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L’interview

Camille Signoretto : « LA RUPTURE CONVENTIONNELLE ÉLUDE LA RÉSOLUTIONDES CONFLITS »

L’interview | publié le : 07.07.2015 | Pauline Rabilloux

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Camille Signoretto : « LA RUPTURE CONVENTIONNELLE ÉLUDE LA RÉSOLUTIONDES CONFLITS »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Créée en juin 2008, la rupture conventionnelle du contrat de travail a d’emblée connu le succès. Cependant, si elle permet à l’entreprise de licencier plus facilement et au salarié de bénéficier du filet de sécurité du chômage, certaines de ces ruptures ressemblent à une fuite, qui laisse irrésolus les conflits sociaux dans l’entreprise.

E & C : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs de la rupture conventionnelle ?

Camille Signoretto : La loi sur la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée (CDI) date de juin 2008. Elle entérine un accord interprofessionnel entre les partenaires sociaux conduit entre septembre 2007 et janvier 2008 que seule la CGT avait refusé de signer. L’objectif du patronat était le même que celui invoqué depuis une vingtaine d’années pour assouplir le droit du travail. Il s’agissait pour lui de fluidifier et de sécuriser les entrées et sorties de main-d’œuvre des entreprises. Une rupture plus aisée du contrat de travail est supposée lever les obstacles à l’embauche et diminuer les recours contentieux devant les prud’hommes. Fruit d’un compromis plus large entre syndicats et employeurs, la rupture conventionnelle a aussi été rendue possible à partir de l’idée qu’elle contribuerait à sécuriser les parcours professionnels en permettant au salarié de favoriser sa mobilité tout en bénéficiant du filet de sécurité du chômage. Le législateur, pour sa part, a formalisé la procédure afin de la mettre à l’abri des ambiguïtés et de favoriser une transaction équitable. Il a notamment fixé une indemnité minimale de rupture équivalente à celle prévue par la loi pour un licenciement.

Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui de son usage depuis sa création ?

Si l’on considère les chiffres fournis par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la rupture conventionnelle a rencontré un succès immédiat. Dès 2010, la part des ruptures conventionnelles a dépassé celle des licenciements économiques. Elle se situe aujourd’hui autour de 17 % des fins de CDI – licenciements, démissions et ruptures conventionnelles – contre 7 % environ pour les licenciements économiques, 54 % pour les démissions et 22 % pour les licenciements pour motif personnel. Le nombre de ruptures conventionnelles tourne autour de 300 000 par an depuis 2012 – 333 306 en 2014 – et les recours devant les prud’hommes sont peu nombreux. Les objectifs en termes de simplification et de sécurisation des ruptures du CDI tels qu’escomptés par le patronat sont donc remplis. En revanche, la conjoncture économique défavorable aidant, les salariés ne retrouvent probablement pas facilement un emploi, puisqu’à la suite d’une rupture conventionnelle, en moyenne 80 % d’entre eux s’inscrivent à Pôle emploi. Sur le plan des indemnités financières, les indemnités de ruptures conventionnelles sont en moyenne plus élevées que celles légales de licenciement (0,47 mois de salaire par année d’ancienneté contre 0,20). Mais la médiane, par contre, est très proche du minimum légal (0,22). Cela tend à démontrer que seuls les salariés les mieux payés parviennent à négocier des indemnités de départ significativement plus élevées que le seuil légal, mais ils y parvenaient déjà avant la loi de 2008 sous la forme de transactions conclues après un licenciement. L’objectif de Xavier Bertand, alors ministre du Travail, que les transactions bénéficient au plus grand nombre n’a donc pas été atteint.

Que révèle la rupture conventionnelle de l’état des relations sociales dans l’entreprise ?

Le motif de la rupture du contrat de travail n’a pas à être fourni lors de la rupture conventionnelle. Une étude de la Dares en date de 2009 sur un échantillon représentatif de salariés explicite cependant un peu ces motifs. Dans 48 % des cas, les salariés font état d’une « acceptation commune ». Dans 38 % des cas, il s’agirait d’un choix à l’initiative du salarié et dans 14 % des cas d’un choix à celle des employeurs. Mais ces chiffres eux-mêmes sont ambigus puisque, dans la même étude, 29 % des salariés reconnaissent avoir été contraints au départ par leur employeur. Contraints, en quelque sorte, de « choisir » la rupture « à l’amiable » plutôt que le licenciement ou des conditions de travail qui les amèneraient à terme à démissionner. Quand l’initiative est prise par le salarié, 24 % d’entre eux disent avoir fait ce choix du fait d’une mésentente avec leur hiérarchie et 28 % parce qu’ils étaient insatisfaits de leur emploi et de leurs conditions de travail. Même si les salariés prennent parfois l’initiative ou, en tout cas, sont d’accord avec leur employeur sur l’opportunité de rompre leur CDI, le succès de la rupture conventionnelle de travail ressemble à une fuite devant l’emploi exercé, voire à une fuite devant la relation salariale et le lien de subordination qu’elle implique. À la suite d’une rupture conventionnelle, nombre de personnes cherchent à travailler à leur compte. Le succès de cette forme de rupture semble révéler un problème relatif à l’emploi lui-même et à la mauvaise qualité du dialogue social, resté stérile ou peu envisagé au sein de l’entreprise.

Quel problème la rupture conventionnelle pose-t-elle aujourd’hui ?

Elle va dans le sens de l’individualisation de la relation de travail. Qu’il choisisse de sortir de l’entreprise ou qu’on le pousse à la quitter, le salarié est seul concerné. Bien que le législateur ait prévu que le salarié puisse être accompagné lors de la conclusion de la rupture conventionnelle, il n’est pas certain que le salarié en situation de face-à-face personnel avec son employeur ou son représentant RH soit à même d’apprécier les risques de ce type de départ de l’entreprise. D’ailleurs, très peu de salariés se font accompagner – 7 % en 2011 –, ce qui n’est pas si étonnant quand on sait que les syndicats sont le plus souvent absents des PME. Par ailleurs, si le salarié quitte l’entreprise à partir d’un conflit patent ou latent avec son employeur ou par suite de conditions d’emploi et de travail qu’il juge défavorables, son départ élude la résolution des conflits et l’amélioration des conditions de travail. La rupture conventionnelle, par son succès même, pose bien la double question de ce qui se passe exactement au sein des entreprises et des stratégies des salariés pour contourner des conditions de travail qu’ils ne peuvent plus supporter. Une solution efficace donc, mais qui tient de la boîte noire.

Camille Signoretto ÉCONOMISTE

Parcours

→ Camille Signoretto est chercheuse en économie au Centre d’études de l’emploi.

→ Auteure d’une thèse intitulée “Licenciements et rupture conventionnelle : analyse et évaluation empirique des comportements des employeurs” soutenue en 2013, ses recherches portent sur l’analyse économique des règles de droit du travail, la mobilité professionnelle, les conditions de travail, la qualité de l’emploi.

→ Elle est l’auteure de l’étude “Quel bilan de l’usage de la rupture conventionnelle depuis sa création” dans Connaissance de l’emploi n° 121 (CEE, mai 2015).

Lectures

→ Les salariés ayant signé une rupture conventionnelle. Une pluralité de motifs conduit à la rupture de contrat, P. Bourieau, Dares Analyses, n° 064, 2013.

→ L’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : un avenir incertain, J. Freyssinet, Revue de l’Ires, n° 54, 2007.

Auteur

  • Pauline Rabilloux