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La chronique juridique d’avosial

Chronique | publié le : 15.09.2015 | Guillemette Peyre, Caroline Froger-Michon

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La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Guillemette Peyre, Caroline Froger-Michon

Une fausse accusation de harcèlement est-elle vraiment punissable ?Deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 10 juin 2015 illustrent la difficulté de sanctionner un salarié ayant dénoncé à tort des faits de harcèlement moral.

Pour lutter contre le harcèlement au travail, le législateur a institué une protection spécifique au bénéfice des salariés qui dénoncent de tels agissements. En vertu des articles L. 1152-2 et L. 1153-2 du Code du travail, les sanctions prises au motif que les salariés auraient témoigné ou relaté ces faits sont nulles. La jurisprudence a par ailleurs précisé que cette protection joue dès lors que le salarié est « de bonne foi », même si les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc, 10/03/2009, n° 07-44092).

Cette protection est susceptible d’engendrer un certain nombre d’abus. L’immunité peut se comprendre dans la mesure où il n’est pas toujours facile, pour des non-juristes, de déterminer si les faits que l’on a pu observer entrent bien dans le cadre défini par la loi. Un conflit mal vécu avec un supérieur hiérarchique peut ainsi laisser penser que l’on est victime d’un harcèlement de sa part, alors qu’il n’en est rien.

La protection instituée au profit des salariés dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel peut toutefois avoir des effets pervers. Il peut être tentant de dénoncer un prétendu harcèlement, soit pour bénéficier de la protection instituée par le Code du travail alors que l’on encourt une sanction pour d’autres motifs, soit dans le seul but de nuire à un supérieur hiérarchique ou à un collègue.

Prouver la mauvaise foi du salarié est toutefois un exercice difficile. Selon la jurisprudence, seul le salarié de « mauvaise foi » peut être sanctionné pour avoir dénoncé à tort des agissements de harcèlement. Si une telle « mauvaise foi » est retenue, elle peut même justifier un licenciement pour faute grave (Cass. soc, 6/06/2012, n° 10-28345). Cependant, la Cour de cassation adopte une approche très restrictive de cette notion. Ainsi, le manque de précision ou de crédibilité des accusations, tout comme la légèreté ou la désinvolture du salarié qui les met en avant, ne suffisent pas à lever son immunité.

C’est ce que la Cour de cassation rappelle dans les deux arrêts rendus le 10 juin 2015.

Dans le premier arrêt, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir provoqué délibérément son employeur, par ses propos et ses écrits, en l’accusant notamment de harcèlement moral alors que ce dernier lui demandait « tout simplement de faire [son] travail correctement et efficacement ». Mais, confirmant la nullité du licenciement, la Cour de cassation rappelle que le caractère systématique des accusations du salarié ne suffit pas à caractériser sa mauvaise foi si l’employeur ne démontre pas que le salarié en connaissait la fausseté (Cass. soc, 10/06/2015, n° 13-25.554).

La solution est identique dans le second arrêt. L’employeur ne pouvait demander la résiliation du contrat d’apprentissage pour faute grave d’une apprentie qui l’accusait de harcèlement moral et sexuel sans établir qu’elle connaissait la fausseté de ses accusations (Cass. soc, 10/06/2015, n° 14-13.318).

Ainsi, pour pouvoir sanctionner un salarié en raison de ses accusations fantaisistes de harcèlement, il faut démontrer qu’il a procédé à une dénonciation mensongère.

Cependant, une telle preuve est particulièrement difficile à rapporter, surtout si le salarié ne s’est pas ouvert de sa « stratégie » à des tiers. Or, en l’absence de mauvaise foi démontrée, les conséquences peuvent être lourdes pour l’employeur. En effet, il suffit qu’il soit fait allusion à des accusations de harcèlement infondées dans la lettre de licenciement pour rendre ce dernier nul, quand bien même la lettre évoquerait d’autres griefs parfaitement valables et justifiés.

Dès lors, en l’absence de preuve formelle de la mauvaise foi du salarié, il est conseillé de ne pas évoquer la dénonciation de faits de harcèlement imaginaires à l’appui du licenciement et de s’appuyer uniquement sur les autres griefs qui lui sont reprochés.

Auteur

  • Guillemette Peyre, Caroline Froger-Michon