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LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Chronique | publié le : 13.10.2015 | Florent Millot

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LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Crédit photo Florent Millot

Temps de déplacement : retour à la case départ ?La décision de la CJUE sur le temps de trajet de salariés itinérants va faire bouger les lignes en matière de temps de déplacement.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 15 septembre 2015 une décision qualifiant de temps de travail effectif le temps de trajet de salariés itinérants entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client de la journée.

En énonçant la solution retenue par la CJUE, on voit immédiatement poindre une possible incompatibilité avec l’article L. 3121-4 du Code du travail, qui prévoit, par principe, que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

La rédaction actuelle de l’article est issue de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005. Son article 69 visait à prendre le contre-pied d’une évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation, qui avait intégré le temps de déplacement des salariés dans le temps de travail effectif, lorsque celui-ci dépassait en durée le temps normal du déplacement entre le domicile et le lieu de travail habituel (Soc. 5 mai 2004, n° 01-43918).

Quels enseignements doit-on donc tirer de la décision de la CJUE ?

1) Il paraît évident que la rédaction de l’article L . 3121-4 du Code du travail, qui exclut de facto du temps de travail tous les temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat, est beaucoup trop large au regard de la solution retenue dans l’arrêt du 15 septembre 2015 ;

2) Cela étant, faut-il à l’inverse déduire de la décision du 15 septembre 2015 que tous les temps de déplacement doivent être considérés comme du temps de travail ? La réponse est évidemment négative :

• La CJUE procède à une analyse des temps de déplacement des itinérants pour les raccorder aux deux seules notions connues de la directive 2003/88 sur laquelle est fondée sa décision, à savoir le temps de travail ou la période de repos ;

• Au regard des faits de l’espèce (ce qu’elle souligne expressément dans sa réponse), elle qualifie de temps de travail effectif les temps de déplacement des travailleurs n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel. De ce point de vue, l’arrêt reste donc un arrêt d’espèce.

• Mais, de manière sous-jacente, on perçoit au travers de l’analyse factuelle de la cour que la qualification comme temps de travail ou période de repos serait aussi guidée par la durée du temps de trajet. Cela serait d’ailleurs assez cohérent avec la finalité de protection de la santé et la sécurité des travailleurs de la directive 2003/88.

• Lu sous cet angle, on peut se demander si la Cour de cassation n’avait pas trouvé le point d’équilibre juridique en 2004, lorsqu’elle avait décidé d’intégrer le temps de déplacement des salariés dans le temps de travail effectif quand celui-ci dépassait en durée le temps normal du déplacement entre le domicile et le lieu de travail habituel. Cette solution, si elle pouvait être critiquée du point de vue du réalisme économique, avait le mérite de poser une règle objective et sans doute conforme à l’esprit des textes européens.

La décision de la CJUE va faire bouger les lignes en matière de temps de déplacement à plus ou moins brève échéance. D’autres décisions sur le même sujet seront sans doute nécessaires pour saisir quel est exactement le point d’équilibre que nous évoquons ci-dessus.

Cette évolution devrait toutefois s’effectuer de manière relativement sécurisée pour les entreprises :

• Dans l’immédiat, pas de risque d’application directe de la décision de la CJUE devant les juridictions françaises, une directive n’ayant pas d’effet direct dans le droit national.

• En cas de modification législative, le changement sera annoncé, prévisible, et la loi n’aura pas d’effet rétroactif.

Dernier point de consolation évoqué dans les paragraphes 47 à 49 de la décision de CJUE : la possibilité de prévoir une rémunération différente pour les temps de déplacement, même considérés comme du temps de travail effectif. La mise en œuvre sera certainement complexe dans le dispositif français de fixation des rémunérations, mais il s’agit là d’une piste intéressante, toujours dans cet esprit d’équilibre entre la nécessaire protection de la santé et la sécurité des travailleurs et la recherche de compétitivité des entreprises.

Auteur

  • Florent Millot