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L’interview

Audrey Charbonnier-Voirin : « Une marque employeur irréaliste peut se révéler toxique pour l’entreprise »

L’interview | publié le : 29.09.2015 | Éric Delon

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Audrey Charbonnier-Voirin : « Une marque employeur irréaliste peut se révéler toxique pour l’entreprise »

Crédit photo Éric Delon

Survendre sa marque employeur est un pari risqué pour l’entreprise lorsqu’elle recrute. Car la confrontation rapide de cette communication avec la réalité est source de déception et de désengagement de la part des collaborateurs.

E&C Une de vos études récentes souligne l’écart significatif de perception de la marque employeur avant et après le recrutement de collaborateurs, susceptible d’affecter l’implication affective de ces derniers et même de générer des départs de l’organisation.

Audrey Charbonnier-Voirin Cette étude a été réalisée dans des SSII françaises de tailles différentes. Ce secteur fait face à une pénurie d’ingénieurs informatiques et à des taux de turnover moyens se situant entre 15 % et 20 %. Dans ce contexte de guerre des talents, le développement d’une marque employeur forte devient un véritable enjeu et un puissant levier d’attraction et de fidélisation. L’objectif de cette étude était de mesurer la manière dont les salariés ont évalué la marque employeur externe de leur société, lorsqu’ils étaient encore candidats, au travers des informations officielles communiquées sur l’entreprise – site corporate, réseaux sociaux professionnels, forums et salon de recrutement… Plusieurs dimensions de la marque employeur ont été prises en compte : intérêt du travail – degré d’autonomie, de responsabilité, d’initiative, de créativité – ; ambiance – relations avec les collègues et les supérieurs – ; développement professionnel – opportunités de développer ses compétences, formations, suivi et évolution de carrière – et rémunération. L’objectif était de réévaluer ces mêmes éléments une fois que la personne avait intégré l’entreprise, d’examiner s’il existait des écarts entre les deux perceptions et quelles étaient les conséquences sur son comportement au travail et son attitude vis-à-vis de l’organisation.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Sur les cinq entreprises étudiées, une se démarque. Ses salariés n’ont manifesté aucune déception par rapport à ce qui leur avait été annoncé. Au contraire, ils évaluent plus favorablement certains éléments de la marque employeur une fois en poste. Dans les quatre autres entreprises, en revanche, si l’ampleur des écarts est variable, les déceptions sont manifestes sur plusieurs axes : intérêt du travail et des missions, suivi des carrières, opportunités de développement professionnel et politique de rémunération. Seuls l’ambiance de travail et le degré d’autonomie ne sont pas sources de désillusion. Même si les collaborateurs admettent être conscients que l’image communiquée par toute entreprise a de fortes chances d’être embellie, ils estiment se sentir floués si ces informations se révèlent fausses, car elles sont considérées comme autant de promesses non tenues.

Comment cette déception se manifeste-t-elle ? Quelles sont les conséquences pour l’entreprise ?

La mise en œuvre d’une marque employeur irréaliste se révèle tout simplement toxique. Plus l’écart entre la marque employeur communiquée en externe et la réalité interne est significatif, plus l’intention de quitter l’entreprise s’accroît. Au sein des entreprises où l’écart de perception est le plus fort, les taux de turnover peuvent avoisiner 25 %, alors qu’il est inférieur à 3 % dans celle où les collaborateurs évaluent la marque employeur réelle comme étant conforme à ce à quoi ils s’attendaient avant d’intégrer l’entreprise. De tels taux de turnover coûtent cher, en termes de temps et de dépenses consacrées au processus de recrutement. Plus les déceptions sont manifestes, moins les collaborateurs seront impliqués vis-à-vis de l’organisation – attachement, loyauté. Ceci est particulièrement préjudiciable pour cette dernière, car certaines recrues pourront rester dans l’entreprise, faute d’opportunités, mais se désinvestiront rapidement en réponse à ce mensonge parfois vécu comme une véritable trahison. Les résultats de l’étude montrent également que la déception se manifeste lorsque la marque employeur était évaluée comme faible avant le recrutement et qu’elle le demeure une fois le salarié en poste.

