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L’interview

Zahir Messaoudene : « LES ENTREPRISES QUI DEVIENNENT APPRENANTES SONT PLUS PERFORMANTES »

L’interview | publié le : 16.06.2015 | Véronique Vigne-Lepage

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Zahir Messaoudene : « LES ENTREPRISES QUI DEVIENNENT APPRENANTES SONT PLUS PERFORMANTES »

Crédit photo Véronique Vigne-Lepage

Pour passer de la simple résolution de problèmes à un apprentissage organisationnel, les entreprises doivent modifier leur structure et leur mode de management, de manière à “libérer” les idées et les compétences des salariés. Des changements parfois déstabilisants, mais qui sont des leviers de performance.

E & C : En quoi consistent les notions d’entreprise apprenante et d’apprentissage organisationnel que vous prônez ?

Zahir Messaoudene : On parle d’entreprise apprenante lorsque celle-ci est capable de créer, d’acquérir et de transférer des connaissances sur les productions, sur les process, sur les clients, sur les fournisseurs, sur la manière de travailler, sur le travail en équipe… C’est une finalité ; et l’apprentissage organisationnel est le processus qui y conduit. Il s’agit de capitaliser sur ses connaissances pour les transférer à de nouveaux domaines. Les employés de fabrique de chaises, par exemple, doivent pouvoir trouver les moyens de rendre celles-ci plus confortables puis, à partir de leurs savoir-faire, de fabriquer des tables. Cela permet à l’entreprise de s’adapter, d’évoluer.

L’expression “entreprise apprenante” a été créée dans les années 1990 par Peter Senge, un chercheur du MIT(1) qui a eu le talent d’unifier des théories diverses et peu compréhensibles. Quant à moi, je travaille sur des éléments plus pragmatiques pour aider les employeurs à comprendre les mécanismes et les blocages en matière d’apprentissage organisationnel.

Quels sont les éléments déterminants pour qu’une entreprise devienne apprenante ?

Le premier – au sens où il prime – est une structure organisationnelle qui ne soit pas fortement hiérarchisée, afin que les échanges d’informations soient plus rapides, que les opérateurs puissent mettre facilement en œuvre leurs idées. Il faut une vision claire et partagée de la stratégie, y compris par les salariés “de base”, qui peuvent avoir des remarques utiles sur le lancement d’un nouveau produit ou sur un choix d’investissement. Les routines managériales doivent relever davantage de l’accompagnement que du contrôle. La motivation et la promotion de l’initiative individuelle sont également déterminantes : pour découvrir des talents, il faut libérer l’intelligence. Cela exige de donner du temps et un environnement favorable aux salariés afin qu’ils résolvent des problèmes éventuels. Bien sûr, il n’y a plus, alors, ni pointeuse ni système de contrôle : les opérateurs s’organisent eux-mêmes pour régler leurs difficultés à leur niveau. Ils peuvent révéler là des compétences acquises par exemple au cours de leurs loisirs et que l’entreprise doit réorienter au service du travail. Il faut aussi une communication formelle : des événements, des réunions permettant de comprendre la démotivation, les blocages. Dans une PME, par exemple, un jour par mois, tout le monde, y compris le dirigeant, travaille à remettre en ordre, à repeindre les machines, etc. Cela apporte une meilleure compréhension mutuelle. Le dialogue informel est également nécessaire : un opérateur doit pouvoir demander de l’aide à un collègue au lieu d’attendre l’intervention du service de maintenance. Enfin, une revue des standards, c’est-à-dire un suivi de l’état de l’organisation, des compétences, du management, etc., est indispensable, de même qu’un contrôle régulier que la résolution de problèmes s’effectue sans difficulté. Mais, pour devenir vraiment apprenante, l’entreprise doit également apprendre de sa manière de résoudre les problèmes.

Vous révélez pourtant dans une enquête à paraître(2) que peu d’entreprises ont mis en place tous ces déterminants.

