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RÉFORME DE LA FORMATION : UN AN APRÈS LA LOI, LES INCERTITUDES persistent

L’enquête | publié le : 14.04.2015 | LAURENT GÉRARD

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RÉFORME DE LA FORMATION : UN AN APRÈS LA LOI, LES INCERTITUDES persistent

Crédit photo LAURENT GÉRARD

La nouvelle loi sur la formation professionnelle a un an. Un million de CPF sont certes ouverts, mais les interrogations restent profondes sur son opérationnalité, ainsi que sur la fin du 0,9 %, l’entretien professionnel et le conseil en évolution professionnelle. Pour certains, une réforme supplémentaire est inévitable.

Mars 2014-mars 2015 : une année de réforme, et quelle réforme ! La plus importante depuis 1971, la plus structurante dans sa logique déstructurante : fin du 0,9 %, fin de la logique d’imputabilité, création du compte personnel de formation, affaiblissement des logiques de branches, montée des tensions entre Opca…

Mais évoquer une année de réforme est un peu abusif. La production des décrets a été si longue que certains aspects de cette nouvelle loi ne sont stables que depuis peu. On peut se rappeler l’injonction de Michel Sapin, alors ministre du Travail, de la Formation professionnelle et du Dialogue social dans le gouvernement Ayrault, donnant « un mois » à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) pour sortir les décrets. Pour beaucoup d’observateurs, le long temps pris avant la publication des textes démontre que la loi a été mal pensée et mal écrite.

GRAND FLOU

Durant les mois qui ont suivi la publication de la loi, l’incompréhension de celle-ci et sa méconnaissance ont été massives, même dans les rangs de ceux qui devaient la comprendre et l’appliquer : les responsables de formation en entreprise.

Jamais le nombre de colloques, séminaires et interventions sur une réforme de la formation professionnelle n’a été aussi important. Même les réformes de la formation professionnelle initiées par la “loi quinquennale” de décembre 1993 (première grande restructuration des collecteurs), ou par celle du 4 mai 2004 (création du droit individuel à la formation) ne laissent pas un tel souvenir d’incertitude quant à sa compréhension.

À ce jour, les aspects opérationnels de la réforme sont encore maigres : un million de CPF sont ouverts et des listes de certifications éligibles sont publiées, l’entretien professionnel se met en place cahin-caha dans les entreprises, et les potentiels consommateurs de conseil en évolution professionnelle (tous les actifs) se demandent ce qu’ils vont y trouver. Quant aux questions de financements, c’est le flou : quel budget formation 2016 sans le 0,9 %? Quel espoir d’intégration du 0,2 % CPF dans le plan de formation ? Les entreprises ne savent pas répondre à ces questions.

Néanmoins, pour faire un point à l’occasion de cet anniversaire symbolique, des experts ont accepté de répondre à nos questions dans ce dossier. Il s’agit de trois responsables de formation (Thierry Vaudelin, de Manpower, et par ailleurs président du Garf Challenge/Île-de-France Sud ; Sylvain Martinet, de l’entreprise TNT ; Catherine Sader, de la société JTekt), d’un gestionnaire externe de budgets de formation (Frank Morcant, de la société Cimes) et de trois consultants qui interviennent en entreprises mais aussi auprès d’Opca (Marc Dennery, de C-Campus ; Christophe Parmentier du cabinet Clava et Philippe Joffre du cabinet Paradoxes). Ils divergent parfois sur des points précis, mais, globalement, ils expriment tous des doutes sur l’efficacité et les vertus de la réforme en cours.

Thierry Vaudelin reconnaît qu’« à la fin de l’année 2014, la méconnaissance sur les ressorts de la réforme était encore largement répandue parmi les responsables de formation et leur entreprise. Mais elle est aujourd’hui mieux comprise et les choses commencent à se mettre en place, même si un grand flou demeure sur le CPF et les nouvelles obligations légales à verser aux Opca en 2016. Cette compréhension est passée, il faut bien le reconnaître, par une entrée forcée et difficile sur les questions de financement ». Des questions qui font dire à Marc Dennery que le compte personnel de formation est « une usine à gaz pour les entreprises, parce que les solutions sont multiples et complexes, ce qui les tétanise ».

DIFFICULTÉS À COMPRENDRE LE CPF

Entre les modalités d’accès au CPF de droit pour le salarié, celles dans le cadre d’une coconstruction avec l’employeur ou en dehors de l’entreprise, « elles ont du mal à comprendre la logique du dispositif et n’osent pas s’en emparer ». S’ajoute, selon le directeur de C-Campus, la question de savoir si le CPF est pris dans la limite de 120 heures ou au-delà du compteur : « Je passe des heures à expliquer la notion d’abondement aux entreprises, ainsi que celle du reste à charge. Qui va payer les sommes complémentaires ? L’employeur, l’Opca, le salarié ? Tout est possible. Je pose des hypothèses en effectuant des études de cas. Après, c’est aux entreprises de décider de la solution à retenir en fonction de leurs priorités et de leur politique de formation, ou mieux, de leur GPEC. Mais, malheureusement, c’est souvent le grand vide. »

« La loi avait tout pour déboucher sur une réforme majeure depuis celle de 1971, en apportant de nouvelles idées et en s’inscrivant dans une logique vertueuse, assure Philippe Joffre. Elle donnait le sentiment de pouvoir réduire les lourdeurs administratives – gestion des obligations légales, encadrement trop strict… – ; de mieux différencier ce qui relève de la formation dans l’entreprise pour développer les compétences et la performance, de ce qui relève de la responsabilité sociale, de l’impôt et de la redistribution de la puissance publique. » Malheureusement, selon lui, « la précipitation de l’agenda politique, la complexité d’un système cloisonné et sédimenté et la capacité de lobbying des acteurs, tous légitimes dans leurs actions, vu de leur place, dénaturent ce qu’on pouvait percevoir de l’esprit d’origine ».

L. G.

Auteur

  • LAURENT GÉRARD