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Chronique

DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Chronique | publié le : 02.06.2015 | DENIS MONNEUSE

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DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Crédit photo DENIS MONNEUSE

QUI A PEUR DU GRAND MÉCHANT “BORE-OUT” ?

Je vais vous confier un secret. Depuis ma plus tendre enfance, une question m’obsède : quand arrivera le jour où tous les titres possibles auront été épuisés ? Quand journalistes, chercheurs et écrivains se montreront-ils incapables de nommer leur publication sans reprendre un titre déjà usité par un de leurs prédécesseurs ?

À chaque fois que je pense que ce jour approche, un nouveau concept sort d’un chapeau. Par exemple, après le burn-out, le bore-out a fait son apparition, illustrant notre incroyable capacité de renouvellement linguistique.

Je vous rassure tout de suite, l’émergence d’un nouveau mot ne signifie pas nécessairement l’émergence d’un nouveau phénomène : le monde réel est bien plus stable que le monde langagier. Il s’agit souvent d’une façon, pour un auteur, de se distinguer grâce à un concept marketing, donc médiatique. Autrement dit, c’est un moyen comme un autre d’accéder à la lumière et de financer ses prochaines vacances aux Seychelles !

Pour revenir au bore-out, de quoi s’agit-il ? Pour Christian Bourion et Stéphane Trebucq, deux des rares chercheurs employant cette notion(1), c’est la souffrance imputable au manque d’activité pendant le temps de travail. Les victimes de ce syndrome sont diverses, car différentes situations sont mises dans le même sac : celle d’un salarié dont le carnet de commandes de l’employeur est vide, qui a été placardisé par sa hiérarchie ou bien encore qui effectue rapidement la modeste charge de travail qui lui a été confiée.

Jusqu’ici, rien de nouveau sous le soleil. Quel est le point commun entre la charge de travail et la faim dans le monde ? Les problèmes de répartition : de même que certains meurent de faim pendant que d’autres meurent d’être obèses, certains se tuent à la tâche quand d’autres s’ennuient à mourir.

Si le phénomène n’est pas original, le regard posé sur lui évolue : ce qui apparaissait comme une planque (le fait d’être payé à ne rien faire) se révèle désormais un problème : ceux qui s’ennuient ont plus de (mal)chance d’avoir un accident cardiovasculaire(2), de se sentir inutiles et honteux, de déprimer, etc. On peut penser que le manque d’activité était plus douloureux à vivre dans l’ère pré-Internet, mais on s’intéressait moins aux pathologies mentales au travail à l’époque.

Où commence l’ennui ? Comment le mesure-t-on ? Peut-on s’ennuyer malgré une forte charge de travail Sur quoi reposent les chiffres diffusés (plus de 30 % de la population active concernée) ? Ne sont-ils pas farfelus ? Il ne s’agit pas de nier l’existence de la souffrance liée au manque de travail, mais de souligner la faible scientificité (à ce jour) de la notion de bore-out.

Pour ne pas être en retard d’une guerre, permettez-moi de lancer ici-même le prochain concept à la mode. Devant être en anglais, commencer par “b” et finir par “out”, je propose celui de “break-out”. Ce mot signifiant (entre autres) « évasion », je suggère que l’on désigne ainsi le fait de s’évader au travail, d’être dans la lune, dans ses pensées.

Il faudra alors se pencher sur les causes et le coût de ce fléau, mais aussi sur ses éventuels effets bénéfiques. Qui écrira le premier livre sur ce sujet ?

1) Christian Bourion et Stéphane Trebucq, “Le bore-out-syndrom”, Revue internationale de psychosociologie, n° 41, vol. XVII, 2011.

2) Annie Britton, Martin Shipley, “Bored to death ?”, International Journal of Epidemiology, n° 2, vol. 39, 2010.

Auteur

  • DENIS MONNEUSE