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L’enquête

LES SURPRISES DU NOUVEAU 1 %

L’enquête | publié le : 14.04.2015 | L. G., Laurent poillot, Valérie Grasset-Morel

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LES SURPRISES DU NOUVEAU 1 %

Crédit photo L. G., Laurent poillot, Valérie Grasset-Morel

La fin de la notion d’imputabilité est saluée par tout le monde, mais les conséquences du nouveau 1 % en ont surpris plus d’un. D’autres regrettent que le renouveau des pratiques financières et pédagogiques n’ait pas été poussé plus loin.

La fin de l’obligation légale fiscale du 0,9 % est véritablement la grande nouveauté de la réforme, pointée par tous les interlocuteurs. Pour Thierry Vaudelin, responsable formation à Manpower, « elle pousse les acteurs à s’interroger sur l’avenir, sur l’existence ou pas d’un budget prévisionnel et sur les versements des futures obligations légales en 2016 ». Mais attention, poursuit-il, « la fin de l’imputabilité a pu laisser penser à certaines entreprises, et pas que des petites, que le plan de formation n’était plus nécessaire, qu’on pouvait le supprimer dans une logique de “je fais ce que je veux”. Cette vision est bien sûr totalement erronée. Car l’obligation de former pour adapter et développer les compétences des salariés est renforcée. Il est donc toujours obligatoire de faire un plan, et de le présenter aux partenaires sociaux, comme avant ».

Le responsable formation – également président du Garf Challenge et qui, de ce fait, a constaté les réactions d’une large palette d’entreprises – reconnaît que « la surprise pour beaucoup a été de comprendre que le maintien de l’effort de formation dans le plan implique un budget global pour la formation plus élevé en 2016 qu’aujourd’hui ! En effet, des directions générales et financières ont eu l’impression qu’en passant d’une obligation légale fiscale de 1,6 % à 1 % de la masse salariale, le “gain” allait être directement de 0,6 % de marge. Mais, quand ils ont compris que le taux de retour du futur 1 % serait quasiment nul, ou en tout cas très inférieur au taux de retour d’aujourd’hui sur le 1,6 %, ils ont bien dû comprendre que cumuler le futur 1 % avec un maintien de l’effort actuel en termes de formation allait coûter plus cher ». Et de poursuivre : « Les plans de formation 2015 sont déjà largement tracés, encore sur l’ancienne logique financière. Mais c’est à la fin 2015 que nous verrons comment se dessinera 2016 et s’il y aura cumul d’un effort de formation maintenu avec le nouveau 1 %. Ce sera le premier vrai grand test. »

Sylvain Martinet, responsable formation de TNT en Rhône-Alpes, partage l’analyse : « Le point central de cette réforme n’est pas le CPF, qui n’est qu’un outil du système, c’est le changement de paradigme : la fin de l’obligation financière pour l’entreprise au profit d’une plus forte responsabilité sociale vis-à-vis des individus. Cette réforme fait de la formation professionnelle un moyen et non plus une fin en soi, et fait de la question de l’évolution professionnelle une finalité. » Mais si, sur le fond, il continue « de penser qu’il s’agit d’une bonne réforme », sur sa mise en œuvre, il est « évidemment bien plus sévère. Les changements qu’elle implique auraient mérité un tout autre calendrier. Son entrée en vigueur a été probablement fixée un an trop tôt. Conséquence, l’année 2015 s’apparente peu à peu à une année sacrifiée ».

