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L’interview : Jean-Claude Dupuis responsable du Séminaire sur la comptabilité de l’immatériel*

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 22.09.2015 | L. G.

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L’interview : Jean-Claude Dupuis responsable du Séminaire sur la comptabilité de l’immatériel*

Crédit photo L. G.

« Mieux vaut parler de rapport qualité/coût que de retour sur investissement »

Que faut-il évaluer en formation ?

L’ensemble du processus qualité de la formation et les attentes de tous les clients de la formation : stagiaires, managers, RRH… Le face-à-face pédagogique n’en est qu’une brique. L’ensemble du processus est concerné, même ses parties invisibles : le rôle joué par les RH, les managers, les collègues… Ceci étant dit, deux précautions doivent être prises.

Lesquelles ?

Avoir en tête que l’évaluation n’est pas un acte neutre pour le processus évalué. Elle est fondamentalement un acte de management qui a des effets sur la réalité mise sous évaluation, à commencer pour les stagiaires. Une évaluation non adaptée peut réduire la motivation intrinsèque des stagiaires. Or partager des objectifs peut améliorer l’apprentissage et le transfert des acquis en situation de travail.

Quel est le second point qui requiert de la prudence ?

La croyance dominante pose que la compétence, entendue comme une capacité à résoudre des problèmes professionnels et faire un travail déterminé, précéderait la performance. Or une telle croyance ne résiste pas aux constats cliniques de la psychodynamique du travail. L’observation de l’intelligence en situation de travail renverse le rapport : la performance précède la compétence et non l’inverse ! Tout ceci est à prendre en compte dans les évaluations, dont la logique dominante reste trop contingente à l’organisation prescrite du travail.

Calculer un retour sur investissement en formation a-t-il alors du sens ?

Il serait plus simple et plus judicieux de parler de rapport qualité/coût. Le retour sur investissement a économiquement un statut flou. Il renvoie à une mesure de rendement et non pas de rentabilité. En formation, c’est plutôt une affaire d’appréciation du rapport qualité/coût et non de rentabilité. La rentabilité est un indicateur qui vise à renseigner un investisseur sur le rendement des capitaux qu’il a investis et immobilisés au cours d’une période de temps. Le calcul présuppose que l’investisseur récupérera ses capitaux immobilisés à la fin de la période. La mesure de rendement de la formation passe, elle, par le développement d’un contrôle de gestion consubstantiel au management par les objectifs.

Peut-on déduire une appréciation monétaire de l’évaluation de la qualité et des effets de la formation ?

Oui. Cela implique d’évaluer la valeur d’usage de la formation, c’est-à-dire les coûts que sa mise en œuvre opérationnelle permet d’éviter et/ou les suppléments de performance qu’elle permet de générer. C’est possible pour les formations en hygiène et sécurité, commerciales ou plus largement métiers. Mais ce type de calcul est complexe et a ses limites pour nombre de formations.

Où en sont les travaux sur des possibilités d’amortissement comptable ou financier des dépenses formation auxquels vous participez ?

La valorisation des impacts économiques de la formation pose la question de leur éventuelle reconnaissance en comptabilité générale. L’amortissement des dépenses apparaît une voie possible, et cette voie avait trouvé un écho favorable auprès de l’ancien président de l’Autorité des normes comptables, Jérôme Haas. Mandat avait été donné d’expertiser cette idée dans le cadre du Plan national d’actions “Capital humain et formation professionnelle : investissements pour la compétitivité” (DGE et DGEFP). Le décès soudain de Jérôme Haas a modifié le cours du projet, non pas tant pour des raisons institutionnelles que pour des raisons d’intercompréhension.

C’est-à-dire ?

Pousser comptablement les entreprises à entretenir leur capital compétences ne passe pas forcément par l’activation de ce capital au bilan. L’information comptable ne se limite pas à ce qui est compté monétairement. Et c’est justement dans l’intérêt des investisseurs – prudence oblige – que certaines ressources ne sont pas comptées directement monétairement.

Contrairement à l’amortissement financier, l’amortissement comptable stricto sensu ne participe en effet pas d’un calcul actuariel visant à refléter la valeur bilantielle de l’entreprise. Il vise à intégrer dans le coût global d’exploitation de l’entreprise les sommes mises en réserve afin de maintenir intact le potentiel productif. En l’occurrence : éviter que le capital compétences de l’entreprise dépérisse.

Cet amortissement comptable pourrait-il alors traduire une partie de l’obligation sociale de former qui pèse sur les entreprises ?

Oui, et cette logique trouvera un début de concrétisation dans les dotations que certaines entreprises devront passer au titre de l’abondement correctif du CPF pour non-gestion du parcours professionnel via l’entretien professionnel. La formation trouverait par ce biais sa meilleure reconnaissance économique : à savoir que la pérennité d’une entreprise passe par l’entretien de son capital compétences.

* Ce séminaire réunit la direction générale du Trésor, celle de la comptabilité et des normes comptables, le Medef, ainsi que des entreprises, des analystes financiers et extra-financiers, des experts, des chercheurs. Jean-Claude Dupuis est par ailleurs professeur associé à l’IGS, et membre du Conseil national des évaluations de la formation professionnelle.

Auteur

  • L. G.