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Sur le terrain

RETOUR SUR… Le revirement de la Cour de cassation dans le débat sur les différences de traitement catégorielles

Sur le terrain | Pratiques | publié le : 09.06.2015 | Mariette Kammerer

Par un arrêt du 27 janvier 2015, en accordant une légitimité de principe aux avantages catégoriels issus d’accords négociés, la Cour de cassation sécurise les CCN de branche et redonne du poids à la négociation collective. Retour sur les conséquences de ce revirement et sur les jurisprudences qui l’ont précédé.

Le risque de contentieux est réduit… mais pas annulé Le retournement de jurisprudence était attendu par tous. Par un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour de cassation revient sur sa position de 2009 au sujet des avantages catégoriels.

Dans une affaire concernant certains avantages accordés aux ingénieurs et aux cadres dans la convention collective Syntec – remis en cause par la CGT –, la haute juridiction estime que les différences de traitement entre catégories professionnelles (cadres et non-cadres) sont « présumées justifiées » dès lors qu’elles sont issues d’une convention ou d’un accord négocié et signé par des organisations syndicales représentatives, « de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération professionnelle ».

Raison objective et pertinente

En accordant une légitimité de principe aux distinctions catégorielles négociées et en renversant la charge de la preuve, cet arrêt met fin à l’insécurité juridique qui pesait sur les conventions et accords collectifs depuis 2009.

À cette époque en effet (arrêt du 1er juillet 2009), la Cour de cassation avait donné raison à un employé de DHL revendiquant le même nombre de jours de congés que les cadres. Les juges estimant qu’en vertu du principe d’égalité de traitement, un avantage consenti à une catégorie professionnelle devait reposer sur des « raisons objectives et pertinentes », et que la différence de catégorie professionnelle ne suffisait pas en elle-même à justifier l’attribution d’un avantage différent. Cette décision mettait potentiellement en danger environ 700 CCN de branche, construites sur des différenciations catégorielles sans toujours les justifier.

Prises de panique, certaines fédérations patronales entreprennent alors de recenser toutes les différences de traitement prévues par leur CCN. Dans les entreprises, les avocats conseillent aux DRH de les justifier par avance en préambule des accords collectifs. Et, de fait, les contentieux ne tardent pas à se multiplier. Des salariés licenciés utilisent cette brèche pour réclamer qui une mutuelle, qui des indemnités de licenciement, qui des primes diverses, alignées sur celles des cadres. Et plus d’une fois obtiennent gain de cause tant la notion de « raison objective et pertinente » demeure sujette à interprétation.

Consciente du malaise, la haute juridiction assouplit sa position par un arrêt du 8 juin 2011, dans lequel elle admet l’octroi d’un avantage catégoriel, à condition qu’il soit lié à « la spécificité de la situation des salariés », c’est-à-dire aux conditions d’exercice, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération. Laissant le soin aux cours d’appel de rechercher lesdites spécificités. Un arrêt du 29 mars 2012 justifie ainsi des jours de congé supplémentaires pour les cadres par un temps de travail supérieur lié au forfait-jours.

Un nouveau recul des hauts magistrats intervient en 2013, avec trois arrêts validant sans réserve les distinctions entre cadres et non-cadres en matière de prévoyance et de retraite complémentaire, justifiées par des caisses et des cotisations différentes. Enfin, dernier recul avec cet arrêt du 27 janvier 2015, estimant finalement que les distinctions catégorielles opérées par voie d’accord collectif sont présumées justifiées.

Charge inversée

Pourquoi ce revirement ? « La jurisprudence de 2009 était impraticable, un employeur seul se retrouvait à devoir justifier des dispositions conventionnelles de branche qu’il ne faisait qu’appliquer », explique Stéphane Béal, avocat associé au cabinet Fidal. Désormais, la charge de la preuve est inversée : « On revient au mécanisme classique, c’est à celui qui conteste un avantage de prouver qu’il n’est pas légitime, ce qui paraît plus logique », ajoute l’avocat. Le plaignant devra démontrer que la différence de traitement est « étrangère à toute considération professionnelle », ce qui, en pratique, risque d’être très difficile. « Cet arrêt légitime le statut de cadre et la logique d’un traitement différencié, se réjouit Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC, et redonne le champ libre à la négociation collective catégorielle, quelque peu freinée depuis 2009. »

Enfin, en sécurisant les conventions et accords issus de la négociation collective, qui étaient de plus en plus contestés sur le principe de l’égalité de traitement, cette décision redonne du poids au dialogue social et renforce la légitimité des organisations syndicales représentatives. « C’est toute la force de cet arrêt, il distingue les accords négociés des décisions unilatérales de l’employeur, pour lesquelles la jurisprudence de 2011 continue de s’appliquer », ajoute Carole Couvert. Ainsi, la même prime de vacances pour les cadres sera présumée justifiée si elle est prévue par un accord collectif, mais pourra être contestée plus facilement si elle résulte d’une décision unilatérale. « Les employeurs doivent rester vigilants sur ce point, prévient Catherine Millet-Ursin, avocate au cabinet Fromont-Briens. Outre les décisions écrites, comme les PSE, il existe de nombreux usages non écrits, construits au fil du temps, attribuant des primes diverses, 13e mois, etc., que l’on conseille d’écrire et de justifier au maximum. » Le risque de contentieux sur le principe de l’égalité de traitement, considérablement réduit par cet arrêt, n’est pas donc pas totalement écarté.

Auteur

  • Mariette Kammerer