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Les journées en douze heures, UNE ÉPIDÉMIE À L’HÔPITAL

ZOOM | publié le : 28.04.2015 | Caroline Coq-Chodorge

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Les journées en douze heures, UNE ÉPIDÉMIE À L’HÔPITAL

Crédit photo Caroline Coq-Chodorge

Attractives pour les jeunes infirmières, les journées de travail en douze heures se répandent à grande vitesse dans les établissements de santé.Les syndicats, très réservés, sont souvent contraints d’accompagner cette demande du personnel. Mais les conséquences de ce rythme de travail intensif sur la santé et la qualité des soins sont mal cernées.

« Personnels, direction, pouvoirs publics, syndicats, chercheurs : tout le monde a son avis sur les journées en douze heures à l’hôpital, qui oscille entre une position de principe et la prise en compte de la réalité », résume Denis Garnier, chargé du secteur de la prévention des risques professionnels au syndicat Force ouvrière Santé. Les principes se situent du côté du droit et de la santé au travail. La réalité, c’est l’attrait de cette organisation du travail pour les personnels soignants, qui leur permet de travailler trois jours en moyenne, au lieu de cinq.

Gagner du temps

« Il y a un vécu de bénéfice immédiat. Les infirmières et les aides-soignantes perdent moins de temps dans les transports, ont le sentiment de gagner du temps de vie privée, explique Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la Fédération hospitalière de France. Mais c’est illusoire bien sûr, car, sur l’année, le temps de travail et le temps de récupération sont les mêmes. »Qu’importe, les 12 heures se répandent comme une traînée de poudre dans les établissements. L’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess) a interrogé 600 établissements hospitaliers entre juin et août 2014 ; 138 ont répondu : 71 % ont mis en place une organisation en douze heures ; parmi eux, la totalité des CHU et 98 % des établissements au budget supérieur à 70 millions d’euros. Les hôpitaux plus petits y ont moins recours : 36 % des établissements au budget de moins de 20 millions d’euros l’ont déployée. La part des personnels soignants qui travaillent en douze heures est inférieure à 10 % dans la moitié des hôpitaux interrogés, mais dans 8 % des établissements, plus de 50 % des soignants travaillent à ce rythme.

Jean-Marie Barbot, président de l’Adrhess, rappelle que « ce type d’organisation du travail a toujours existé à l’hôpital, mais est longtemps resté cantonné dans les services de réanimation, d’urgence ou de maternité ». Les horaires classiques, pour couvrir 24 heures de travail, alternent souvent deux équipes de jour qui travaillent 7 h 30, et une équipe en 10 heures la nuit. Les 25 heures de travail cumulées permettent de ménager des temps de transmission de vingt minutes environ entre équipes. Le compte est bon, et la réglementation respectée.

Car celle-ci est très claire : selon le décret qui encadre la durée du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, « la durée quotidienne du travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, 10 heures pour les équi­pes de nuit. Toutefois, lorsque les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence, le chef d’établissement peut, après avis du comité technique d’établissement » déroger à cette durée, mais « sans que l’amplitude de la journée ne puisse dépasser 12 heures ».

Quelques syndicats ont attaqué des établissements en justice, et ils gagnent la plupart du temps. En avril 2014, SUD Santé Sociaux a par exemple obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Marseille, qui a annulé la décision d’organisation de travail en douze heures dans le service des urgences de l’hôpital de la Conception, l’un des établissements de l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille. Celle-ci en a tiré les conséquences et décidé d’un moratoire sur les 12 heures dans ses quatre hôpitaux.

Respect du principe de volontariat

Ces litiges restent marginaux. La plupart des syndicats assistent, résignés, à ces entorses au droit du travail : « En comité technique d’établissement et en CHSCT, nous votons la plupart du temps pour, explique Myriam Marceny, secrétaire de section CFDT à l’hôpital d’Elbeuf (Seine-Maritime). Car le principe du volontariat est respecté : le passage à 12 heures répond toujours à la demande d’une équipe de soins, et des solutions sont trouvées pour ceux qui veulent rester à 7 h 30. Nous avons même obtenu que les agents votent à bulletin secret. » « Le passage d’un service à 12 heures est un travail de longue haleine, insiste Clotilde Cousin, DRH de l’hôpital de Mantes-la-Jolie (Yvelines). On commence par retravailler l’organisation des soins avec les équipes. Puis nous soumettons le projet aux instances. Les organisations syndicales votent après avoir consulté les équipes. »

