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L’interview

Ewan Oiry : « Il faut ancrer un référentiel de compétences à la stratégie »

L’interview | publié le : 24.11.2015 | Eric Delon

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Ewan Oiry : « Il faut ancrer un référentiel de compétences à la stratégie »

Crédit photo Eric Delon

Apparus à la fin des années 1980, les référentiels de compétences sont peu ou mal utilisés par les entreprises en raison d’une insuffisante communication entre la direction générale et la DRH. Gestion des compétences et stratégie de l’entreprise doivent être étroitement liées.

E & C : Vos travaux démontrent que les référentiels de compétences sont mal appréhendés ou mal utilisés par les entreprises. Qu’en est-il ?

Ewan Oiry : Rappelons qu’un référentiel de compétences est une liste des compétences qu’un collaborateur doit maîtriser pour bien réaliser son travail. Les premiers référentiels sont apparus à la fin des années 1980. Les fiches de poste alors en vigueur ne décrivaient pas suffisamment clairement ce que réalisaient les collaborateurs. Le patronat considérait par ailleurs que les fiches de poste étaient trop “contrôlées” par les syndicats, par la négociation… Certaines entreprises ont élaboré des listes de compétences pour mieux rémunérer les salariés en fonction de leur activité réelle – les compétences acquises – et échapper ainsi aux négociations collectives sur les postes de travail. S’il n’existe pas d’obligation légale, pour les entreprises, de posséder un référentiel de compétences, un certain nombre de phénomènes convergents les ont amenées à s’en doter progressivement. Les versions les plus récentes des normes qualité demandent aux organisations, par exemple, de démontrer que leurs salariés possèdent les compétences nécessaires pour mettre en œuvre ces processus.

Par ailleurs, la jurisprudence a montré que certaines entreprises s’étaient vu refuser un PSE lorsqu’elles n’avaient pas mis en œuvre une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Enfin, le plan Borloo de 2005, portant sur l’emploi, le logement et l’égalité des chances, oblige les entreprises de plus de 300 salariés à ouvrir – sinon à conclure – une négociation sur la GPEC.

Dans l’entreprise, qui rédige ces référentiels de compétences ?

À l’origine, ils émanaient de la DRH. La pratique a démontré que cela n’était pas efficace, car il n’est pas facile pour un responsable RH de savoir ce que les collaborateurs réalisent concrètement. Par ailleurs, on s’est vite aperçu que chaque acteur de l’entreprise – DRH, délégués syndicaux, chef d’équipe, salarié – possédait un point de vue particulier sur les compétences. La méthode de rédaction de ces référentiels a donc évolué. Aujourd’hui, on considère qu’ils doivent être rédigés par les salariés eux-mêmes. À la suite de ce travail de rédaction, une négociation s’engage entre les collaborateurs, puis avec le DRH, les délégués syndicaux et les chefs d’équipe. Certains experts estiment que les référentiels de compétences devraient, sur le principe, échapper à la négociation. Mais, étant donné la divergence des points de vue sur le sujet, cette négociation est devenue incontournable.

La forme et le contenu d’un référentiel sont-ils différents en fonction des objectifs de l’entreprise – rémunérer, former, gérer les carrières ?

C’est un sujet encore très débattu. Certains défendent l’idée qu’on peut se contenter de décrire les compétences, de les lister et, muni de cette liste, “appuyer” l’ensemble des politiques RH – rémunération, formation, gestion des carrières, etc. Je défends au contraire l’idée qu’on ne peut pas décrire les compétences de la même manière, avec le même niveau de détail et en s’intéressant aux mêmes compétences, suivant l’objectif poursuivi. Par exemple, démontrer à son client que ses collaborateurs possèdent les compétences techniques exigées par la loi – accréditation ou assermentation –, développer les compétences managériales des chefs d’équipe, rémunérer les compétences des informaticiens…

Il me semble pertinent de rédiger un référentiel spécifique pour chacun des objectifs à atteindre en termes de type de compétences décrites, de niveau de finesse de la description, de forme. Par exemple, s’agissant d’un référentiel d’accréditation technique, une liste de 80 compétences hyper précises, sans aucun lien avec la stratégie de l’entreprise, peut être parfaitement adaptée. À l’inverse, si l’on souhaite développer des compétences managériales, il est inutile d’en décrire plus de cinq. Et elles doivent être très fortement reliées à la stratégie de l’entreprise, afin que le manager perçoive clairement comment le développement de ces compétences lui permettra de participer plus efficacement à l’atteinte des objectifs stratégiques.

Comment, dans ces conditions, rédiger un référentiel de compétences efficace ?

Il ne s’agit pas d’un problème de méthode. Pour que les effets d’un référentiel sur la stratégie de l’entreprise soient réels, il faut partir… de la stratégie de l’entreprise. C’est rarement le cas, car les DRH considèrent que la gestion des compétences dépend exclusivement de leur périmètre. Inversement, les directions générales ont tendance à délaisser ce type d’outil, arguant qu’elles ne souhaitent pas se mêler de RH mais se concentrer sur le business. Comme si les deux n’étaient pas directement liés… Comment développer un business si l’on ne possède pas les compétences idoines ? Pour rédiger un référentiel de compétences efficace, il est nécessaire de mettre en place un véritable binôme DG-DRH, car il faut posséder une vision claire de la stratégie de l’entreprise. Une fois que cette dernière est définie, il convient de se demander quelles compétences les salariés doivent acquérir pour la mettre en œuvre. Une fois ces compétences identifiées et inscrites dans le référentiel, la DRH doit créer un binôme efficient avec les managers et les salariés – et également les délégués syndicaux –, car la réussite de la gestion des compétences et la stratégie de l’entreprise dépendent étroitement de ces derniers.

Quel rôle doit jouer le DRH pour valoriser ce référentiel ?

Il a la charge d’établir le lien entre la stratégie de la direction générale et le travail quotidien des collaborateurs. Le DRH doit pouvoir influer sur la stratégie de l’entreprise ou, au moins, connaître cette dernière à l’avance. Si cela n’est pas le cas, son rôle sera limité à l’administration du personnel, qui pourrait, par ailleurs, être réalisée par un comptable ou sous-traitée à l’extérieur… Autrement dit, côté DRH, imposer son expertise sur la gestion des compétences est stratégique pour assurer son positionnement dans l’entreprise.

Ewan Oiry Professeur en sciences de gestion

Parcours

→ Ewan Oiry est professeur à l’École des sciences de la gestion de l’université du Québec à Montréal (ESG-Uqam). Il est attaché à l’IAE de Poitiers et au Cerege (Centre de recherche en gestion).

→ Il est l’auteur de nombreux articles, dont, avec C. Baret, “La gestion des compétences : quatre leçons pour surmonter les difficultés de la mise en œuvre dans le secteur public” (in Revue internationale de gestion, n° 39, 2014), et de l’ouvrage De la qualification à la compétence. Rupture ou continuité (L’Harmattan, 2004).

Lectures

→ Gestion et management des compétences, C. Flück, Gereso éd., 2015.

→ Les Démarches compétence, A. Masson et M. Parlier, Anact, 2004.

→ Le Manager à l’écoute du sociologue, P. Morin et E. Delavallée, Éditions d’Organisation, 2003.

Auteur

  • Eric Delon