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Emploi : Réforme territoriale : un chantier RH d’envergure

L’enquête | publié le : 10.11.2015 | Élodie Sarfati, Stéphanie Maurice

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Emploi : Réforme territoriale : un chantier RH d’envergure

Crédit photo Élodie Sarfati, Stéphanie Maurice

Transferts, fusions, mutualisation… la réforme territoriale ouvre une période délicate pour les agents de la Fonction publique. Les administrations tentent de se préparer à accompagner les changements et les mobilités dans un calendrier serré, et parfois sans visibilité sur les organisations futures.

Elles vivent leurs derniers jours. En janvier prochain, 16 régions verront leurs frontières redéfinies par la fusion avec leur(s) voisine(s). Spectaculaire, le passage de 22 à 13 régions n’est pourtant qu’une partie de la réforme territoriale qui, en parallèle, crée les métropoles, modifie la répartition des compétences entre les collectivités (lire l’encadré p. 21)… « En même temps qu’elles fusionnent, les régions verront leurs prérogatives renforcées, notamment dans le champ du développement économique », illustre Patrick Loire, directeur du développement à Sémaphores, société de conseil auprès des entreprises et des collectivités.

« Inédite par son ampleur », selon Johann Laurency, secrétaire fédéral FO Services publics, la réforme touche aussi bien la fonction publique territoriale que celle de l’État, puisque, avec les nouvelles régions, les ministères devront redéfinir leur présence sur les territoires. En Nord-Pas-de-Calais-Picardie par exemple, Lille abritera le siège de cinq directions régionales, n’en laissant que deux à Amiens (Draaf, DRJSCS). À l’Insée, « les services des études régionales seront regroupés au plus près des préfectures de région, mais la réforme doit se faire en maintenant l’équilibre territorial des effectifs, et il n’y aura pas de suppressions de sites, explique Magali Demotes-Mainard, cheffe du département valorisation des ressources humaines. Il faudra donc travailler sur leur spécialisation et modifier l’implantation des unités de production statistique ».

Harmonisation des conditions d’emploi

Chez les agents, ces mouvements suscitent surtout des inquiétudes. D’autant que « les précédentes réorganisations des services territoriaux de l’État sont encore mal cicatrisées », glisse François Cochet, directeur des activités santé au travail à Secafi, société d’expertises auprès des IRP. Dans les collectivités, les interrogations portent d’abord sur l’harmonisation des conditions d’emploi et de travail. Comme en Haute et Basse-Normandie (lire p. 24), les écarts peuvent être importants s’agissant du temps de travail ou des régimes indemnitaires…

Première phase de mutualisation

Ensuite, sur l’étendue des transferts. Bordeaux Métropole, par exemple, va passer de 3 000 à 5 000 agents au 1er janvier prochain en application d’une première phase de mutualisation. De leur côté, les 11 établissements publics territoriaux (EPT) qui composeront le futur Grand Paris vont récupérer 10 compétences exercées jusque-là par les 19 intercommunalités (EPCI) – qui disparaîtront – ou les 41 communes « isolées » – qui intégreront de fait un EPT. Philippe Vizerie, chargé de mission RH pour la mission de préfiguration de la Métropole, détaille : « 7 000 agents de EPCI seront transférés en bloc vers les EPT mais, pour les agents des communes, cela ne sera automatique que si 100 % de leur temps de travail était dévolu à la compétence transférée. Beaucoup étant polyvalents, l’un des enjeux sera de les inciter à rejoindre l’EPT pour éviter les doublons. »

Enfin, les agents s’interrogent sur l’ampleur des réorganisations. À Bordeaux Métropole, les 5 000 agents se sont vu proposer une nouvelle affectation au printemps dernier : « 98 % l’ont acceptée, une centaine l’ont refusée, à qui nous avons proposé d’autres reclassements, relate Patrice Rabaud, DGA en charge du pôle administration générale. Et nous devons encore trouver une solution pour une dizaine de personnes. »

Dans les régions, « les deux tiers des effectifs travaillent dans les lycées et ne connaîtront pas de grands bouleversements, constate Patrick Auzende, secrétaire adjoint CGT du conseil régional de Midi-Pyrénées, appelé à fusionner avec celui du Languedoc-Roussillon. Mais, s’agissant des autres services, qui comptent 800 agents dans chacune des deux régions, quels emplois seront localisés à Toulouse ? À Montpellier ? Combien de postes en doublon seront supprimés ? Comment seront accompagnées les mobilités ? Nous n’avons pas de visibilité ».

Des délais serrés

Il est vrai que, pour se préparer à ces chantiers d’envergure, les délais sont serrés et les incertitudes demeurent : « Nous travaillons en temps masqué, note Michel Guenneau, directeur général des services (DGS) de la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre (92). L’organisation du Grand Paris a été votée en août dernier et le périmètre des EPT doit être confirmé fin novembre. Nous avons identifié les postes transférés, mais nous ne pouvons guère aller plus vite. »

Dans les services de l’État, les organigrammes précis des services devaient être transmis à la DGAFP le 31 octobre dernier. Tandis que, dans les conseils régionaux, rien ne sera tranché avant l’élection, en décembre, d’un nouvel exécutif.

