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DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Chronique | publié le : 25.08.2015 | DENIS MONNEUSE

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DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Crédit photo DENIS MONNEUSE

LES HÉROS SE CACHENT POUR MOINS TRAVAILLER

Lors d’un entretien avec un consultant âgé d’une trentaine d’années, celui-ci s’est plaint auprès de moi de « sexisme à l’envers ». Il critiquait sous ce terme l’attitude de son manager qui confiait systématiquement les missions urgentes – à finir tard le soir ou tôt le matin – à des hommes. Le manager partait du principe que les jeunes mères seraient plus pénalisées que les jeunes pères par des horaires à rallonge. Mon interlocuteur y voyait une forme d’iniquité : à poste égal, les femmes gagnent autant que les hommes alors qu’on leur accorde, en quelque sorte, un temps de travail moins important.

Ce consultant n’osait pas faire part de son mécontentement à sa hiérarchie, car la conciliation travail-hors travail est encore taboue dans certains secteurs, en particulier au sein de la gent masculine. Ne pas compter ses heures et ne pas se plaindre correspond à la norme de virilité. Le jeune cadre dynamique idéal doit être dévoué à son employeur, donc impliqué et disponible.

Erin Reid, chercheuse à l’université de Boston, s’est penchée sur ce sujet dans un grand cabinet de conseil en stratégie américain*. Puisque le client est roi et paie cher, il n’est pas rare pour le personnel de travailler 60 à 80 heures par semaine.

Pour les femmes, des arrangements sont proposés tels que le travail à temps partiel ou des tâches en interne moins exposées au travail en urgence. En revanche, il n’existe rien de tel pour les hommes.

Parmi eux, ceux qui sont las d’être continuellement sur le pont ont le choix entre deux attitudes. Ils peuvent parler ouvertement de leurs difficultés à leur hiérarchie, mais ils risquent alors des sanctions (l’absence de primes ou de promotion, par exemple) et une marginalisation, surtout s’ils demandent à occuper un poste traditionnellement dévolu à une femme.

L’alternative consiste à trouver des arrangements secrets pour faire bonne figure tout en mettant un peu le pied sur le frein. Cela revient, par exemple, à nouer des alliances avec d’autres collègues, à faire discrètement du télétravail ou à s’arranger pour avoir des clients locaux afin de limiter les déplacements. Toutefois, cette forme de déviance invisible n’est pas accessible à tout le monde : elle exige de disposer d’un réseau de clients à proximité et d’un bon réseau interne.

Puisque ce type d’écart à la norme ne nuit pas à la productivité – des déviants figurent même parmi les mieux évalués –, le cabinet de conseil n’a pas de souci à se faire. Erin Reid note toutefois deux limites à ce système du point de vue de la société.

D’une part, contrairement au cas cité en exergue, ce sont les femmes qui pâtissent du système : l’accès à la déviance horaire leur est plus difficile. En effet, quand une femme part du bureau à 17 heures, on imagine qu’elle va chercher ses enfants ; pour un homme, on imagine qu’il se rend à un rendez-vous d’affaires.

D’autre part, les arrangements demeurant cachés, l’employeur s’appuie sur des exemples de dirigeants ayant gravi les échelons pour prouver qu’il est possible d’avoir une vie équilibrée entre son travail et sa famille. C’est ainsi que le mythe du superhéros se perpétue !

* Erin Reid, Embracing, Passing, Revealing and the Ideal Worker Image : How People Navigate Expected and Experienced Professional Identities, Organization Science, avril 2015.

Auteur

  • DENIS MONNEUSE