères retenir et quelle publicité lui donner ? Questions autour d’un outil devenu incontournable dans nombre d’entreprises.

« Évaluation secrète », « journalistes fichés »… Depuis l’été, un parfum de scandale agite France Télévisions, après la découverte par les syndicats de « fiches d’évaluation de la performance et du potentiel » et des commentaires pas toujours bienveillants qui y sont portés. En cause, le système de revue de personnel dont la plupart des salariés ont appris l’existence à ce moment-là (lire p. 23).

Un cas révélateur d’un « processus mal maîtrisé », comme le suggère Hervé Borensztejn, directeur associé du cabinet Karistem Consulting ? Ou d’une « culture du secret très française », selon Christophe Falcoz, chercheur et professeur associé à l’IAE de Lyon (lire l’encadré p. 21) ? Il donne en tout cas l’occasion de s’interroger sur le fonctionnement de cet exercice bien ancré dans les entreprises, sous différentes appellations : revue des talents, people review,comité carrière…

Avec quelques variantes, il s’agit à chaque fois de réunir RH et management pour opérer collectivement le diagnostic des compétences et de la performance, mesurer, en croisant les regards, les capacités d’évolution. Et, selon les cas, repérer les “talents” ou alimenter des viviers de candidats, afin d’élaborer les organigrammes de remplacement, de prendre des décisions en matière de mobilité, de promotion, de rémunération, etc.

Destinée la plupart du temps à tout ou partie de la population des cadres comme à Eurotunnel (lire p. 24), la revue de personnel peut aussi couvrir l’ensemble du personnel comme à la Maif (lire p. 25). Dans le groupe Socotec, « le processus des revues de talents est en cours de refonte, indique le DRH Sébastien Botin. Nous voulons passer d’un outil top down, où le management central organise le mercato des postes et des promotions, à un processus bottom up. Il s’agira, à partir de 2016, de réunir les directeurs de région – les n + 3 – et les RRH pour passer au crible l’organisation et identifier trois populations clés : les “talents prometteurs”, les “managers de demain” et les “executive”, ayant vocation à intégrer le Comex. Puis la synthèse sera remontée à la direction France et consolidée au niveau du groupe ».

Sur ce modèle, Carrefour France organise chaque année, échelonnés sur plusieurs mois, des comités carrière dont l’objet est de « détecter, à tous les niveaux de l’entreprise, les personnes évolutives, verticalement ou horizontalement, explique Marie-Hélène Mimeau, directrice de la formation et du développement RH. L’intérêt est aussi d’anticiper l’évolution des métiers et de vérifier si nous disposons des profils dont nous aurons besoin dans les prochaines années ». Le groupe de distribution a également déployé depuis quelques années un comité carrière à destination des femmes, « en vue de renforcer la mixité des équipes de direction ».

Choisir les bons indicateurs

Des entretiens d’évaluation ou professionnels, sur lesquels elle se fonde, à la gestion des carrières, des emplois et des compétences qu’elle contribue à mettre en musique, en passant par les politiques de rémunération ou de diversité dont elle peut assurer la cohérence, la revue de personnel « interfère avec tous les processus de la fonction RH », résume Hervé Borensztejn. Alors, comment en faire un rendez-vous efficace ? D’abord en choisissant les bons indicateurs. Chez Carrefour par exemple : « Outre la performance, nous évaluons la capacité à apprendre de la personne, sa curiosité, sa motivation pour évoluer. Mais aussi sa capacité à réfléchir au-delà de son périmètre, et ses qualités managériales, notamment sa maturité émotionnelle, liste Marie-Hélène Mimeau. Plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la vision stratégique et la bonne compréhension du business comptent. »

Mais ces critères ne sont pertinents qu’au regard du contexte et des besoins propres à l’entreprise, prévient Christophe Falcoz. Or, « on retrouve souvent les mêmes, dupliqués d’un secteur à l’autre, ce qui n’a aucun sens », soupire-t-il. « Qu’est-ce qu’un talent pour notre entreprise ? Sur quels critères objectifs l’identifie-t-on et comment le traduit-on concrètement ? Ce travail n’est pas toujours fait, abonde Anne Saüt, directrice générale de Diversity Conseil. De même, les critères retenus sont parfois appliqués de la même façon dans tous les pays, sans tenir compte des spécificités culturelles. Mais l’autonomie ou la capacité de communication n’ont pas le même sens en Chine, en France ou au Brésil. »

Pour sa part, Nicolas Bourgeois, directeur associé du cabinet Identité RH, recommande de définir des compétences comportementales en adéquation avec les valeurs et la culture de l’entreprise, et surtout observables, plutôt que de s’appuyer sur la seule notion de potentiel, dont il souligne les limites : « C’est un critère souvent hasardeux : celui qui a du potentiel, c’est généralement celui que l’on imagine pouvoir prendre la place de son chef. Cette approche est biaisée, car on projette l’image du titulaire actuel du poste sur celui que l’on évalue, et l’on arrive vite à sélectionner toujours les mêmes profils, voire à des considérations du type “il n’a pas la tête de l’emploi”, “elle n’est pas mal”… »

Un exercice subtil

Les écueils de la people review sont réels : considérations d’ordre personnel plutôt que professionnel, profils retenus standardisés, salariés laissés de côté par leur manager qui ne veut pas les perdre… « Croiser les subjectivités est un exercice subtil », résume Nicolas Bourgeois, soulignant le rôle crucial des RH qui animent les sessions (lire l’encadré ci-contre). Ceux de Carrefour démarrent les réunions en rappelant aux participants les règles du jeu, que Marie-Hélène Mimeau résume ainsi : « Ne pas relayer de on-dit, laisser tout le monde s’exprimer, être dans la bienveillance, être factuel. » Pour être utile, la revue de personnel doit en effet s’appuyer sur « une fonction RH reconnue dans l’entreprise, qui puisse imposer son point de vue, alerter si les principes d’équité ne sont pas respectés », insiste Hervé Borensztejn. De leur côté, en partageant le regard qu’ils portent sur leurs équipes, « les managers doivent accepter d’être challengés et de challenger les autres », complète Sébastien Botin.

