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PSE : les entreprises s’affranchissent des délais légaux

ZOOM | publié le : 13.10.2015 | Nicolas Lagrange

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PSE : les entreprises s’affranchissent des délais légaux

Crédit photo Nicolas Lagrange

Désormais fixés à deux, trois ou quatre mois par la loi de sécurisation de l’emploi en fonction du nombre de licenciements, les délais des procédures d’information-consultation des PSE sont en fait majoritairement allongés, souvent à l’initiative de toutes les parties prenantes. Et le sujet devient un élément du dialogue social.

« En pratique, le nouveau délai de deux mois pour les PSE de moins de 100 licenciements – les plus fréquents – est court. Il suppose de condenser l’information-consultation du CE, des comités d’établissement, des CHSCT, et de négocier avec les partenaires sociaux. En outre, il ne tient pas compte des vacances. » Ce constat, ce n’est pas un représentant du personnel ou un expert de CE qui le fait, mais Philippe Rozec, avocat associé chez De Pardieu Brocas Maffei, cabinet de conseil aux entreprises. De fait, il n’est guère évident, même pour les directions, de se plier aux délais légaux mis en place par la loi de sécurisation de l’emploi (LSE). Résultat : depuis son entrée en vigueur, ceux-ci ont été allongés dans 56 % des cas, selon une étude de Secafi en partenariat avec Miroir Social publiée en novembre 2014.

« Les procédures durent plus souvent trois mois que deux pour les PSE de moins de 100 licenciements, détaille Nadia Ghedifa, directrice générale de Secafi. Mais, au-delà des délais, on assiste surtout à des changements de posture de part et d’autre, avec des négociations plus systématiques et qui démarrent plus vite. » Difficile désormais de pratiquer la politique de la chaise vide pour certains représentants syndicaux s’ils veulent négocier les mesures d’accompagnement social. « Le compteur tourne, cela conduit les partenaires sociaux à plus d’efficacité dans les échanges », estime Me Danièle Chanal, avocat chez Joseph Aguera et Associés.

Prime à la négociation

Quant aux DRH, « leur rapport aux délais est inversé, ajoute Philippe Rozec. Avant la LSE, ils tentaient de les limiter ; dorénavant, ils peuvent consentir à les allonger. » Un élément de négociation utile, par exemple pour donner des gages aux représentants syndicaux lorsque le climat est tendu, comme ce fut le cas sur le site breton de Hill-Rom à Pluvigner (lire l’encadré).

Autre facteur clé en matière de délai, la situation économique des entreprises en restructuration. « Si elle est très fragile, les DRH auront peu, voire pas de marges de manœuvre, affirme Estelle Sauvat, directrice générale de Sodie. Mais ils sont nombreux à prendre un peu plus de temps pour tenter d’aboutir à un accord solide, plutôt que de déboucher sur un compromis bancal de nature à les fragiliser. » D’autant que la LSE donne une prime à la négociation, avec un contrôle plus léger de la Direccte pour un accord majoritaire que pour un document unilatéral. D’ailleurs, dans 43 % des PSE étudiés par Secafi, la négociation avec les syndicats s’est ouverte avant « la réunion 1 » d’information-consultation et, dans 82 % des cas, les entreprises ont convoqué une « réunion zéro » avant de lancer la procédure légale. « Lorsque les deux réunions ne sont séparées que de quelques jours, cela ne change pas vraiment la donne », relativise Nadia Ghedifa, qui préconise « d’intercaler au moins une réunion intermédiaire et de faire intervenir l’expert le plus en amont possible. Les élus et les représentants syndicaux ont besoin de temps pour s’approprier des dossiers souvent très compliqués, se répartir les rôles et organiser leurs agendas ».

Illustration chez HanesBrands (Dim, Playtex…) : confrontés à un PSE de 265 suppressions de postes, les partenaires sociaux ont signé un accord de méthode en mai 2015 (à l’instar de près d’une entreprise sur deux, selon Secafi), prévoyant cinq mois de procédure au lieu de quatre. « Notre calendrier a tenu compte des vacances d’été et a permis de constituer des groupes de travail avec les managers des différents secteurs, pour réfléchir de manière opérationnelle aux réorganisations, explique Frédéric Besacier, DSC CFE-CGC. Nos experts ont également pu intervenir très tôt. Finalement, dans ce climat social favorable, nous avons rendu notre avis dans les délais légaux, à la mi-septembre, sans utiliser le mois supplémentaire dont nous disposions. »

Gare à la précipitation !

