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Accords sociaux internationaux : ça repart

ZOOM | publié le : 08.09.2015 | Hubert Heulot

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Accords sociaux internationaux : ça repart

Crédit photo Hubert Heulot

Les grands groupes, de plus en plus soucieux de leur responsabilité – et de leur réputation – sociale et environnementale, signent des accords dits “globaux” avec leurs syndicats, mieux organisés à l’international. Ces accords restent peu nombreux mais ils sont un vecteur de diffusion du modèle social européen.

En juin, la Société générale a été la première banque dans le monde classée parmi les “trop grosses pour s’écrouler” (« too big to fail » selon le Financial Stability Board) à signer un accord social mondial. Elle l’a fait avec la fédération syndicale UNI Finance, sur les droits humains fondamentaux et la liberté syndicale ; 76 pays et 148 000 salariés sont concernés. En novembre dernier, Orange en a fait autant, sur un sujet particulier : la santé de ses salariés et de ceux de ses sous-traitants, leur accès aux soins et leur capacité à se protéger notamment en Afrique contre le sida et le virus Ebola. Ce ne sont que des exemples.

« Après un essoufflement en 2009, le nombre d’accords internationaux est reparti à la hausse», confirme François Fatoux, de l’Orse (Observatoire de la responsabilit é sociétale des entreprises). Cette année, Total et l’espagnol Gamesa en ont aussi signé chacun un dans le domaine de l’énergie ; l’allemand Thyssen dans la métallurgie. À l’échelon européen, le réassureur Scor a conclu sur l’égalité hommes-femmes. Veolia vient de renforcer le pouvoir de son comité de groupe européen de « négocier », pas des accords mais des chartes d’engagements et des résolutions communes, très observées par les salariés en interne. Le Club Med, en pleine restructuration depuis qu’il a été repris par le chinois Fosun, s’est lancé dans la création d’un comité d’entreprise européen, conformément à la directive européenne de 1994, révisée en 2001, donnant à ces comités un droit d’information et de consultation dans les entreprises transnationales européennes.

L’ensemble de ces accords pèse peu : « 115 accords internationaux pour 80 000 firmes internationales et leurs 890 000 filiales ; ces textes ne sont pas opérants dans la mondialisation, tacle Pierre Coutaz, en charge des normes internationales du travail à la CGT. Mais ils ont le mérite d’entrer davantage dans le concret que les grandes déclarations de principe, surtout s’ils s’appuient sur des textes juridiquement opposables et s’ils sont assortis d’éventuelles sanctions, les deux conditions que nous mettons pour les approuver. »

Le scepticisme du syndicaliste n’est pas tout à fait partagé par Udo Rehfeldt, chercheur à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) : « Ce type d’accords n’existait pas avant 2000. Il y en a à peu près autant signés à l’échelle européenne qu’à l’échelle mondiale. Et pour beaucoup par des groupes européens ou sud-américains mais pas dans le monde anglo-saxons. Ces accords représentent une sorte de diffusion du modèle social continental européen. Même s’ils ne sont pas si nombreux, c’est cette dynamique-là qui compte. » François Fatoux ajoute un autre argument en leur faveur : « Ces grands groupes signataires comptent entre 40 000 et 100 000 salariés chacun au moins. Ils représentent à peine 5 % des salariés à travers le monde. C’est très peu, mais on est dans le domaine du qualitatif. Il faut faire connaître et promouvoir ce qu’ils font pour entraîner les autres. »

La réputation aux yeux du monde en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), la bonne image aux yeux de leurs collaborateurs et des salariés en général entrent pour une bonne part dans les motivations des grandes entreprises. « Un bon accord social est bien vu par les agences de notation », glisse Élise Buckle, coordinatrice des politiques globales à UNI Finance, à propos de la Société générale. À Orange, l’accord global sur la santé, outre qu’il combat l’absentéisme pour cause de maladie, tend aussi à fidéliser les salariés et à en attirer d’autres : « Si nous mettons en œuvre des mesures pour la santé et la sécurité de nos salariés, c’est pour répondre à une forte demande de leur part, notamment en Afrique subsaharienne. Et nous allons peu à peu définir un socle commun de garanties qui sera propre à Orange dans le monde entier. Tout cela parce que notre performance économique ne peut pas être dissociée de notre performance sociale », affirme Jean-Luc Godard, directeur des relations sociales internationales.

À la Société générale, le fait d’être la première banque à signer un accord global a compté. Elle a accéléré les négociations pour signer avant la BNP, qui a d’abord consolidé ses accords européens. Le Crédit agricole est aujourd’hui sur les rangs. « La Société générale veut se constituer une identité autour des droits sociaux fondamentaux », indique André-Guy Turoche, responsable réglementation et négociations sociales. La banque compte s’appuyer sur cette image pour se développer dans des zones en forte croissance, comme l’Afrique et l’Asie. L’accord implique aussi les sous-traitants. En la matière, il reprend simplement les normes antérieures de la banque sur les achats responsables : « Ce qui veut dire qu’UNI Finance considère qu’elles peuvent devenir une référence sans qu’il y ait quoi que ce soit à ajouter », souligne André-Guy Turoche.

Pression de l’opinion publique

La plupart des accords dits “globaux” s’étendent ainsi aux sous-traitants. Un effet, notamment, de la catastrophe du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh, où 1 200 ouvriers du textile ont péri dans l’effondrement de cet immeuble ; et de la préoccupation, en conséquence, qu’ont les grands groupes de connaître la chaîne de fabrication de leurs produits. Au-delà de la médiatisation de ces catastrophes, les syndicats jouent de plus en plus la carte de l’opinion publique. « Nous croyons beaucoup à sa mobilisation et à la sanction morale en cas d’écart avec les règles, explique Pierre Coutaz. Parce que l’on est plus sensibles qu’autrefois aux conditions dans lesquelles est produit ce que l’on porte, vêtements ou chaussures, car on est devenus sensibles aussi à l’éthique. »

C’est à la suite d’une campagne d’opinion qu’en avril dernier, Orange a rompu le contrat avec son partenaire commercial en Israël, parce qu’il travaillait dans les colonies juives en Cisjordanie, à l’encontre des résolutions de l’ONU les condamnant. Son image auprès de ses marchés arabes était en jeu.

Ces dernières années, le mouvement syndical a aussi gagné du poids en s’organisant mieux à l’échelle de l’Europe ou du monde. « Élever le socle social dans tous les pays d’Europe, cela passe d’abord par des accords entre au moins deux syndicats nationaux, afin de, d’abord, imposer la création d’un comité de groupe européen en s’appuyant sur les directives européennes, ensuite, il faut faire adopter des mesures transposables au-delà des deux pays d’origine », explique Christophe Lefèvre, responsable des accords internationaux à la CFE-CGC. C’est ainsi que les syndicats ont procédé à la Scor au sujet du télétravail.

Alliances syndicales mondiales

Ces alliances se sont aussi constituées au niveau mondial. « Nous les montons entre syndicats de différents pays, puis nous allons solliciter la conclusion d’un accord auprès de l’entreprise. C’est ainsi que la Société générale a signé », signale Élise Buckle, chez UNI Finance. « UNIGlobal Union peut contribuer à structurer les syndicats locaux », note André-Guy Turoche.

À travers la plus récente génération des accords internationaux, beaucoup de grandes entreprises se convertissent au contreseing syndical, au lieu de s’en tenir à des chartes unilatérales, comme c’est souvent le cas jusqu’ici.

Auteur

  • Hubert Heulot