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LA SEMAINE

Dialogue social : Surenchère de propositions pour faire de l’accord d’entreprise la norme

LA SEMAINE | publié le : 08.09.2015 | Emmanuel Franck

Deux clubs de réflexion, l’un de gauche, l’autre libéral, ont publié, la semaine dernière, leurs propositions visant à faire de l’accord d’entreprise la norme. De son côté, le gouvernement attend le rapport qu’il a commandé sur le sujet.

En cette rentrée, pas moins de trois rapports sont consacrés à la négociation collective. Le laboratoire d’idées libéral Institut Montaigne et son homologue de gauche Terra Nova ont publié, respectivement le 1er et le 2 septembre, leurs propositions pour donner plus de place à la négociation d’entreprise, afin de favoriser la compétitivité et la cohésion sociale. Elles convergent sur de nombreux points, même si le rapport de Terra Nova* est paradoxalement plus libéral. Et, dans les jours à venir, on attend le rapport de la commission “Accords collectifs et travail” présidée par Jean-Denis Combrexelle, l’ex-directeur général du travail.

Au cœur des relations de travail.

Dans son rapport “Sauver le dialogue social. Priorité à la négociation d’entreprise”, l’Institut Montaigne propose de placer l’accord d’entreprise au cœur des relations de travail afin d’en faire la « norme de droit commun ». Ce qui signifie que la loi et les accords de branche seraient supplétifs. La hiérarchie des normes ainsi revue préserverait tout de même un “ordre public absolu” où la négociation ne pourrait intervenir. Son domaine se limiterait à de grands principes comme l’existence d’un motif de licenciement et l’obligation de motiver celui-ci ; l’obligation d’une représentation élue du personnel au-delà d’un seuil ; le respect de la dignité des salariés (harcèlement), de leurs droits fondamentaux, de leur santé et de leur sécurité.

Dans un second domaine, l’“ordre public professionnel”, qui correspond au niveau de la branche, regrouperait les règles qui « solidifient la collectivité des travailleurs » : classification, formation, prévoyance, frais de santé, mais aussi le salaire minimum. Ces règles, issues de la négociation, seraient plus favorables que celles (droits international ou européen : durée maximale du travail, par exemple) applicables à défaut d’accord d’entreprise. Car c’est à ce niveau-là que seraient fixées les règles. Ainsi celles relatives au temps de travail : majoration des heures supplémentaires, travail de nuit ou du dimanche, recours au temps partiel. La forme du contrat de travail serait également décidée dans l’entreprise, particulièrement les conditions de recours aux CDD. La négociation d’entreprise pourrait également fixer sa propre liste des motifs de rupture du contrat de travail (la fin d’un projet, par exemple) et poser les règles des procédures de licenciement.

Période de dérogation conventionnelle.

Le rapport de Terra Nova “Réformer le droit du travail”* va dans le même sens (y compris sur le smic de branche) avec quelques nuances : les normes réglementaires deviendraient également supplétives mais dans un second temps, après une période où la “dérogation conventionnelle” serait la règle. L’ordre public, auquel il ne serait pas possible de déroger, serait constitué des droits supranationaux et de ceux d’essence constitutionnelle – concrètement, le droit à la justice, à un travail décent, à l’égalité, à la solidarité, à la santé et au respect de la vie personnelle. À noter que la sécurité n’est pas citée en exemple. De même qu’il primerait sur la loi et sur l’accord de branche, l’accord d’entreprise s’imposerait au contrat de travail. Ce qui pose, relève l’Institut Montaigne, la question des « conséquences du refus du salarié » de voir son contrat de travail modifié par un accord. Dans ce cas, c’est un licenciement pour cause réelle et sérieuse avec des indemnités inférieures à un licenciement “traditionnel”.

Le rapport de Terra Nova dit à peu près la même chose, mais il distingue la qualification et le salaire horaire d’une part, dont la modification appelle l’accord du salarié, et le salaire mensuel (lié à la durée du travail), dont la modification pourrait être organisée par accord. Le refus du salarié entraînerait une rupture sui generis du contrat de travail, sans indemnité de licenciement, mais il disposerait d’une période de rétractation.

Le primat de l’accord supposerait dès lors de renforcer sa légitimité. C’est pourquoi l’Institut Montaigne et Terra Nova suggèrent d’aller vers l’accord majoritaire (50 %). Et pour « garantir la légitimité » des élus – syndiqués ou non – et des délégués syndicaux, les auteurs de l’Institut proposent de supprimer le monopole syndical de présentation de candidats au premier tour des élections ou d’instaurer un seuil minimum (20 %) de participation aux élections, en deçà duquel il n’est pas possible de mesurer la représentativité d’un syndicat. Dans le même but, ils proposent que les délégués syndicaux soient élus, de fusionner les IRP sans seuil d’effectif et de donner le pouvoir de négociation au comité d’entreprise lorsqu’il n’y a pas de délégué syndical.

Les représentants syndicaux ne sont pas totalement oubliés, puisqu’ils devraient « bénéficier d’une reconnaissance en termes de formation, de déroulement de carrière et de validation des compétences acquises ».

Rapport Combrexelle.

Ces deux rapports n’ont aucune chance d’être repris par le gouvernement qui, pour sa part, attend celui de la commission “Accords collectifs et travail” dans les jours à venir. « Certains jouent de cette proximité de parution pour tenter de faire pression sur le gouvernement afin qu’il aille plus loin que ce qu’il escomptait », analyse un observateur. Même si la composition des groupes de travail présente une certaine endogamie – l’économiste Pierre Cahuc et le cabinet d’avocats Barthélémy sont présents dans la commission Combrexelle et dans les think tanks – le rapport Combrexelle, qu’on annonce court et opérationnel, n’attaquera certainement pas de front les fondamentaux du Code du travail. Selon nos informations, la suppression du smic, la remise en cause du monopole syndical au premier tour des élections et la remise en cause de la hiérarchie des normes n’étaient pas à son programme. Il y a en revanche été question de la formation des négociateurs et du renforcement de la branche, qui reste un régulateur fondamental pour les petites entreprises.

* Réformer le droit du travail, Jacques Barthélémy, Gilbert Cette, ed Odile Jacob, septembre 2015.

Auteur

  • Emmanuel Franck