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L’interview

Thomas Sigaud : sociologue, chercheur associé au CEE

L’interview | publié le : 06.10.2015 | É. S.

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Thomas Sigaud : sociologue, chercheur associé au CEE

Crédit photo É. S.

« La mobilité géographique oblige à repenser le rôle des entreprises dans l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle »

Quel est l’état des lieux de la mobilité géographique aujourd’hui ?

En France, la mobilité résidentielle est relativement élevée : entre 2010 et 2011 par exemple, 4,3 millions de personnes entre 15 et 59 ans ont déménagé. La mobilité est plus forte en France qu’en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne. Mais depuis le début des années 2000, la tendance est à la baisse – la mobilité géographique a même brutalement chuté au moment de la crise de 2008 –, et, désormais, moins de 3 % des actifs change chaque année de département. Ce qui traduit de réelles tensions, très localisées, sur le marché immobilier. Dans certains territoires, le niveau élevé des prix rend difficile l’accès au logement, tandis que dans d’autres, les propriétaires auront du mal à le vendre ou à le mettre en location.

S’ajoutent à cela des évolutions sociétales lourdes : outre le fait que désormais les deux conjoints travaillent, le développement de la garde alternée et des familles recomposées implique que, dans un certain nombre de cas, la mobilité géographique n’est pas négociable.

Dans ce contexte, quelle est la marge de manœuvre pour les DRH ?

Les freins peuvent parfois se transformer en leviers. La mobilité géographique peut être acceptée si elle est proposée au bon moment, c’est-à-dire au moment où les tensions convergent et se dénouent : le salarié peut avoir besoin de se rapprocher de sa famille, d’une métropole, si son conjoint est en recherche d’emploi, etc. Mais cela implique de savoir où il en est dans sa vie privée. C’est pourquoi la mobilité géographique est si compliquée à gérer. Elle ne peut se réduire à un package financier, ou à demander au salarié à l’occasion de l’entretien annuel s’il est ou non mobile. Elle oblige à repenser le rôle des entreprises dans l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle des salariés. Elle est donc bien souvent la boîte noire des DRH qui, généralement, abordent la mobilité sous son aspect uniquement professionnel, indépendamment des enjeux personnels et territoriaux des salariés. Ce qui conduit à faire peser la responsabilité de la mobilité sur le salarié seul, et à développer un discours managérial sur un supposé manque de culture de la mobilité des Français, selon moi sans fondement.

Vous avez participé à la rédaction du Livre blanc sur la mobilité géographique des salariés, réalisé par Far & MG et Cilgère Services*. L’externalisation de la gestion de la mobilité géographique à des intervenants extérieurs vous semble-t-elle apporter une réponse ?

Elle a l’avantage d’apporter des compétences que l’entreprise n’a pas, comme la connaissance du marché immobilier local, et de faire intervenir un tiers extérieur auprès des salariés. Une piste intéressante du livre blanc consiste à établir un “diagnostic mobilité”, pour en évaluer avec le salarié les coûts et les bénéfices précis, en prenant en compte le logement, la situation de famille, l’emploi du conjoint, etc. Ce travail peut sans doute être mené avec des partenaires extérieurs, mais l’externalisation a ses limites et ne doit pas conduire les entreprises à se débarrasser du problème. Dans le livre blanc, nous les invitons au contraire à intégrer cette question dans leur démarche RSE, ce qui aurait plusieurs vertus : faire intervenir des services en position d’agent neutre ; mutualiser les coûts au plus haut niveau de l’entreprise, évitant ainsi de les faire peser sur le management local ; construire une politique de la mobilité géographique globale et transparente.

* FAR & MG est la Fédération des acteurs de la relocation et de la mobilité géographique ; Cilgère est un organisme (CIL) d’Action Logement.

Auteur

  • É. S.