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L’interview

PATRICK CONJARD : « LE MANAGEMENT DU TRAVAIL EST UN VECTEUR DE PERFORMANCE »

L’interview | publié le : 25.08.2015 | Violette Queuniet

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PATRICK CONJARD : « LE MANAGEMENT DU TRAVAIL EST UN VECTEUR DE PERFORMANCE »

Crédit photo Violette Queuniet

Le management du travail offre une alternative aux modèles de management classiques qui s’essoufflent. Il permet à la fois d’améliorer le bien-être des salariés et l’efficacité au travail.

E & C : Vous venez de publier un ouvrage consacré au management du travail. Qu’est-ce que manager le travail ?

PATRICK CONJARD : Manager le travail, c’est prendre en compte le travail dans toutes ses dimensions : sa finalité économique, bien sûr, mais aussi ses conditions de réalisation, les besoins de reconnaissance et d’engagement des salariés et les enjeux de régulation au plus près du terrain. Dans cette approche, le travail est au cœur de l’organisation, de la gouvernance et de l’activité managériale.

Deux grands principes caractérisent l’approche management du travail. Le premier : le repositionnement du management sur une fonction de soutien à la réalisation de l’activité. Les processus et pratiques de management doivent être un facteur de ressources et non de contrainte pour ceux qui réalisent le travail. Il s’agit de positionner les managers de proximité dans un rôle de régulation et de traduction entre les objectifs stratégiques et les contraintes de l’activité. Second principe : pour réconcilier le management et le travail, il faut également rapprocher les processus de décision au plus près du terrain, notamment au travers d’espaces de discussion, pour trouver, avec les équipes, les solutions nécessaires à la réalisation de l’activité. D’un point de vue théorique, c’est appliquer le principe de subsidiarité à une organisation en laissant des marges de manœuvre localement pour permettre aux gens de prendre, à leur niveau, les décisions qui s’imposent.

Pourquoi valoriser cette approche ?

Depuis toujours, l’Anact a lié conditions de travail et performance. Nous partons de l’hypothèse que, si le management est attentif à la question du travail, cela participera non seulement au bien-être psychologique et à la préservation de la santé du salarié mais aussi à l’efficacité de l’organisation. Les travaux conduits par la fondation de Dublin ont par exemple mis en évidence que les organisations qui procurent aux salariés un espace d’implication, de participation directe, de capacité d’influence sur leur travail sont plus favorables pour leur santé. Un autre constat plaide en faveur du repositionnement du management sur les questions du travail : il existe une attente forte des salariés vis-à-vis de leurs managers sur cette problématique. C’est ce qui ressort d’un sondage commandé par l’Anact à l’occasion de la dernière semaine pour la qualité de vie au travail(1). Ils voudraient discuter avec leur hiérarchie des sujets concrets, quotidiens de leur activité. Or parler du travail dans une organisation ne va pas de soi : 31 % des personnes interrogées trouvent que c’est difficile de le faire !

Quels sont les leviers d’action pour mettre en place un management du travail ?

Il n’y a pas de recette standard mais quelques principes incontournables. D’abord mobiliser tous les acteurs de l’entreprise. Un projet de refonte des pratiques managériales ne concerne pas seulement les managers. Les organisations syndicales, les fonctions support et l’ensemble des collaborateurs doivent être associés aux réflexions. Deuxième axe : avoir rapidement une approche globale et systémique. Même si l’entrée dans la démarche peut se faire à partir des pratiques locales, il est nécessaire d’intégrer les principes du management du travail à tous les niveaux de l’organisation. Troisième élément : réaliser un diagnostic spécifique pour comprendre où se situe l’entreprise dans ses modes de fonctionnement en matière de management. L’analyse peut aussi porter sur des sujets spécifiques comme les espaces de discussion. Quatrièmement, analyser l’activité des managers de proximité. C’est une porte d’entrée intéressante : si un comité de direction réalise que ses cadres sont payés pour réaliser des activités à faible valeur ajoutée – dans beaucoup d’entreprises, 60 % de l’activité d’un cadre est consacrée à la gestion administrative et au reporting –, cela peut être un déclic ! Enfin, dernier point : conduire des expérimentations pour ensuite en tirer des enseignements. Si l’expérimentation démontre ses effets positifs en termes d’efficacité et de conditions de travail, alors elle pourra être diffusée plus largement et remonter au niveau de la gouvernance.

