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L’interview

Jean-Paul Cadet : « La promotion interne reste un levier essentiel de management »

L’interview | publié le : 03.11.2015 | Valérie Grasset-Morel

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Jean-Paul Cadet : « La promotion interne reste un levier essentiel de management »

Crédit photo Valérie Grasset-Morel

La promotion interne présente de nombreux avantages malgré les menaces qui pèsent sur elle. Elle reste un outil puissant de motivation et de fidélisation des salariés. Les nouveaux entretiens professionnels obligatoires sont susceptibles de favoriser ces mobilités promotionnelles.

E & C : Vous expliquez dans une étude récente que, depuis au moins une vingtaine d’années, plusieurs phénomènes menacent le recours à la promotion interne par les entreprises. Quels sont-ils ?

Jean-Paul Cadet : Depuis près de trente ans, le système éducatif produit des flux importants de jeunes mieux formés que les salariés en place. Selon la dernière enquête Génération du Céreq, 40 % des jeunes sortis en 2010 du système scolaire avaient obtenu un diplôme du supérieur – du bac + 2 au doctorat – contre 30 % parmi les actifs. Les entreprises sont donc tentées de recruter ces jeunes globalement plus diplômés et susceptibles de mieux répondre aux besoins en compétences du marché du travail.

La digitalisation des entreprises et les nouveaux modes d’organisation du travail sont a priori des obstacles supplémentaires à la promotion interne. Les entreprises peuvent en effet être plus tentées de recruter des talents parmi les digital natives et les jeunes détenteurs de compétences nouvelles. Par ailleurs, de nombreuses entreprises, surtout de grande taille, ont tendance à renforcer la segmentation de la gestion de leur personnel, notamment par grands niveaux de qualification. Dans ces entreprises, il devient ainsi plus difficile de gravir les différents seuils de qualification par la voie promotionnelle, lorsqu’on débute au bas de l’échelle.

Quels sont néanmoins les avantages, pour une entreprise, de recourir encore à la promotion interne ?

Elle reste un outil puissant de motivation et de fidélisation des salariés et un levier essentiel de management. Les entreprises qui l’utilisent s’attendent à ce que les salariés promus se montrent reconnaissants, en redoublant d’implication et en leur restant fidèles. Au cours des entretiens conduits en vue d’une étude réalisée pour le Céreq sur les professions intermédiaires en entreprise, nous avons rencontré le responsable du service maintenance d’une PME du secteur aéronautique qui, après sa promotion interne, déclarait servir cette entreprise du mieux qu’il pouvait, car elle avait su lui donner sa chance. Ce pari sur la motivation est important lorsque les entreprises souffrent d’un déficit d’attractivité sur le marché du travail ou perçoivent le turnover de leurs techniciens ou leurs cadres comme un problème.

La promotion interne reste aussi une modalité de recrutement en cohérence avec l’organisation interne de l’entreprise. On estime qu’un salarié qui connaît déjà l’entreprise, sa culture, son mode de fonctionnement, sa stratégie, présente des atouts par rapport à un candidat de l’extérieur.

Enfin, cette promotion est parfois pratiquée pour favoriser un bon climat social et motiver l’ensemble du personnel. Cela se manifeste par exemple au sein d’entreprises à forte culture promotionnelle, comme les PME industrielles. Elles cherchent notamment à éviter les tensions qui pourraient surgir avec les syndicats comme avec les salariés “promouvables”. Mais parfois, ce sont les promotions internes qui provoquent les tensions. Dans une imprimerie que nous avons étudiée, les agents de maîtrise appelés responsables de groupe étaient en grande majorité d’anciens opérateurs, promus en vertu de leur expérience acquise dans la conduite des machines. Un jour, il a été proposé à des techniciens d’évoluer vers ce poste en raison de leur aptitude apparente au management. Ce fut un échec. Il semble en effet que certains opérateurs aient délibérément mis les machines en panne pour mettre en difficulté les agents de maîtrise nouvellement nommés.

Quelles sont les caractéristiques des entreprises qui y ont le plus recours ?

Ce sont souvent celles qui déploient une stratégie fondée sur le développement et le maintien dans la durée d’une expertise spécifique et distinctive sur le plan concurrentiel, liée avant tout aux compétences, à l’implication et à la fidélisation de leurs salariés. Elles ont tendance à recourir à la promotion interne pour entretenir leur avantage distinctif, quitte à en assumer les inconvénients éventuels, dont le fait de déséquilibrer la pyramide des âges.

Quels sont les postes concernés par ces promotions ?

Les plus concernés sont les postes d’encadrant de proximité et les emplois pour lesquels les salariés développent une expertise spécifique, comme des commerciaux sédentaires qui deviennent itinérants dans le commerce de gros. C’est une expertise qui ne se trouve pas à l’extérieur. Certains secteurs sont davantage marqués par la promotion interne, comme la banque, les assurances ou la grande distribution.

Font-elles l’objet d’un accompagnement spécifique ?

Les pratiques diffèrent sensiblement selon les entreprises. La tendance générale est de se préoccuper de plus en plus des parcours professionnalisants qui favorisent les promotions internes. Les entreprises sont de plus en plus attentives à la réussite des transitions professionnelles : le passage de technicien à chef d’équipe, par exemple. Certains outils existent, comme les entretiens individuels, et le nouvel entretien professionnel obligatoire présente l’avantage de concerner toutes les catégories socioprofessionnelles. Il peut permettre de déboucher sur une promotion interne ou une mobilité horizontale.

Êtes-vous surpris de la résistance à cette mobilité ?

Oui, sans conteste. Mais la promotion interne reste une pratique avec laquelle il faut compter. Organisée par les entreprises avec leur propre logique de classement et de reconnaissance des personnels, elle a encore de beaux jours devant elle. Ce constat mériterait d’être pris en considération par les acteurs du système de formation, souvent très préoccupés par la mise en correspondance de chaque niveau de certification avec un niveau d’emploi donné. Les processus d’élaboration des certifications et des formations devraient davantage prévoir la possibilité d’une promotion dans une perspective de moyen terme.

Jean-Paul Cadet Chargé d’études RH au Céreq

Parcours

→ Jean-Paul Cadet est chargé d’études en GRH au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) et au sein du département Travail, emploi, professionnalisation.

→ Il copilote le groupe de recherche Organisations, travail, formes de mobilisation de la main-d’œuvre.

→ Il a codirigé, avec Christophe Guitton (Céreq), un ouvrage collectif intitulé Les professions intermédiaires. Des métiers d’interface au cœur de l’entreprise, Armand Colin, 2013.

→ Il est l’auteur de “La promotion interne fait de la résistance” (Bref du Céreq n° 337, juillet-août 2015).

Lectures

→ Sociologie des outils de gestion. Introduction à l’analyse sociale de l’instrumentation de gestion, È. Chiapello, P. Gilbert, La Découverte, 2013.

→ Refonder l’entreprise, B. Segrestin, A. Hatchuel, Seuil, 2012.

→ Lost in management. La vie quotidienne des entreprises au 21e siècle, François Dupuy, Seuil, 2011.

Auteur

  • Valérie Grasset-Morel