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Dialogue social : Accords d’entreprise : l’indispensable SAV

L’enquête | publié le : 08.09.2015 | Emmanuel Franck

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Dialogue social : Accords d’entreprise : l’indispensable SAV

Crédit photo Emmanuel Franck

La réflexion et le travail sur la mise en application des accords d’entreprise n’ont pas suivi leur montée en puissance. Alors que ces accords sont appelés à couvrir des domaines de plus en plus nombreux, les partenaires sociaux, les pouvoirs publics et les juges commencent seulement à créer les outils susceptibles d’assurer leur effectivité.

Commissions de suivi, indicateurs, mémos pratiques, bulletins d’information, sites Internet dédiés, blogs, sessions de formation… Depuis quelques années, certains accords d’entreprise ne se conçoivent plus qu’accompagnés de leur intendance, sans laquelle ils risquent de demeurer lettre morte. Tant que la négociation d’entreprise se borne aux salaires et au temps de travail, la question de l’application des textes qui en découle ne se pose pas : les marges d’interprétation sont minimes et la mise en œuvre incombe naturellement à la direction des ressources humaines, à qui les syndicats font a priori confiance.

Les choses se compliquent avec les accords de “promotion d’une politique sociale”. Cette catégorie a été inventée par Michèle Rescourio-Gilabert, directrice de projet à Entreprise & Personnel, pour qualifier les accords sur la GPEC, la RSE, les conditions de travail, les seniors ou l’égalité professionnelle, dont la particularité est de poser des principes et des ébauches d’actions, à charge pour les acteurs de l’entreprise de les réaliser (lire l’interview p. 25). Contrairement aux accords “normatifs” (salaires, temps de travail, prévoyance…), les accords de promotion d’une politique, ou “sociétaux”, sont sujets à interprétation, leurs enjeux pas toujours appréhendables et les acteurs en charge de leur déploiement pas toujours clairement identifiés.

La multiplication de ce type d’accords ces dernières années – relais des politiques publiques dans un contexte d’émancipation de la négociation – a donc donné naissance à une kyrielle d’outils destinés à garantir leur effectivité. Ils peuvent avoir été créés par la négociation d’entreprise – ainsi, les commissions de suivi décidées par les signataires –, être à l’initiative des partenaires sociaux – guides pratiques de la direction ou blogs syndicaux –, ou imposés par la loi.

À ce dernier titre, Anne-Bénédicte Voloir, avocate associée chez Capstan, rappelle que les premières commissions de suivi légales concernaient les accords d’intéressement (système d’information du personnel et de vérification des modalités d’exécution de l’accord), « afin que les syndicats, qui avaient négocié la formule de calcul, ne perdent pas de vue les indicateurs gérés par la direction ». Cela se passait dans les années 1970. Puis les pouvoirs publics ne se sont plus guère intéressés à l’application des accords, jusque dans la deuxième décennie des années 2000, quand l’efficacité de ce qu’ils exigent des entreprises en matière d’égalité professionnelle (indicateurs chiffrés), de lutte contre la pénibilité (modalité de suivi des actions de prévention) ou en faveur de l’emploi (objectifs chiffrés dans les contrats de génération) est devenue un enjeu. À la suite d’une étude de ses services en 2009, le gouvernement s’est par exemple aperçu que les accords d’égalité professionnelle étaient essentiellement constitués de simples rappels des principes de non-discrimination. Depuis, il tente de corriger le tir en multipliant les indicateurs obligatoires.

Selon Anne-Bénédicte Voloir, la montée en puissance des accords dérogatoires, de type accords de maintien dans l’emploi (clause pénale pour le respect des engagements de l’employeur et modalités de suivi), a aussi pour contrepartie que les syndicats puissent vérifier leur application. L’avocate estime enfin que le juge a sa part dans le développement des outils de suivi. Pour exemple : « Les juges sont très exigeants dès qu’il s’agit de santé. Le suivi du forfait-jours est impératif, en effet, le juge peut être tenté d’annuler l’accord s’il estime que la charge de travail n’est pas suffisamment suivie », illustre-elle.