Que doivent faire les entreprises pour éviter de telles désillusions ?

Elles doivent établir une véritable cohérence entre leur discours d’employeur, leurs actes et ce que vivent réellement les collaborateurs. Par exemple, elles ne doivent pas communiquer sur des pratiques anecdotiques ou sur des valeurs qui ne correspondent pas à leur réalité. Certains dirigeants véhiculent une vision idéalisée de leur organisation en omettant d’intégrer les salariés dans le processus de construction de la marque employeur et en ne tenant pas compte de leur réalité vécue. Leurs comportements, leurs discours, leurs témoignages et leurs retours d’expériences seraient en effet plus efficaces qu’une communication institutionnelle peu en phase avec la réalité. Cette approche renforcerait sans nul doute la crédibilité des messages. L’entreprise doit identifier les écarts négatifs entre les deux perceptions – avant-après – afin de proposer une communication plus conforme à la réalité, au risque d’être moins attractive, mais, au final, plus efficace dans sa stratégie de fidélisation. À moins qu’elle ne propose une offre RH plus ambitieuse.

En quoi la DRH peut-elle agir pour corriger un tel hiatus de perception ?

Le rôle de la DRH est essentiel, car les pratiques dans ce domaine sont perçues par les futures recrues comme les principaux signaux envoyés par l’organisation sur son rôle d’employeur. À cet égard, les pratiques et le processus de recrutement sont particulièrement stratégiques. C’est à ce moment que les attentes des candidats et les promesses de l’employeur se cristallisent, à la fois par le biais du discours véhiculé lors des entretiens et par celui de l’observation des comportements et des pratiques des futurs collègues. C’est également à ce moment que se confrontent les valeurs de l’entreprise et celles du candidat. La fonction RH doit avoir participé à la formalisation de ces valeurs organisationnelles, qui servent de guide dans la sélection. Il faut noter d’ailleurs que les processus de sélection ont singulièrement évolué ces dernières années. Ils sont davantage orientés vers la connaissance du candidat, sa personnalité, ses valeurs et ses attentes vis-à-vis du travail. Il n’est pas rare que des périodes d’immersion et d’intégration soient organisées dans l’entreprise avant même la décision finale de recrutement, au travers de rencontres concrètes avec l’équipe, afin de s’assurer de l’adéquation entre le candidat et l’organisation. Les professionnels RH ont un rôle fondamental à jouer tant dans « l’expérience candidats » que dans « l’expérience collaborateurs ». Ils doivent améliorer leur processus de recrutement et développer des pratiques RH qu’ils pourront valoriser auprès de leurs cibles, en étroite collaboration avec les services marketing et communication, pour trouver les supports de communication les plus adaptés. Les problématiques liées à la gestion de la marque employeur doivent redonner impulsion et légitimité à la fonction RH.

Audrey Charbonnier-Voirin Professeure en GRH

Parcours

→ Audrey Charbonnier-Voirin est professeure en gestion des ressources humaines à l’Inseec Business School. Elle dirige le master RH et gestion des talents.

→ Elle est l’auteure d’un article intitulé “Marque employeur interne et externe. Un état de l’art et un agenda de recherche”

(Revue française de gestion, n° 246, 2015).

Lectures

→ Fonctions RH. Politiques, métiers et outils des ressources humaines, M. Thévenet, Pearson, 2015.

→ Marketing RH – Digital, marque employeur, médias sociaux, F. La Pinta, V. Berthelot, Studyrama, 2013.

→ Comportements organisationnels-Organizational behavior, S. Robbins, T. Judge, Pearson, 2014.

Auteur

  • Éric Delon