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La QVT commence à s’inviter dans les NAO 2016

ZOOM | publié le : 01.12.2015 | Nicolas Lagrange

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La QVT commence à s’inviter dans les NAO 2016

Crédit photo Nicolas Lagrange

Avec une croissance économique fragile et une inflation limitée, les entreprises envisagent des budgets d’augmentation salariale restreints. De leur côté, les syndicats plaident plus que jamais pour un meilleur partage de la valeur ajoutée et insistent sur la qualité de vie au travail. Focus sur les stratégies des acteurs.

« Le faible niveau de l’inflation prévu pour 2016, autour de 1 %, reste un élément essentiel de la négociation annuelle obligatoire (NAO), compte tenu des incertitudes économiques », assure Denis Falcimagne, spécialiste rémunérations et avantages sociaux à Entreprise & Personnel. De fait, malgré l’interdiction de l’indexation des salaires sur les prix(1), de nombreuses entreprises déterminent leurs budgets d’augmentation en fonction de l’inflation prévisionnelle, a fortiori lorsqu’elles envisagent des hausses générales.

Hausse médiane à 2 %

Selon les principaux cabinets spécialisés, les augmentations salariales générales (AG) et/ou individuelles (AI) pourraient être comprises l’an prochain entre 1,7 % et 2,4 %, (voir le graphique ci-contre). Des prévisions en baisse par rapport à l’an dernier, loin des 3 % atteints en 2011 et 2012. « Notre prévision d’une hausse médiane à 2 % reste toutefois nettement supérieure à l’inflation attendue, analyse Bruno Rocquemont, directeur de l’activité talents de Mercer France. Parce que les entreprises ont besoin de marges de manœuvre pour attirer ou retenir les talents, et parce qu’elles savent que l’inflation ressentie est bien différente de l’inflation calculée par l’Insee. »

Mais la modération salariale conduit davantage d’entreprises à renoncer aux AG, du moins pour les cadres, et à réduire le nombre de bénéficiaires d’AI, pour continuer à leur attribuer des montants significatifs. Une stratégie judicieuse, selon Denis Falcimagne, qui n’est pas nouvelle mais qui s’accentue : « Attention toutefois à ne pas aller trop loin, prévient-il : s’il n’y a pas d’AG, il est important qu’une large majorité de collaborateurs voient leurs salaires progresser, sauf situation économique très délicate. »

« Lorsqu’il n’y pas d’AG et des hausses individuelles ciblées, une part non négligeable des salariés ne bénéficient d’aucune augmentation, ce qui revient à une baisse de leur pouvoir d’achat en tenant compte de l’inflation », relève Alain Giffard, secrétaire national de la CFE-CGC. Chez Clemessy (systèmes électriques et mécaniques, groupe Eiffage), la CFDT, majoritaire, entend bien réclamer une AG début 2016, faute d’en avoir obtenu une depuis trois ans. « Même les hausses individuelles sont généralement peu nombreuses et faibles, déplore Dominique Le Morvan, le délégué syndical central (DSC) cédétiste. Nous n’excluons pas un appel à la grève sur tous les sites, comme il y a trois ans. »

La note de conjoncture d’Entreprise & Personnel, publiée début novembre, a d’ailleurs souligné les risques de tensions salariales « essentiellement autour des NAO », évoquant « le sentiment partagé par beaucoup, à commencer par l’encadrement, d’avoir accepté beaucoup d’efforts ces dernières années tant financièrement que dans l’intensité du travail ». Pour autant, « la teneur des NAO est très liée à la santé économique de chaque secteur d’activité, assure Bruno Rocquemont. Finalement, de nombreuses entreprises considèrent aujourd’hui que le vrai débat n’est pas celui du taux d’augmentation et du chiffre après la virgule, mais celui du maintien de l’emploi ».

Coûts salariaux contenus

« On ne ressent pas de rapport de forces favorable aux salariés et au pouvoir d’achat, abonde Jean-Marc Le Gall, conseil en stratégies sociales. Les salariés parlent plus de carrière et de reconnaissance au travail que de salaires, même s’ils ressentent parfois du dépit à l’égard de la rigueur salariale. Quant aux entreprises, elles ne sont pas sorties de la volonté de contenir les coûts salariaux, ce qui les conduit, notamment, à octroyer davantage de primes exceptionnelles. »