L’avis des instances reste cependant consultatif. « Je me suis abstenue lors du passage à 12 heures des services de gériatrie et d’une partie de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, raconte la syndicaliste CFDT d’Elbeuf Myriam Marceny. Ce sont des services avec une forte pénibilité, beaucoup de manutentions de patients, une intensité de travail constante. C’est une folie. Mais les équipes étaient décidées, nous ne les avons pas dissuadées. Il y a un effet d’entraînement, porté par l’attrait des jours de repos supplémentaires. »À l’hôpital d’Elbeuf, 60 % des personnels soignants travaillent en douze heures. Pour la directrice des soins, Sylvie Lavoisey, qui pilote le personnel paramédical, les infirmières et les aides-soignantes espèrent ainsi « mieux articuler vie personnelle et professionnelle ». Mais ces horaires ont aussi des avantages du point de vue de l’organisation des soins : « En douze heures, le personnel soignant peut lisser son travail sur la journée, plutôt que de courir pour assurer les transmissions de mi-journée, poursuit la directrice des soins. Le suivi du patient est de meilleure qualité, sans interruptions et avec moins de risques de pertes d’informations au moment des transmissions. »

Temps de transmission compromis

En principe. Car, en pratique, l’organisation en 2 × 12 heures ne laisse guère de place aux temps de transmission, ce moment où les équipes échangent les informations essentielles sur les patients. Souvent, les arrivées sont échelonnées, quelques infirmières arrivant plus tôt pour échanger avec l’équipe précédente, charge à elles de transmettre à l’équipe suivante. Mais les temps de transmission se font aussi, de manière informelle, au-delà des 12 heures de travail, ce qui devient franchement illégal. Autre arrangement avec la réglementation : il n’est pas rare que des infirmières travaillent cinq jours dans la semaine, c’est-à-dire 60 heures, au-delà de la limite hebdomadaire légale de 48 heures.

Si « la pression des soignants » est forte, insiste Clotilde Cousin, la DRH de Mantes-la-Jolie, les directions trouvent aussi leur intérêt aux journées en douze heures : en diminuant, voire en supprimant les temps de transmission, les établissements peuvent réduire leurs effectifs d’environ 5 %. Ce n’est pas négligeable dans une période de très forte contrainte financière. « Notre établissement subit un plan de retour à l’équilibre financier. La direction profite des 12 heures pour faire baisser les effectifs ou diminuer les heures supplémentaires dans les services en sous-effectifs », assure Madeleine Lemaire, secrétaire de la section CGT de l’hôpital de Mantes-la-Jolie.

Davantage d’agents à reclasser

Les DRH de Mantes-la-Jolie, d’Elbeuf ou de Versailles assurent que la médecine du travail ne constate aucune évolution inquiétante des accidents du travail et de l’absentéisme. Myriam Marceny n’y croit pas : « Nous constatons qu’il y a de plus en plus d’agents à reclasser, de plus en plus jeunes. L’intensification du travail est en cause, mais les 12 heures n’arrangent rien. C’est quand même dommage d’attendre que les gens soient cassés pour réfléchir à la prévention. Mais les jeunes et la direction ne veulent pas nous entendre. » L’étude conduite par l’Adrhess auprès de 138 établissements affiche en effet un impressionnant taux de satisfaction – 85 % – des personnels qui travaillent en douze heures.

Quels risques pour la santé ?

Il manque encore une grande étude épidémiologique sur les risques du travail en 12 heures à l’hôpital, mais les mises en garde sont de plus en plus nombreuses. La dernière en date est à l’initiative de l’INRS, qui a publié en mars 2014 une étude sur « l’organisation du travail en 2 × 12 h », s’appuyant sur une synthèse de la littérature et des observations de terrain. Il y est beaucoup question du personnel soignant. L’INRS met en doute les bénéfices attendus par le salarié pendant son temps libre. Pour qu’ils soient bien réels, il faudrait qu’il donne la priorité au repos. Mais il est bien souvent accaparé par sa vie sociale et familiale, et accepte même des charges supplémentaires (travail domestique, garde d’enfants). Se pose aussi le problème de « la reprise en main » du travail après de longues pauses. Pour les infirmières, l’institut pointe un nombre élevé d’accidents exposant au sang à la fin de ces longues journées. Les 12 heures favorisent aussi la prise de poids et les pathologies dorso-lombaires.

Auteur

  • Caroline Coq-Chodorge