En attendant, les syndicats veulent du concret : « Nous avons demandé aux deux présidents de région sortants un protocole d’objectifs reprenant les engagements pris oralement, notamment sur l’absence de mobilité géographique forcée », témoigne Patrick Auzende. En Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la CFDT devait adresser un courrier au préfet pour que les « micro-organigrammes » des services ministériels soient connus et débattus avant la fin novembre.

Dans ce contexte, l’Administration cherche à rassurer. La loi a déminé certains points durs. Elle prévoit par exemple qu’un agent transféré conserve son régime indemnitaire « s’il y a intérêt ». Des indemnités de mobilité ont été définies et une priorité d’affectation sur les postes vacants de la même zone géographique, pour les agents dont le poste est supprimé, devrait prochainement être votée. Dans les ministères, outre le maintien des implantations existantes, on répète qu’il n’y aura pas de mobilité géographique forcée. Le travail en site distant doit être expérimenté en Bourgogne-Franche-Comté (lire p. 23).

Certaines administrations ont également pris de l’avance. En Auvergne et Rhône-Alpes, 1 000 agents ont été mis à contribution dans des groupes de travail afin d’établir, entre autres, les scénarios possibles de la future organisation, tandis qu’un programme d’accompagnement du changement est en cours d’élaboration, décrit Irène Gazel, directrice des relations et ressources humaines de la région Rhône-Alpes. La comparaison des pratiques a permis d’identifier les différences entre les processus de travail. Objectif de cette phase préparatoire : éviter l’attentisme et « être prêts, quelles que soient les décisions qui seront prises par le futur conseil régional ».

Conduite du changement

Dans la fonction publique d’État aussi, on se met en ordre de marche. Par instructions ministérielles, la ministre de la Fonction publique Marylise Lebranchu a notamment demandé aux administrations de renforcer le réseau des conseillers mobilité carrière (lire l’interview p. 22). En Nord-Pas-de-Calais-Picardie, un plan unique de formation interministériel, un dispositif d’écoute et de conseil, une bourse d’offres d’emploi, un soutien en conduite du changement pour les cadres devraient être opérationnels pour le début 2016.

Conduire les changements sera en effet aussi une question d’outillage RH. Avec son réseau de conseillers en parcours professionnel, l’Insée se dit prêt : « Les dispositifs d’accompagnement existent déjà – chez nous, un agent reste en poste en moyenne quatre ans –, mais ils seront davantage mobilisés, anticipe Magali Demotes-Mainard. Nous devrons également veiller à maintenir la structure de qualification des emplois et les perspectives de carrières, même s’il y a moins de cadres dans les services de production que dans les services d’études régionaux. »

L’équation sera d’autant moins simple à résoudre que, comme beaucoup d’administrations, les effectifs de l’Insée sont en décroissance. Entre les départs non remplacés et les doublons sur les postes d’encadrement, Philippe Cordelette, délégué Unsa en Picardie, a fait ses calculs : « La Draaf d’Amiens compte aujourd’hui 80 agents, comme celle de Lille. Mais au 1er janvier 2019, nous ne devrons plus être que 140 au total. »

Et puis, selon les administrations, la marche sera plus ou moins haute à franchir, prédit Céline Desmarais, professeure à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (Suisse) : « Certaines paraissent bien armées et ont structuré leurs organisations à l’occasion de chantiers sur les compétences, la prévention des risques ou la professionnalisation du management. En revanche, ce sera plus délicat pour celles qui ont cantonné la fonction RH dans un rôle strictement administratif. » Même si elle se met en place progressivement, la réforme territoriale annoncée par le gouvernement comme un gage d’efficacité, ouvre dans le même temps un chantier RH à risque.

Les grandes lignes de la réforme territoriale

Depuis janvier 2014, plusieurs lois redessinent les territoires administratifs et accroissent les transferts de compétences :

Le seuil des intercommunalités a été relevé, poussant les communautés de communes ou d’agglomération à fusionner ou à intégrer de nouvelles communes ; 11 métropoles ont vu le jour au 1er janvier 2015, 2 autres (le Grand Paris et Aix-Marseille-Provence) les rejoindront au 1er janvier 2016.

Le nombre de régions passe de 22 à 13 au 1er janvier 2016.

La répartition des compétences est remise à plat : la clause de compétence générale est supprimée pour les départements et les régions, les régions récupèrent des responsabilités en matière de transport, de développement économique… ; en outre, la loi attribue aux intercommunalités de nouvelles compétences obligatoires ; elle organise enfin le transfert de compétences des départements vers les métropoles.

La mutualisation des services au niveau des intercommunalités est encouragée.

Auteur

  • Élodie Sarfati, Stéphanie Maurice