PERTE DE REPÈRES

Face à la fin du 0,9 %, Frank Morcant, responsable de la société de gestion externalisée de la formation Cimes, reconnaît que l’enthousiasme a été largement partagé par ses clients, le plus souvent grands comptes. « Nous les avons accompagnés très tôt pour décrypter la volonté des acteurs de la loi et ainsi intégrer au plus vite la réforme. La première réaction fut donc positive : enfin, la formation allait être considérée comme un investissement et non plus comme une obligation de dépenses ! En effet, beaucoup de nos interlocuteurs souffraient de l’image négative de la formation, née des dérives relayées par les médias et de l’aspect sanctuarisé de ses dépenses via le 0,9 % plan. Aussi, la réforme a été perçue comme un moyen de mieux partager avec les managers et le codir les projets de formation sur lesquels investir. »

Mais, « rapidement, lorsque les grandes lignes du financement ont été connues, les repères se sont perdus et l’appréhension est arrivée : le 1 % a été à la fois vu comme une taxe difficilement récupérable par les responsables formation, et comme un solde de tout compte par les DAF, qui pouvaient enfin challenger la dépense de formation à la baisse ». Selon lui, les principales interrogations concernaient les cofinancements (quelles allaient être les prises en charge des périodes de professionnalisation et du CPF au regard des précédentes périodes de professionnalisation et du DIF ?), les relations avec les Opca (pourquoi continuer à verser tout ou partie du 0,9 % si les abondements ne sont plus possibles ?), la communication auprès des salariés sur la réforme, et notamment l’entretien professionnel, et le fait de savoir si on doit « se mettre en autogestion sur le CPF dès 2015 ou le verser aux Opca ? ». Conséquence, selon lui, à partir de juin 2014, « le retard de publication des décrets a engendré un attentisme fort, qui s’est traduit par les premiers gels budgétaires en fin d’année 2014. Le manque de visibilité “légale” a poussé les DG, et notamment les DAF, à s’emparer des budgets formation 2015 et à demander aux responsables de formation de bâtir des hypothèses selon leurs méthodes d’avant la réforme ».

Marc Dennery, directeur associé de C-Campus, reconnaît l’incertitude financière, mais il espère une sortie par le haut. « Les entreprises auront moins de fonds mutualisés, valide-t-il, mais elles auront davantage de liberté dans le choix de leurs modalités pédagogiques. Auparavant, 1,6 % de leur masse salariale devait être quasi exclusivement orienté vers le financement de formations de type stage. Demain, elles pourront financer tous types de formations multimodales – blended learning, Mooc, tutorat, compagnonnage, etc. – au-delà du 1 %. Et même, si elles sont certifiantes, en deçà du 1 %. » C’est pourquoi il estime que le décret sur la formation à distance est un élément très positif de la réforme : « Reste à savoir si les entreprises vont s’emparer de cette opportunité pour faire évoluer leurs pratiques. »

RÉFORME INCOMPLÈTE

Précisément, l’évolution des pratiques est bien le problème, estime Philippe Joffre, du cabinet Paradoxes, qui conseille des entreprises et des Opca. Selon lui, la réforme financière n’a pas été au bout, et ne permet pas une profonde rénovation des pratiques pédagogiques : « La loi donnait l’espoir de partir d’une nouvelle définition de l’action de formation pour faire évoluer les pratiques, digitales notamment, afin d’essayer d’approcher le fameux ratio : 70 % d’apprentissage sur le terrain ; 20 % d’apprentissage avec le tutorat des pairs ; 10 % d’apprentissage en situation de formation formelle, via un stage par exemple. Ce qui aurait permis de redéfinir la notion d’investissement en formation. Elle proposait aussi de trouver un nouvel équilibre entre les objectifs d’entreprise, la dynamique des territoires et l’évolution professionnelle des individus. En tentant de rapprocher les intérêts des actifs et ceux des entreprises, entre “adéquationisme” et projet d’évolution personnelle ; elle fournissait un début de réponse à cette fameuse recherche de “troisième voie” entre le plan et le CIF : un engagement partagé entre entreprise et collaborateur. Bref, c’était bien parti et les intentions étaient louables. Malheureusement, la réalité est aujourd’hui peu encourageante et peu concluante. Il y a de quoi être inquiet et prévoir une prochaine réforme. »

Auteur

  • L. G., Laurent poillot, Valérie Grasset-Morel