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L’interview

Jocelyne Yalenios : « LE COACHING DOIT DÉFINIR DU SUR-MESURE »

L’interview | publié le : 21.04.2015 | Christian Robischon

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Jocelyne Yalenios : « LE COACHING DOIT DÉFINIR DU SUR-MESURE »

Crédit photo Christian Robischon

Pratique de plus en plus répandue, le coaching en entreprise ne se conçoit pas autrement qu’une réponse individualisée à chaque attente. Il revêt deux formes principales, “l’expert” et le “clinicien”, qui répondent à des enjeux différents, respectivement de performance collective et de développement personnel des salariés. Aux DRH de bien les cerner au préalable, sans chercher à faire du coach un manager de substitution.

E & C : Peut-on quantifier la pratique du coaching… et évaluer sa qualité ?

Jocelyne Yalenios : Même s’il est difficile d’en déterminer le nombre exact, on estime aujourd’hui entre 4 000 et 5 000 le nombre de coachs d’entreprise. Ce nombre est en forte croissance depuis quelques années, signe d’une demande indéniable. Ils exercent comme indépendants ou au sein de cabinets spécialisés en RH. En parallèle, la recherche académique investit de plus en plus le sujet, et on y peut voir le signe d’un processus de légitimation. Cet intérêt est né d’abord dans les pays anglo-saxons et en Europe du Nord autour de travaux sur le management. Il s’est étendu dans les autres économies avancées, dont la France, à partir des années 1990, soit une décennie après l’apparition de la profession dans l’Hexagone.

Mais le coaching va effectivement au-devant d’un gros enjeu de professionnalisation pour éviter que n’importe qui puisse brandir l’étiquette sans en posséder la compétence. Sur ce plan, le processus de certification mis en place par le Syndicat professionnel des métiers du coaching – SPMC – témoigne de cette volonté d’offrir des garanties. Les associations professionnelles, telle la Société française de coaching – SFCoach –, créée en 1996, n’acceptent aujourd’hui que des membres accrédités. La formation certifiante devient un critère essentiel dans le choix des coachs, de même que l’adhésion aux chartes de déontologie, que demande par exemple la Fonction publique.

Ceci posé, la question demeure pour un employeur de la pertinence du recours à un coach. Il convient de distinguer deux types de praticiens : l’expert et le clinicien. Le premier a le profil de celui qui détient une bonne pratique, souvent par son expérience antérieure dans le monde de l’entreprise… ou parce que lui-même a déjà été coaché. Il se propose de transférer cette expérience, qui peut être liée par exemple à la gestion RH d’une fusion, d’une restructuration, etc. Le second profil est davantage centré sur le développement de la personne, pour accompagner un processus de montée en autonomie par exemple. Pour un DRH, tout dépend par conséquent de la finalité du projet : s’agit-il, au travers du coaching, de privilégier l’amélioration de la performance de l’organisation ? Ou de cibler en priorité le développement personnel des collaborateurs, avec un objectif sous-tendu, mais bien second, de réinvestissement dans l’organisation ? De ces questions, on déduit l’importance d’un bon diagnostic préalable.

Quelles sont les différences avec le consulting ?

Elles résident sans doute dans la réponse individualisée au cas posé, qui doit être la marque de fabrique du coaching, à l’opposé de l’application plus standardisée d’une méthode ou d’une bonne pratique venues de l’externe. Le coaching renferme une sorte de promesse de sur-mesure, de capacité à s’adapter à la demande du client. Ce sur-mesure doit apparaître dès l’amont, au stade de l’analyse du contexte organisationnel. Je conçois toutefois que la différence puisse rester assez ténue entre le consultant et le coach “expert” correspondant au premier profil décrit. Par ailleurs, le coach intervient souvent en complément ou dans le cadre d’une mission de consulting, soit au sein de l’entreprise de conseil qui compte des spécialistes internes du coaching, soit comme partenaire indépendant.

Quels sont les risques de dérive de la pratique ?

Ils sont quelque peu inhérents à ses atouts : l’individualisation ne doit pas se transformer en stigmatisation. Le coaching fait beaucoup appel à la psychologie, or le risque serait de psychologiser les difficultés, à n’expliquer les résistances au changement que par le prisme de l’individu, alors qu’elles sont peut-être d’ordre organisationnel. Par ailleurs, le coach doit veiller au respect de la confidentialité de son dialogue avec le coaché, vis-à-vis de l’employeur qui finance sa prestation.

Pour un DRH, le coach ne doit pas être perçu comme la solution miracle à actionner en toute situation. Il n’est pas le manager RH au quotidien. On ne peut concevoir, par exemple, qu’il se charge de l’évaluation des personnes. Il n’est pas appelé non plus pour passer un message au nom et en substitution à une direction qui manquerait de courage pour communiquer en direct avec ses collaborateurs. Contrairement à une image qu’on pourrait véhiculer de lui, je pense que le coach endosse une fonction de protection de l’individu, de réassurance de soi dans un environnement changeant, qui bouscule les repères, voire les identités. Il partage dans une certaine mesure cette fonction avec le psychologue, mais à la différence de ce dernier, qui se focalise sur l’individu, il doit garder à l’esprit les objectifs collectifs et le contexte organisationnel liés à son intervention.

Avec votre collègue Pauline Fatien Diochon, vous avez travaillé plus particulièrement sur l’application du coaching à l’encadrement de proximité, à travers un cas d’entreprise. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Précisons d’abord que le fait d’appliquer le coaching à cette catégorie de population demeure une originalité. Dans le cas présent, l’entreprise se situe dans une phase préalable, celle de se poser la question de l’introduction ou non du coaching comme moyen de développer les compétences managériales de ces personnes, dont elle observe des marques de démotivation, de désengagement. Ce point n’est pas encore tranché. L’entreprise conçoit le coaching comme une alternative de sur-mesure à la formation jugée comme une voie trop généraliste et pas assez interactive. Mais elle constate que la réponse ne se situe pas uniquement dans le registre de l’individuel, qu’il y a besoin d’actions collectives pour retrouver une cohésion ébranlée par une succession d’actionnaires différents.

On retrouve donc au niveau des managers de proximité les conclusions générales du coaching : une réponse parmi d’autres, un périmètre de besoin à bien définir au départ, selon qu’on soit plutôt dans le registre de l’organisationnel ou de l’individuel.

Jocelyne Yalenios : MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN GRH

Parcours

→ Jocelyne Yalenios est maître de conférences en GRH au laboratoire Humanis de l’École de management de Strasbourg et responsable pédagogique de la spécialité management RRH du Programme grande école.

→ Psychosociologue de formation et docteure en sciences de gestion spécialité RH, elle a été consultante RH.

→ Son travail sur le coaching à Sollac Méditerranée lui a valu le prix du “meilleur cas 2014” du palmarès de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH).

Lectures

→ Gestion des performances au travail. Bilan des connaissances, Sylvie Saint-Onge et Victor Haines, De Boeck, 2007.

→ La Lutte pour la reconnaissance, Axel Honneth, Le Cerf, 2000.

→ La Constitution de la société, Anthony Giddens, PUF, 1987.

Auteur

  • Christian Robischon