Observez-vous une appétence des entreprises pour cette thématique ?

Oui, cela commence. La problématique des RPS et leur médiatisation ont obligé les entreprises à sortir de la logique du déni des liens entre management et conditions de travail. L’idée est maintenant admise que les modèles de management en vigueur ont atteint leurs limites, car ils reposent sur une vision déformée du travail. À titre d’exemple, le lean management se traduit trop souvent par une réduction des marges de manœuvre des collaborateurs et un management absorbé par des activités de reporting. Il y a donc un intérêt pour un modèle alternatif comme celui du management du travail. Il existe aussi maintenant un cadre propice à une évolution avec l’accord national interprofessionnel (ANI) de juin 2013 sur la qualité de vie au travail (QVT). Un lien explicite y est fait entre performance et conditions de travail. Mais on en est encore aux prémices ! Pour l’instant, les entreprises qui avancent restent minoritaires et relèvent plutôt de dynamiques et d’engagements d’individus.

Quel rôle l’Anact jouera-t-elle dans la diffusion de ce nouveau modèle de management ?

La vocation de cet ouvrage est d’apporter une grille d’analyse et des axes de réflexion pour manager autrement. Sa diffusion auprès des entreprises avec lesquelles le réseau travaille, et auprès des acteurs-relais comme les consultants, doit donc contribuer à promouvoir ce modèle. Il faut également agir au niveau de la formation des managers. L’Anact compte sensibiliser les futurs managers et ceux en activité par le biais du chantier “Faire école”, l’une des priorités de notre contrat d’objectifs et de performance. Manager le travail, c’est complexe et cela s’apprend. Or les managers n’y sont absolument pas préparés aujourd’hui, car c’est encore le modèle du manager gestionnaire qui prévaut. L’objectif est de travailler avec les écoles d’ingénieurs et de management pour qu’elles intègrent le facteur travail dans leur cursus. Nous développons la même chose en formation continue avec des opérateurs de formation et avec notre propre catalogue de stages. Enfin, l’Anact et son réseau sont fortement mobilisés sur les questions de qualité de vie au travail. Comme ce sujet est aussi porté par l’ANI de 2013, cela nous ouvre un champ d’expérimentation opportun pour participer au basculement vers d’autres formes de management.

(1)“Les espaces de discussion au travail. Parler de son travail : comment ? Avec qui ? Pour quelles finalités ?” Sondage Anact-Harris Interactive auprès de 1 000 salariés, du 23 mars au 1er avril 2015.

PATRICK CONJARD : CHARGÉ DE MISSION À L’ANACT

Parcours

→ Patrick Conjard est chargé de mission à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Après un DESS d’ingénierie de formation, il a travaillé successivement sur des fonctions de prévention, de formation et d’emploi au sein du groupe chimique Rhodia pendant une dizaine d’années.

→ Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le champ de la professionnalisation et du management et vient de publier Le Management du travail (éd. Anact). Il est en charge d’animer le projet Management du travail pour le réseau Anact-Aract.

Lectures

→ Le Management désincarné, Marie-Anne Dujarier, La Découverte, 2015.

→ Le Bonheur au travail ? Regards croisés de dessinateurs de presse et d’experts du travail, Le Cherche-Midi, 2013.

→ Indignez-vous, Stéphane Hessel, Indigène Éditions, 2011.

Auteur

  • Violette Queuniet