Assurer L’effectivité des accords

Mais l’effectivité des accords est d’abord la préoccupation de signataires soucieux de droits réels. D’où la multiplication des commissions de suivi conventionnelles, des bulletins d’information, des sites internet et des formations-sensibilisation destinées au contrôle des indicateurs et à changer les mentalités. Pour autant, l’existence de ces divers dispositifs ne suffit pas à assurer l’effectivité des accords. Encore faut-il que la commission de suivi se réunisse ; encore faut-il s’y retrouver dans les indicateurs. La clé d’un déploiement réussi (lire l’encadré ci-après) réside dans l’implication de la direction, de l’encadrement et des syndicats. Le commissionnaire de transport GLS est allé loin dans cette voie en organisant un tour de France conjoint à la direction et aux représentants du personnel pour présenter son plan de lutte contre les risques psychosociaux. Mais cette coopération ne s’applique qu’au seul sujet des RPS.

Citons également les bonnes pratiques de Thales, dont la direction organise des présentations de chaque accord auprès de la communauté RH et dont les syndicats communiquent tous azimuts sur les textes qu’ils signent (lire p. 23). Ou encore le travail notable de la CFTC de HP (Hewlett Packard), qui répond, dans son blog, à la multitude de questions individuelles suscitées par les accords qu’elle signe. De son côté, Cofely Ineo a créé une commission de suivi de tous les accords, ce qui évite d’en avoir une pour chacun d’eux (voir ci-dessous).

François Fatoux, délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), constate une difficulté inhérente à la situation française : « À peine les négociateurs ont-ils terminé une négociation qu’ils enchaînent sur la suivante. » Dès lors, comment actualiser les règles, les transmettre aux RH, aux managers et aux salariés, leur laisser le temps de se les approprier ? La dernière loi sur le dialogue social, votée en juillet, ne changera rien à ce rythme frénétique : elle a certes réduit à trois le nombre des négociations obligatoires mais sans toucher aux nombres de sujets qui devaient y être traités.

François Fatoux s’interroge par ailleurs sur la volonté des pouvoirs publics d’outiller les négociateurs. « Deux écoles s’affrontent au sein de l’administration : certains estiment que l’évaluation des accords doit rester une prérogative de l’État, quand d’autres, partisans de l’open data, veulent en donner l’accès à tous les acteurs. On s’est par exemple aperçu qu’en mettant les accords d’égalité professionnelle en accès libre, on permettait aux négociateurs d’en choisir les points les plus intéressants. »

Constitution d’identité

Pour Michèle Rescourio-Gilabert, les accords “sociétaux” ou de promotion d’une politique sociale n’ont de toute façon pas pour objectif de produire des effets mais d’afficher l’intérêt de l’entreprise pour le sujet. Ainsi, lorsque la Société générale est la première grande banque dans le monde à signer, au mois de juin, un accord social international sur les droits humains fondamentaux et la liberté syndicale, son objectif est de se constituer une identité autour de ces sujets (lire, p. 6, l’article sur les accords-cadres internationaux). C’est notamment pourquoi il est important qu’elle signe avant sa concurrente, la BNP. Pour Michèle Rescourio-Gilabert, c’est ce malentendu sur la finalité des accords sociétaux qui serait à l’origine de la grande frustration des négociateurs. E. F.

Les huit facteurs de succès

Avant la négociation

– Débattre des sujets à négocier et du calendrier de négociation avec les managers et les représentants des salariés.

– Diagnostiquer la situation de départ à l’aide d’enquêtes ou de benchmarks.

– Mettre les négociateurs à niveau en les formant sur le sujet.

Pendant la négociation

– Rester en contact avec le terrain ; côté direction grâce à des groupes de travail avec les managers ; côté syndicats via des blogs.

– Faire des modalités de mise en œuvre un sujet de négociation.

Après la négociation

– Prévoir des commissions de suivi largement ouvertes, notamment aux représentants des filiales.

– Prévoir des “décrets d’application”.

– Impliquer les syndicats.

Source : Réussir le déploiement des accords collectifs d’entreprise, Étude n° 308, Michèle Rescourio-Gilabert, en collaboration avec Jean-Pierre Basilien et Sophie Pagès, Entreprise & Personnel, décembre 2012.

Auteur

  • Emmanuel Franck