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L’enquête

LE MANAGEMENT À LA MODE “DEJOURS”

L’enquête | publié le : 25.08.2015 | V. Q.

Le repreneur d’une enseigne d’instruments de musique en difficulté s’est inspiré des théories du psychanalyste du travail Christophe Dejours pour révolutionner le management.

Bien connu pour ses ouvrages sur la souffrance au travail, Christophe Dejours est d’abord un théoricien du travail, professeur au Cnam, qui a développé ses idées dans l’ouvrage Travail vivant*. Un livre devenu la bible managériale de Patrick Moynot, depuis qu’il a repris, en 2011, l’enseigne d’instruments de musique Musikia. Ce qui l’a séduit ? « Dejours est utile au manager parce qu’il permet d’obtenir l’exécution de la stratégie. Concevoir une stratégie, avoir des idées, ce n’est pas très compliqué. Ce qui fait la différence entre une entreprise qui marche et une entreprise qui ne marche pas, c’est l’exécution. Et pour ça, on a besoin des autres. On a donc besoin que les gens s’impliquent. Et pour qu’ils s’impliquent, il faut que les rapports humains et sociaux se placent dans un cadre très professionnel tout en laissant aussi la place au subjectif, à l’initiative individuelle, à la parole », indique-t-il.

L’entreprise est alors en grande difficulté, conséquence d’un management défaillant et de mauvaises décisions. « Les salariés avaient perdu toute confiance dans la direction, ils avaient abdiqué toute initiative et, entre eux, il y avait zéro coordination et zéro coopération », évoque le dirigeant. Avec sa directrice générale adjointe, Stéphanie Chopin, qui lui a fait découvrir l’ouvrage Travail vivant, il reçoit tous les salariés et prend le temps de les écouter. « Pas vingt minutes ! Ce n’est qu’au bout d’une heure de discussion que les vrais sujets commencent à apparaître et qu’on peut traiter les vraies questions. »

PRENDRE LE RISQUE D’ÉCOUTER

Sans compter les innombrables heures passées à échanger pour réexpliquer les règles chaque fois que des problèmes surgissaient sans que les collaborateurs puissent les résoudre. La notion « d’écoute risquée » développée par le psychanalyste prend alors tout son sens : prendre le risque d’écouter, pour un manager, c’est prendre le risque de reconnaître qu’il n’a pas forcément fait tout ce qu’il fallait. « Manager est un travail comme un autre, donc ça ne marche pas toujours comme prévu ! », cite Patrick Moynot.

Chez Christophe Dejours, la coopération est un élément essentiel pour la préservation de la santé mentale au travail. Comment y parvenir dans un contexte de méfiance généralisée ? En construisant des règles, car, toujours selon Christophe Dejours, « les règles de travail visent deux choses en même temps : la qualité de ce que l’on produit et le vivre-ensemble ». La construction de règles de métier est donc un chantier majeur chez Musikia. Cela passe bien sûr par la discussion mais aussi par quelques exercices imposés par la direction, tel un brief quotidien fait par le responsable du magasin à ses troupes avant l’ouverture des portes aux clients. Un outil de management simple, structurant pour les salariés, mais qui n’avait jamais été mis en œuvre !

RESTAURER LA COOPÉRATION

Il a fallu trois ans pour restaurer la confiance et la coopération. C’était la condition pour que l’entreprise puisse développer son projet stratégique : élargir son offre en vendant du son (enceintes, casques, etc.) pour conquérir une clientèle plus vaste. « À défaut d’être à nouveau profitable, l’entreprise est restructurée, avec une équipe qui fonctionne et où règnent le respect et l’écoute », observe Patrick Moynot, même s’il estime qu’il y a encore beaucoup à faire. Il est formel : la grille d’analyse de Dejours lui a permis de tenir : « On a pu jouer sur deux niveaux : le premier, qui est celui du redressement de l’entreprise ; le second, scientifique et expérimental, de voir comment l’organisation avance et comment on progresse. »

Le dirigeant en a même fait un cours qu’il a délivré aux étudiants de l’école de la communication de Sciences Po Paris. Lors du dernier cours, il a invité Christophe Dejours, qui a trouvé « bouleversant le passage de la théorie à la pratique ».

* Éditions Payot, 2009.

REPÈRES

Activité

Distribution d’instruments de musique.

Effectif

37 salariés.

Chiffre d’affaires 2014

10 millions d’euros.

Auteur

  • V. Q.