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Fusions-acquisitions : LA DÉLICATE gestion de l’emploi

L’enquête | publié le : 01.09.2015 | Élodie Sarfati

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Fusions-acquisitions : LA DÉLICATE gestion de l’emploi

Crédit photo Élodie Sarfati

SFR et Numericable, Lafarge et Holcim, Medica et Korian, Nokia et Alcatel-Lucent… des rapprochements d’envergure marquent l’actualité.Assortis dans certains cas de garanties de maintien de l’emploi avec lesquelles doivent composer ensuite les DRH. Rassurants dans un contexte incertain, ces engagements ont aussi leurs limites.

Le 19 mai dernier, les salariés de Numericable-SFR comme ceux d’Atos France se sont mobilisés à l’appel des syndicats. Dans les deux cas, les conséquences du rachat en 2014 – de SFR par Numericable, de Bull par Atos – cristallisent les inquiétudes. Récurrente, la question de l’emploi figure à chaque fois parmi les mots d’ordre. Elle a aussi motivé l’avis négatif rendu en juillet par le CE européen de Lafarge sur la fusion avec Holcim, les représentants s’inquiétant des suppressions d’emploi qu’elle pourrait générer, au-delà des 380 déjà programmées dans les fonctions support (166 en France).

Suppression des postes en doublon, changements de stratégie, reconfiguration des réseaux et des organigrammes, etc., accompagnent de fait, quasi-inéluctablement, les transferts d’entreprise. C’est pourquoi, dès l’annonce de l’opération, « avec le sort des statuts collectifs et des accords d’entreprise, l’emploi devient une question centrale et obligatoire pour les salariés et leurs représentants, car on touche inévitablement aux organisations », observe Dominique Paucard, responsable du pôle restructuration au cabinet Syndex. Car, si « la loi protège l’emploi en imposant le transfert des contrats de travail chez l’acquéreur, elle n’organise pas son maintien une fois l’opération réalisée », complète Aurélien Louvet, avocat associé au cabinet Capstan.

Opérations à fort enjeu médiatique

Pour autant, poursuit l’avocat, dans certains cas, des engagements sont pris en ce sens : « Cela peut jouer sur la concertation sociale et la capacité à faire adhérer les salariés au projet, souligne-t-il. Dans les opérations à fort enjeu médiatique, ils vont conditionner le soutien des pouvoirs publics. » En avril, pour obtenir le feu vert de Bercy dans son projet de rachat d’Alcatel-Lucent, Nokia a ainsi promis de maintenir le nombre d’emploi en France pendant deux ans et de créer 500 postes en R & D. Numericable-SFR, de son côté, s’interdit tout PSE pendant trois ans, et a inscrit cet engagement dans un accord d’entreprise (lire p. 23). Chez Total, depuis 2013, toutes les cessions de filiales s’accompagnent de garanties sociales, là encore négociées avec les syndicats (lire p. 25).

Engagements unilatéraux

Toutefois, s’ils peuvent dans certains cas être formalisés dans un accord, il s’agit la plupart du temps d’engagements unilatéraux, pris notamment devant le CE. Quant aux garanties, explique Aurélien Louvet, elles sont variables : « Les entreprises peuvent promettre, pendant un certain délai, de maintenir le volume d’emploi, de ne pas faire de PSE, voire, plus rarement, de ne pas licencier – sauf faute grave ou lourde. Ou bien elles garantissent des mesures d’accompagnement minimales en cas de restructuration. »

À Verallia, filiale de Saint-Gobain cédée à un fonds d’investissement, une “feuille de route” paraphée avec les syndicats en juin dernier entérine simplement la poursuite de la stratégie 2015-2017, approuvée par le CCE. Mais sans répondre au souhait des syndicats de reclasser dans le groupe Saint-Gobain les salariés qui perdraient leur emploi après leur transfert. De quoi rassurer les salariés, dans certaines limites, donc. « Nous savons qu’il y aura des doublons, notamment dans les fonctions centrales, témoigne par exemple Hervé Lassalle, représentant CFDT d’Alcatel. Et créer 500 postes en R & D ne veut pas dire qu’on n’en supprimera pas dans les autres activités. » Il pose les enjeux, pour son syndicat, de la négociation GPEC qui vient de s’ouvrir : « Négocier les conditions d’accompagnement des transformations que générera le rachat. »

Du côté des DRH, toute la difficulté de l’exercice consiste à recomposer les services en tenant compte des assurances données. À Numericable-SFR, un accord sur l’accompagnement des réorganisations induites par le rapprochement des entreprises a été conclu en juin dernier.