La fonction RH en soutien

Pour cela, « la qualité de la relation entre les RH et le management est déterminante, analyse Sandrine Caillé, directrice de mission à la société de conseil Ifas. Plus la fonction RH est perçue comme un soutien, plus les managers sont en confiance et plus le dialogue lors des revues de personnel sera constructif et transparent. De la même façon, en amont, la façon dont les managers mènent les entretiens d’évaluation, la place qu’ils laissent à leurs collaborateurs pour s’exprimer, leur capacité à repérer et à relayer leurs aspirations influencera la façon dont leur dossier sera évoqué ».

Et puis se pose la question sensible de la communication donnée à cet outil de pilotage dans l’entreprise. « Pour certains DRH, la people review doit rester confidentielle, constate Nicolas Bourgeois. Mais c’est une erreur, il faut communiquer sur son existence, les critères utilisés, et informer les personnes concernées des décisions prises. » Le feedback aux salariés n’est d’ailleurs pas le fort des revues de personnel, notent la plupart des consultants. Seulement, trop de discrétion peut finir par alimenter la méfiance : « Personne ne sait précisément ce qui se passe lors des people reviews : qui prend des décisions, sur quelles bases ? Comment relie-t-on cet outil à la politique de promotion, de rémunération ? Le manque de visibilité que les salariés ressentent vis-à-vis de cet outil crée des soupçons de favoritisme », témoigne par exemple Didier Gladieu, secrétaire CFDT de Thales France. Tout ce qu’une revue de personnel bien menée doit justement éviter.

L’avis de l’expert
Christophe Falcoz Professeur associé à l’IAE Lyon

En France, il y a un vrai déficit de transparence, une culture du secret autour des people reviews et de l’identification des talents ou des hauts potentiels. Les listes sont confidentielles et, la plupart du temps, les personnes qui y figurent n’en sont même pas informées. C’est ce que ne comprennent pas les entreprises anglo-saxonnes qui, à l’inverse, sont beaucoup plus transparentes : les personnes inscrites sur les listes le savent, et savent aussi qu’elles peuvent en sortir. Ce déficit d’information se joue à d’autres niveaux. Par exemple, je doute que ces listes soient systématiquement déclarées à la Cnil, alors qu’il s’agit de fichiers établis sur la base de critères particuliers. Cette déclaration, à mon sens incontournable, emporte en outre un droit d’accès aux données pour les personnes concernées.

De même, les people reviews sont rarement débattues avec les représentants du personnel. C’est compréhensible s’il s’agit d’établir la liste des futurs dirigeants, qui revêt un caractère stratégique sensible. Mais lorsque les revues de personnel sont menées sur une population élargie, a fortiori sur l’ensemble des salariés, il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Il me paraît normal d’échanger avec les IRP sur les critères utilisés, la fréquence des people reviews, les profils que l’on estime être stratégiques, les compétences indispensables et difficiles à remplacer, etc. Et même obligatoire, selon moi, au vu de la jurisprudence sur les entretiens d’évaluation, dont les revues de personnel sont la synthèse.

Témoignage
François Mazoyer responsable RH d’une entreprise industrielle de 250 salariés (Isère).

Lors des comités carrière, le RH occupe d’abord le rôle de chef d’orchestre. Il doit permettre aux participants de jouer leur partition tout en les amenant à adopter un regard nouveau sur leurs collaborateurs. À lui aussi de s’assurer de l’objectivité des débats. Car les managers peuvent avoir une approche subjective et partisane sur un profil.

C’est au RH d’éviter cela, de mettre les participants devant leurs contradictions le cas échéant, de creuser et d’être le poil à gratter pour pousser chacun à justifier son point de vue et surtout à faire fi des a priori, positifs ou négatifs, sur les personnes dont il est question.

Enfin, il est très important de garantir la bienveillance de l’exercice. Le RH doit faire comprendre que, quelle que soit la performance de la personne mesurée à l’instant T, il y a une solution qui peut lui permettre de se développer, de franchir un cap. Ce n’est pas toujours compris par les managers, pris dans leurs problématiques quotidiennes. Il faut expliquer qu’une action de formation peut être importante même si elle n’a pas d’impact à court terme, mais s’inscrit dans une logique d’employabilité. C’est en outre l’occasion de rappeler aux managers qu’ils ont aussi la mission de faire évoluer les compétences de leurs collaborateurs et de les aider à se projeter sur le long terme.

Mais, au-delà de ces rendez-vous annuels formels, la revue de personnel est un exercice presque quotidien. Nos entreprises bougent et doivent s’adapter en permanence. Ainsi, lors des rencontres avec les managers, il est très souvent question des compétences, de l’accompagnement dont les équipes ont besoin. De ce point de vue, la revue de personnel donne l’occasion d’affirmer le rôle et la vision de la fonction RH.

Auteur

  • É. S.