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L’enquête

L’INTERVIEW : SERGE VOLKOFF STATISTICIEN ET ERGONOME AU CENTRE D’ETUDES DE L’EMPLOI (CEE)*.

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 07.04.2015 | H. T.

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L’INTERVIEW : SERGE VOLKOFF STATISTICIEN ET ERGONOME AU CENTRE D’ETUDES DE L’EMPLOI (CEE)*.

Crédit photo H. T.

« Le départ à la retraite est pour beaucoup la fin du chômage »

Suffit-il de décréter que, parce qu’on vit plus longtemps, on va travailler plus longtemps ?

La politique des retraites et l’allongement de la vie professionnelle ne sont pas deux notions qui se superposent exactement : ce n’est pas parce qu’on allonge la durée de cotisations ou qu’on recule l’âge légal de départ qu’on va mécaniquement augmenter le nombre d’années travaillées. C’est vrai en partie, mais cela veut surtout dire que les gens seront amenés à prendre leur retraite plus tard. En France, on constate un écart de deux ans et demi entre l’âge moyen de fin de vie professionnelle, qui est d’environ 59 ans, et celui de liquidation de la retraite, à 61 ans et demi. Quand un salarié prend sa retraite, dans un cas sur deux, il n’est pas au travail. Pour beaucoup, c’est tout simplement la fin du chômage. Quand on touche aux conditions de liquidation, on ne sait finalement pas ce qu’on enclenche derrière. C’est ainsi que des médecins du travail sont devenus des connaisseurs en droit social qui calibrent les départs en recourant, “au bon moment”, au licenciement pour inaptitude(1), afin qu’il n’y ait pas de rupture entre l’indemnisation par Pôle emploi et la pension de retraite. Mais on a atteint les limites du système, et si on continue à déplacer les curseurs, beaucoup de seniors liquideront leur retraite avec une décote ou passeront par la case minima sociaux.

Globalement, les entreprises ont-elles tendance à “se débarrasser” de leurs seniors ?

Du fait d’un contexte fiscal moins favorable, les préretraites d’entreprise se sont tout de même tassées. Et il n’est pas non plus acquis que les ruptures conventionnelles traduisent une forte discrimination par l’âge. Celle-ci s’opère surtout dans les processus d’embauche. Les quinquas intéressent moins les recruteurs et, plus les actifs privés d’emploi avancent en âge, plus ils subissent un chômage de longue durée.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire remonter leur taux d’emploi ?

Une partie de l’explication se trouve sans doute dans l’accoutumance de notre société aux préretraites. Même si le robinet des financements publics a été fermé, on n’a pas encore réussi à corriger la tendance. Mais cela tient aussi au poids considérable accordé au diplôme initial. Dans les catégories d’ouvriers et d’employés, on bénéficie de peu de formations après 40 et quelques années. C’est moins vrai dans d’autres pays où la formation tout au long de la vie est plus présente. On peut donc interroger le dispositif de formation dans son ensemble. Enfin, on a des niveaux de pénibilité physique assez élevés sur un grand nombre de postes. Pour passer sur un autre travail, il faut pouvoir disposer des compétences adéquates. Et le mouvement de reconversion permettant de se mettre à l’abri des travaux pénibles est très insuffisant. Néanmoins, la formation et la notion d’emploi durable tendent à se développer.

Que pensez-vous des politiques publiques estampillées “seniors” ?

Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, qui a incité à la mise en œuvre d’accords ou de plans d’action en faveur de l’emploi des salariés âgés sous peine de pénalités, a, dans l’ensemble, apporté quelques progrès, elle a surtout permis d’infléchir ou a donné une nouvelle impulsion à des pratiques déjà en place dans des entreprises pré occupées par l’amélioration des conditions de travail. Le volet prévention de la pénibilité de la réforme de 2010 et la création de la fiche individuelle de prévention des expositions ont offert un autre point d’appui, auprès de leur direction générale, aux acteurs engagés dans ce type de démarches. Le contrat de génération a, lui, remis la transmission des savoirs au goût du jour, mais il est difficile, à ce stade, de tirer un bilan du dispositif. Quant au compte pénibilité, je suis franchement pour, dans son principe. On ne peut lui dénier certaines vertus, y compris en termes de déroulement de carrière, car les 20 premiers points du compte sont réservés à la formation professionnelle, qui peut permettre de changer de poste. Plus généralement, toutes les politiques publiques non fléchées “seniors”, mais concernant la qualité de vie au travail vont dans le bon sens.

* Entre autres publications, il a coordonné, avec Annie Jolivet et Anne-Françoise Molinié du CEE, Le travail avant la retraite : emploi, travail et savoirs professionnels des seniors, Éditions Liaisons, août 2014.

(1) Le CDI du salarié reconnu inapte peut être rompu par l’employeur lorsque ce dernier peut justifier, soit de son impossibilité de proposer un emploi approprié aux capacités du salarié, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions. Cette rupture prend la forme d’un licenciement, et la procédure de licenciement pour motif personnel doit être appliquée.

Auteur

  • H. T.