Seuls la revue des standards et le suivi-contrôle de la résolution de problèmes sont présents dans les 37 entreprises que nous avons interrogées. Cela tient au fait que ce sont des critères obligatoires dans les normes qualité. C’est le premier niveau : on apporte des solutions aux problèmes rencontrés, sans mesurer la qualité de ces réponses. Dans notre échantillon, 11 sont à un niveau supérieur : elles ont commencé à modifier leur structure, ont redéfini le rôle du management, le dirigeant a mieux informé son personnel sur sa vision stratégique… Enfin, trois entreprises ont atteint un troisième niveau, en mettant en place trois déterminants qui induisent les autres : le temps et l’environnement donnés à la résolution des problèmes, la réorientation des compétences cachées et l’apprentissage par la résolution de problèmes. À chaque fois qu’une difficulté s’est présentée, l’entreprise fait un autoretour d’expérience, les managers échangent avec les opérateurs pour savoir ce qu’ils ont appris de leurs erreurs et difficultés, ce qu’ils proposent à titre préventif. Les managers ne sont plus là pour décider, mais pour questionner, accompagner, à la manière d’un entraîneur sportif. Ce changement de posture induit un mode d’évaluation nouveau : chaque salarié s’autoévalue et ne fait qu’échanger avec son manager sur les raisons d’une baisse de performance et les moyens d’y remédier.

Ces nouveaux modèles d’organisation et de management ne sont-ils pas déstabilisants ?

Bien sûr. Cela prend donc du temps, on peut rencontrer des freins. C’est l’une des raisons pour lesquelles peu d’entreprises sont engagées dans cette démarche, qui peut même révéler des incompétences de la part de certains managers. D’où un rôle important du responsable RH. Dans l’élaboration des fiches de postes et lors des recrutements, ils doivent prendre en compte cette capacité à accompagner plus qu’à diriger. Ils doivent aussi trouver les formations permettant aux managers d’évoluer dans ce sens. Le RRH peut même élaborer un plan d’action pour tendre vers l’entreprise apprenante. S’il est convaincu, il convaincra le dirigeant, dont l’engagement est fondamental.

Les trois entreprises de niveau 3 ont des dirigeants qui ont une très forte confiance dans les personnes, qui vont sur le terrain… parce qu’ils savent que c’est un outil de performance. L’un d’eux assure : “Je ne suis pas humaniste par charité, mais pour le business.” Il s’agit par ailleurs toujours de leur propre entreprise : leur but n’est pas de faire le plus d’argent possible, mais de rendre la structure pérenne. Tous ont mis en place un groupe de travail interne sur le thème : comment préserver nos emplois à l’horizon de vingt ans ? Depuis qu’elles ont opéré ces changements, ces entreprises sont plus performantes. Elles ont vu leur prix de revient baisser, la moitié de cette baisse étant apportée par les opérateurs. Toutes ont, depuis, embauché ou agrandi leur usine, qui plus est sur fonds propres. Mais il est frappant de noter qu’aucune d’elles ne sait qu’elle est apprenante. Elles ont inventé leurs propres moyens d’y parvenir. La diffusion de ces notions peut permettre à d’autres d’y parvenir plus rapidement.

Massachusetts Institute of Technology, États-Unis.

Enquête Relations entre les pratiques d’amélioration continue et l’apprentissage organisationnel dans des PME françaises, 2015. Elle sera présentée lors du 11e Congrès international de génie industriel, 26-28 octobre 2015, à Québec, au Canada.

Zahir Messaoudene ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’ECAM LYON

Parcours

→ Zahir Messaoudene est enseignant chercheur en apprentissage organisationnel à l’Ecam Lyon, où il a créé et dirige le mastère spécialisé “manager de l’amélioration continue” et le Centre d’étude et de recherche sur le système lean.

→ Il a obtenu en 2003 un doctorat en génie industriel à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg.

Lectures

→ Apprentissage organisationnel. Théorie, méthode, pratique, C. Argyris et D. Schön, De Boeck, 2002.

→ The fifth discipline : the art and practice of the learning organization, Peter Senge. Doubleday/Currency, 1990.

Auteur

  • Véronique Vigne-Lepage