« Un bon accord de méthode peut permettre de prévoir l’agenda des expertises sur les volets économiques et sociaux, d’envisager des réunions communes CE-CHSCT, de s’entendre sur quelques règles de communication après les réunions, d’évoquer les crédits d’heures des IRP et des syndicats ou encore de programmer la participation de certains salariés experts », assure Jean-Christophe Berthod, directeur associé de Secafi. Mais gare à la précipitation ! « Nous constatons parfois des négociations trop rapides, avant même la première réunion, notamment via des accords de méthode qui vont jusqu’à détailler les mesures d’accompagnement social, souligne Nadia Ghedifa. Avec des dispositions inadaptées aux besoins des salariés, une focalisation sur les indemnités de départ et un débat escamoté sur la motivation économique du PSE. »

Me Rozec, côté employeurs, enfonce le clou : « En mettant l’accent sur la négociation et l’accompagnement social, la LSE peut inciter à édulcorer la dimension économique. Or il est essentiel que les managers expliquent le projet et s’efforcent de convaincre, sous peine d’avoir une réorganisation nettement moins fluide ensuite. » Dès lors, et compte tenu des diverses expertises, les délais légaux sont-ils tenables ? « Grosso modo oui, répond Jean-Christophe Berthod. À condition d’anticiper suffisamment les interventions des experts et de ne pas oublier les problématiques liées au CHSCT. » Car la LSE “enchâsse” désormais l’information-consultation de cette instance dans les délais du CE. « Pour ne pas bâcler les discussions, il peut être intéressant de scinder l’expertise CHSCT en deux parties, si les élus sont d’accord, suggère le directeur associé de Secafi. Une première partie sur les conséquences organisationnelles des restructurations, rendue dans les délais légaux. Une seconde partie sur les impacts poste par poste en termes de RPS, remise quelques semaines après. La direction est souvent plus à l’écoute et les premiers retours des salariés permettent d’adopter des mesures plus pertinentes. Cette solution, qui respecte les délais légaux mais allonge les délais réels des discussions, commence à se diffuser. »

Décrisper les relations

« Le report d’une partie du champ d’investigation du CHSCT après la fin de la procédure est judicieux, parce que les entreprises ont beaucoup de difficultés à anticiper la charge de travail poste par poste, approuve Danièle Chanal. Un accord de méthode peut sécuriser ce parti pris méthodologique. » Pour son confrère Philippe Rozec, « ce tempo en deux étapes permet de décrisper les relations entre partenaires sociaux, entre RH et experts, et d’approfondir l’évaluation et le traitement des RPS, un impératif depuis l’arrêt Fnac de 2012* ».

* 13 décembre 2012, cour d’appel de Paris : dans le cadre d’une réorganisation, l’entreprise doit procéder à une évaluation chiffrée de la charge de travail et des RPS des salariés restants et définir une politique de prévention.

À Hill-Rom, l’allongement des délais a été bénéfique

Le 23 janvier 2014, la direction France d’Hill-Rom (lits et mobiliers médicalisés) annonce la délocalisation des services de back-office en Pologne et un plan de départs volontaires à la production. Conséquence, 122 postes supprimés, dont 87 à l’usine de Pluvigner (Morbihan), laquelle emploie près de 400 salariés.

« Quatre jours plus tard, nous avons rencontré la direction européenne, raconte Johann Botuha, délégué syndical CGT (largement majoritaire). Tout en étant arc-boutée sur son plan, elle nous a laissé 45 jours pour plancher sur un contre-projet. Nous avons signé un accord de méthode prévoyant la remise de l’avis du CE début juin, soit plus d’un mois supplémentaire par rapport aux délais légaux. »

Aidée de l’expert (Secafi), la CGT interroge les clients et détaille les missions de chaque poste concerné. Et admet que la centralisation des activités de back-office est souhaitable, mais par pays et non en Pologne, compte tenu des spécificités des systèmes hospitaliers nationaux. Dans l’intervalle, le syndicat multiplie les AG et alerte les responsables politiques. Pourtant, le climat de discussions permet d’éviter tout arrêt de production.

Le 15 avril, le Pdg américain du groupe renonce finalement au plan de restructuration. « Nous avons alors signé un nouvel accord de méthode, précise Johann Botuha, reportant l’avis du CE à la fin juin pour laisser le temps à l’expert de plancher sur les impacts des départs volontaires et de la nouvelle organisation du back-office en France. » Avis finalement rendu le 10 juillet 2014, débouchant sur 68 départs volontaires étalés jusqu’en septembre 2015.

Auteur

  • Nicolas Lagrange