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L’interview

Yannick Fondeur : « LE RECRUTEMENT EST SOUS L’EMPRISE CROISSANTE DES RH »

L’interview | publié le : 26.05.2015 | Violette Queuniet

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Yannick Fondeur : « LE RECRUTEMENT EST SOUS L’EMPRISE CROISSANTE DES RH »

Crédit photo Violette Queuniet

Pour rationaliser et sécuriser le recrutement, les services RH des grandes entreprises ont de plus en plus cadré les procédures. Cette standardisation, qui s’impose aux managers, n’est pas sans susciter des tensions et porte le risque d’une uniformisation des profils.

E & C : La sélection des candidats dans les grandes entreprises est-elle devenue le domaine des RH au détriment des managers ?

Yannick Fondeur : Il y a en effet une plus grande place des RH, mais je ne dirais pas que les managers sont hors jeu. Sauf dans quelques cas particuliers, les RH ne décident pas seuls du recrutement. Mais il est vrai que l’action des managers est souvent très cadrée par les RH. Ceux-ci formalisent les processus d’embauche et structurent ainsi les décisions de sélection prises pour chaque recrutement. Autrement dit, les RH prennent des décisions génériques, qui portent sur les règles de recrutement et qui encadrent les choix spécifiques des managers qui portent, eux, sur des recrutements particuliers. Pour autant, les RH ne sont pas exclus du second type de décisions, au contraire. Nos travaux montrent que, plus leur poids est important dans les décisions génériques, plus il l’est également dans les choix spécifiques. La production de règles va donc de pair avec le fait de prendre part aux recrutements.

Quelles sont les causes de la montée en puissance des RH dans les choix de recrutement ?

Il y a trois grands déterminants. D’abord une dynamique gestionnaire. Le métier des RH est d’organiser, de rationaliser l’affectation de la force de travail. D’une certaine manière, elles se posent en garants du fait que, dans les recrutements, on écoute l’organisation dans son ensemble et pas seulement le territoire restreint du manager. Cette dynamique gestionnaire répond à un second déterminant très important, qui est le marché interne de l’entreprise. Dans une grande entreprise, on embauche généralement pour une carrière. Plus le marché interne est développé, plus on investit sur les personnes recrutées sur les postes d’entrée de l’entreprise, plus le poids des RH est important. Le cas typique, c’est la banque de détail : les processus de recrutement aux postes d’entrée sont extrêmement normés par les RH, car on recrute a priori en vue de carrières internes longues.

Le troisième déterminant concerne les risques externes liés au recrutement. Risque juridique, bien sûr, sur les questions de diversité et de discrimination, mais aussi risque d’image : il faut renvoyer une bonne “image employeur” au marché du travail si l’on veut être un recruteur attractif – mais aussi, dans une certaine mesure, vendre ses produits ou services. Les RH tirent également leur légitimité des “bonnes pratiques” qu’elles mettent en avant pour protéger les entreprises de ces risques.

L’uniformisation des processus de recrutement permet-elle d’être plus objectif dans la sélection des candidats ?

Si l’objectivité consiste à renvoyer à des critères objectivables, la réponse est oui. Mais c’est tautologique : dans ce cadre, les critères “objectifs” sont forcément des critères formels. Parmi eux, il y a le diplôme. Ce critère mobilise une légitimité fondée sur une certification externe, mais il est aussi plus facile à mobiliser que le critère de l’expérience, par exemple. De fait, on constate statistiquement que les procédures de recrutement très formalisées contribuent à exclure les personnes peu ou pas diplômées. De même, elles tendent à éliminer les gens qui ne sont pas dans la norme, les parcours atypiques. On oppose souvent le recrutement formalisé au recrutement par réseau, assimilé à du copinage peu “objectif”. Pourtant, les enquêtes montrent que la mobilisation des relations aboutit à des appariements de meilleure qualité, notamment parce que ce canal permet à des informations non objectivables de circuler. Il est également beaucoup moins stigmatisant pour les parcours atypiques et les peu ou pas diplômés.

Cela relativise donc l’efficacité prêtée aux méthodes fondées sur une formalisation forte du recrutement. Et si, par objectivité, on entend équité, on constate qu’il n’est en fait souvent pas plus équitable de recruter de cette manière-là.

Cette formalisation n’est-elle pas utile pour lutter contre les discriminations ?

On peut le penser, en effet. Pour autant, c’est difficile à mesurer. Des résultats contre-intuitifs ont parfois été obtenus en matière de neutralisation des critères discriminants, comme dans le cas de l’expérimentation menée par Pôle emploi sur le CV anonyme en 2010. Dans ce cas, l’utilisation du CV anonyme avait paradoxalement eu un impact négatif sur les candidats issus de l’immigration ! L’explication la plus probable est la suivante : les entreprises volontaires pour l’expérimentation étaient sensibilisées aux questions de discrimination et de diversité. À partir du moment où elles mettaient en œuvre le CV anonyme, cet effet de sensibilisation des recruteurs – qui les conduisait à regarder de manière bienveillante les profils issus de la diversité – s’annulait. Du coup, la diversité diminuait. L’outil de neutralisation mis en place paralysait aussi les bonnes intentions !

Le poids des RH dans le recrutement est-il remis en cause par les opérationnels ?

Oui, on sent souvent une certaine tension entre RH et managers de proximité lors des recrutements. D’une certaine manière, la mode du RH “business partner”, apparue il y a quelques années, était une façon de transformer cette tension, qui s’exprime également en dehors du champ du recrutement, en une articulation plus pertinente. Mais je ne suis pas sûr que cela ait réellement contribué à améliorer la reconnaissance mutuelle de ces deux groupes, qui tirent leur légitimité professionnelle de sources très différentes. Les managers ont pour eux la légitimité “métier”. Mais la force des RH est d’être une profession transversale à l’entreprise et aux entreprises. C’est une profession très bien organisée, qui, en matière de recrutement, tire sa légitimité de sa position en surplomb. Par ailleurs, l’activité des RH consiste largement à produire les règles qui s’imposent aux opérationnels recruteurs. C’est une configuration structurellement source de conflits de légitimité !

Yannick Fondeur CHERCHEUR AU CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI

Parcours

→ Yannick Fondeur est directeur de l’unité de recherche “Marchés du travail, entreprises, trajectoires” au Centre d’études de l’emploi (CEE). Docteur en sciences économiques, il a mené ses premières recherches à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires).

→ Il est l’auteur de nombreux articles sur les pratiques de recrutement, parmi lesquels “La professionnalisation du recrutement au prisme des dispositifs de sélection” (Revue française de socioéconomie, 2014, La Découverte) ; “Services de conseil en informatique : recruter pour placer” (La revue de l’Ires n° 76, 2013-1).

Lectures

→ Le secteur bancaire : des recrutements sous l’autorité des ressources humaines, Guillemette de Larquier et Carole Tuchszirer, La revue de l’Ires, n° 76, 2013.

→ Inventing Equal Opportunity, Frank Dobbin, Princeton University Press, 2009.

Auteur

  • Violette Queuniet