Un thème nouveau

Pour Denis Falcimagne, « les employeurs peuvent compléter les mesures salariales de la NAO avec des mesures moins fiscalisées, telles que l’instauration d’un article 83, un accord sur la dépendance, un abondement sur le Perco, ou d’autres dispositions d’épargne salariale plus avantageuses. Mais, pour motiver à plus long terme, elles ont tout intérêt à négocier sur la qualité de vie au travail (QVT) : c’est un élément déterminant en termes de reconnaissance et cela ne coûte rien ou presque ». Un thème nouveau, jusqu’ici globalement absent du dialogue social en entreprise. « Dans le cadre du nouveau regroupement de 17 consultations légales en trois temps forts(2), nous encourageons nos équipes syndicales à négocier un agenda social, en mettant notamment l’accent sur l’organisation du travail, les espaces de discussion avec les salariés, la formation, indique Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT. Bref, des éléments de la compétitivité hors coûts. » Illustration chez Schneider Electric : « Nous avons d’ores et déjà des revendications sur les salaires, les déplacements professionnels et l’égalité professionnelle pour la NAO de février 2016, mais nous voulons aussi faire de la QVT un sujet majeur de notre agenda social », affirme Roland Chaix, DSC CFDT.

« Les entreprises veulent montrer qu’elles anticipent sur cette problématique, souligne Jean-Marc Le Gall. Elles lancent de plus en plus d’enquêtes, tout en avançant prudemment, car le sujet est mal balisé et bouscule l’organisation du travail et les modes de management. Mais c’est un sujet porteur, qui peut être l’occasion d’un donnant-donnant non monétaire, à condition de ne pas être cosmétique. »

Toutefois, si ce thème peut émerger dans l’agenda social ou faire partie des engagements à négocier à l’issue de la NAO, il constitue un avantage virtuel, qui reste à concrétiser. D’où la nécessité, pour de nombreux syndicats, d’enfourcher un autre cheval de bataille : le partage de la valeur ajoutée. Une discussion favorisée par la nouvelle information-consultation sur les orientations stratégiques et par la base de données unique, même si cette dernière se présente plutôt a minima dans de nombreuses entreprises. « Cette nouvelle discussion sur la stratégie tout comme celle sur l’utilisation du CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR] doivent permettre d’identifier les véritables marges de manœuvre de l’entreprise », insiste Alain Giffard. De quoi fournir aux délégués syndicaux de nouveaux arguments pour mener la NAO, avec peut-être, in fine, des jeux de rôles moins formels entre direction et syndicats.

En tout état de cause, « les budgets salariaux restreints pour 2016 doivent inciter les entreprises à communiquer plus et mieux, conseille Denis Falcimagne. Quand on a peu de choses à donner, il faut rappeler à chacun qu’on donne déjà beaucoup, en différenciant les mesures obligatoires et les avantages facultatifs accordés par l’entreprise ». Autre impact de cette modération salariale, selon Bruno Rocquemont : « Les objectifs individuels doivent être le plus possible rationalisés et les systèmes de gestion de la performance objectivés, ce qui implique un réel accompagnement des managers. »

Les ingrédients de la NAO

Pour déterminer leurs propositions respectives, les négociateurs scrutent bien évidemment l’inflation prévisionnelle ou constatée (en moyenne, et plus rarement en glissement). Outre les indicateurs financiers de l’entreprise, les partenaires sociaux peuvent aussi se référer, en interne, à l’historique des augmentations des années précédentes et à l’évolution parallèle des montants moyens d’épargne salariale. Plusieurs données externes sont également utilisées, comme le taux de revalorisation des minima de branche, les enveloppes salariales des entreprises concurrentes, voire les salaires médians ou moyens de ces mêmes entreprises. Et, bien sûr, les prévisions des cabinets de conseil en rémunération.

« Trop souvent, les directions s’appuient sur ces cabinets pour dire aux salariés qu’ils sont dans la moyenne de rémunération de leur catégorie, déplore Alain Giffard, de la CFE-CGC. Nous travaillons donc sur ces études pour les décrypter précisément. »

Des études avec des panels différents et à géométrie variable, il est vrai, puisque certaines intègrent les promotions, voire toutes les mesures spécifiques, quand d’autres ne prennent en compte que les augmentations générales et individuelles. « Nos études n’influencent pas les politiques salariales des entreprises, assure Bruno Rocquemont, de Mercer. Ce sont surtout des points de repères utiles pour nos clients. »

(1) Article L. 112-2 du Code monétaire et financier.

(2) La loi Rebsamen prévoit trois consultations annuelles du comité d’entreprise, d’abord sur les orientations stratégiques de l’entreprise, ensuite sur la situation économique et financière, enfin sur la politique sociale, les conditions de travail et d’emploi.

Auteur

  • Nicolas Lagrange