Pour « gérer au mieux les conséquences sociales » de l’intégration de 300 salariés de la FMP (Fédération mutualiste parisienne), le DRH de Klesia, Jean de Villèle, a pris les devants : « Notre double objectif est que, d’une part, les salariés de FMP vivent leur transfert le plus sereinement possible et, d’autre part, qu’il n’y ait pas d’impact négatif sur l’emploi. Or, pour que notre modèle économique fonctionne, nous devrons trouver des synergies et des gains de productivité correspondant à 35 postes. Autrement dit, il faut qu’à terme, 35 postes de Klesia soient occupés par des salariés de FMP, en gestion ou sur les services support, où il pourrait y avoir des doublons. » Plusieurs mois avant l’opération, un accord d’adaptation a été signé avec les syndicats de la FMP pour définir les conditions de transfert des contrats de travail vers Klesia. Par ailleurs, depuis début 2015, « nous proposons tous les postes ouverts chez Klesia aux collaborateurs de la FMP et nous signons des contrats de détachement ». À fin juillet, 24 mobilités anticipées ont déjà été réalisées et sept dossiers sont en cours d’instruction. « Deux gestionnaires de paye FMP ont par exemple déjà rejoint mon équipe », illustre Jean de Villèle. Après l’intégration complète des salariés, il compte sur la mobilité fonctionnelle et le turnover naturel pour « terminer la mise en place des synergies prévues ».

Départs individuels inévitables

Malgré tout, les engagements sur l’emploi n’empêchent pas les départs individuels, plus ou moins nombreux, plus ou moins volontaires. C’est ce que dénonce par exemple la CFDT de Sopra Steria. Au moment du rapprochement des sociétés, en janvier 2015, les directions ont affirmé qu’aucun plan social ne serait mis en place. « Mais très vite, la direction a indiqué vouloir maintenir le salaire moyen et l’âge moyen de chez Sopra, lesquels sont supérieurs chez Steria, relate une élue au CE. Résultat, depuis la fusion, les départs individuels ont plus que doublé. »

Dans ce contexte d’incertitude, les départs individuels « ne reflètent pas forcément une volonté de l’entreprise de pousser les gens vers la sortie, mais avant tout un problème d’acculturation à la nouvelle entreprise, décrypte Richard Duhautois, économiste au Centre d’études de l’emploi. Confrontés à des méthodes de travail différentes, parfois à des phénomènes de dominance, les salariés de l’entreprise absorbée, notamment les cadres, sont les plus exposés. L’entreprise, elle, risque de perdre des compétences clés ».

« Nous avions quelques craintes sur l’encadrement », se souvient ainsi Monique Rolland, la DRH France du groupe Korian, évoquant la fusion avec Medica en mars 2014. Pour rassurer et maintenir « l’engagement » des 20 000 salariés du nouvel ensemble, elle s’est donc fixé plusieurs objectifs : « Respecter les deux cultures, éviter les flottements et créer un sentiment d’équité et de confiance dans la nouvelle organisation. » Pour cela, l’équipe RH a mené plusieurs chantiers de front : des négociations hebdomadaires avec les syndicats sur sept thèmes « prioritaires », un diagnostic culturel pour « objectiver les écarts », ou encore des ateliers croisés pour redéfinir les périmètres d’action des services, choisir les process et travailler autour des valeurs de l’entreprise.

Quinze mois plus tard, Monique Rolland dresse un bilan positif de l’opération, même si la transition n’est pas terminée : « Les gens attendent encore de voir, mais le turnover a tout de même baissé d’un point depuis la fusion, et les effectifs ont augmenté de 240 emplois en un an. »

É. S.

Auteur

  • Élodie Sarfati