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L’enquête

GESTION DES ÂGES : Seniors, LE DÉFI DE L’EMPLOI DURABLE

L’enquête | publié le : 07.04.2015 | Hélène Truffaut

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GESTION DES ÂGES : Seniors, LE DÉFI DE L’EMPLOI DURABLE

Crédit photo Hélène Truffaut

Avec l’allongement de la vie professionnelle, les conditions du maintien dans l’emploi des seniors deviennent un enjeu incontournable pour les entreprises. Au-delà des actions collectives de prévention de l’usure professionnelle, les employeurs devront sans doute repenser leur organisation du travail. Et redonner ainsi toute leur place aux salariés en fin de parcours. Jusqu’à leur départ à la retraite.

Travailler plus longtemps ? Facile à dire ! Comme l’explique Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre d’études de l’emploi (CEE), les réformes des retraites n’induisent pas mécaniquement l’augmentation du nombre d’années travaillées (lire p. 21). De fait, en 2013, les taux d’activité et d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans en France – qui atteignent, respectivement, 49 % et 45,6 % – sont inférieurs d’environ 5 points aux taux moyens de l’Union européenne. Cette moindre présence sur le marché du travail est surtout imputable à la faiblesse du taux d’activité des 60-64 ans, inférieur de 12 points à celui constaté en Europe, avance la Dares (Analyses, février 2015).

HAUSSE RAPIDE DU TAUX DE CHÔMAGE

La situation n’est guère brillante. Depuis le début de la crise, la hausse du taux de chômage a été plus rapide pour les seniors que pour l’ensemble des actifs. Et ils restent plus longtemps à Pôle emploi : toujours selon la Dares, à la fin de l’année 2013, 59 % des chômeurs âgés de 55 ans ou plus sont au chômage depuis au moins un an. Las, le recrutement de tempes grises ne figure pas dans les priorités des DRH, les accords relatifs au contrat de génération affichant, dans ce domaine, des objectifs très modestes. Dans le même temps, les guichets de départs en préretraite maison, très appréciés des salariés et des syndicats, font désormais office de “vitrines éthiques” des PSE. On tourne en rond…

Comment aborder, dans les entreprises, cette question de l’allongement de la vie professionnelle ? Changer le regard sur les seniors, renforcer leur accès à la formation, développer le tutorat, mener des démarches de gestion active des âges, adapter les conditions de travail… Des pistes maintes fois évoquées, de nouveau martelées, en juillet 2014, par le ministre du Travail, François Rebsamen, lors de la présentation de son plan “seniors”. Mais diversement suivies sur le terrain. Début 2014, Une enquête(1) du cabinet Towers Watson sur les enjeux RH liés au vieillissement de la population active à l’horizon 2020 montrait d’ailleurs que les employeurs français étaient moins réactifs sur le sujet que leurs homologues européens.

Une autre étude, tout récemment menée par le cabinet Maturescence pour le compte d’Opcalia auprès des personnes actives de 57 ans et plus, confirme cette tendance (lire p. 22), pointant, au vu des données existantes, « un faible intérêt pour le sujet des sexagénaires au travail, qui représentent pourtant, selon nos estimations, environ un million de personnes ». « Les entreprises vont inévitablement avoir à gérer des gens plus âgés, insiste Nicole Raoult, dirigeante de Maturescence. La question est de savoir ce qu’on fait pour cette population qui a un potentiel, mais se sent plus ou moins rejetée, oscillant entre le monde du travail et celui des loisirs et du repos promis par la retraite. »

D’autant que nombre de dispositifs seniors, formalisés dans des accords et plans d’action (les entreprises de 50 à 300 salariés non couvertes étant passibles d’une pénalité depuis le 31 mars), pêchent par leur mise en œuvre et leur manque de suivi. « Les salariés sont souvent ignorants des dispositions dont ils peuvent bénéficier. Ils apprennent au détour d’une conversation qu’ils ont droit à un bilan de compétences, constate Nicole Raoult. Pour qui les politiques seniors butent aussi sur un problème de méthode. « Les employeurs peinent à déployer des mesures adaptées à certaines périodes de la vie. Les formules de temps partiel, par exemple, ont du mal à se mettre en place. Il est difficile à un salarié de demander à travailler moins, si ce n’est pas la règle commune. Les formes d’organisation du travail sont probablement trop rigides. « Même les entretiens de seconde partie de carrière, mesure phare des politiques seniors, peuvent être perçus comme stigmatisants. Quant au tutorat, point d’articulation du contrat de génération, « il ne correspond pas forcément aux besoins des entreprises », affirme la directrice de Maturescence.

POLITIQUE GÉNÉRALE

De quoi s’interroger sur la pertinence d’une politique “seniors”. « Faut-il des mesures spécifiques ou loger le tout dans une politique sociale plus générale ? La réponse se situe certainement entre les deux, considère Serge Volkoff. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas simplement raisonner à partir de seuils d’âge. Dans la vraie vie, le vieillissement est un processus lié aux personnes et aux situations de travail. Ce n’est pas un bond homogène. C’est pourquoi nous préférons parler de “gestion du travail impliquant la diversité des âges”. »

UNE CATÉGORIE DISPARATE

À l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), Fabienne Caser, chargée de mission, abonde : « Les seniors ne sont pas une catégorie uniforme. Le travail, le type de parcours professionnel contribuent largement à façonner la situation des salariés en fin de carrière. Certains ont des problèmes de santé, d’autres estiment que leurs compétences ne sont pas reconnues, ne trouvent plus de sens au travail ou ont tout simplement envie de partir parce que l’ambiance se détériore. Mais il y a aussi des entreprises où le vieillissement ne pose pas de problème. L’important est de comprendre ce qui se passe avec l’avancée en âge. « De fait, le réseau Anact-Aract n’a pas d’offre spécifiquement orientée seniors, mais propose des accompagnements résolument axés sur la prévention de l’usure professionnelle et le maintien en emploi.

« Mais l’employeur ne travaillera durablement sur ces questions que s’il y voit un intérêt. S’il se rend compte, par exemple, que l’entreprise connaît des difficultés de fonctionnement parce qu’il y a beaucoup d’absentéisme dans tel ou tel atelier, des restrictions d’aptitude de plus en plus nombreuses, etc. « , considère Fabienne Caser. Cette démarche passe toujours par une étape de diagnostic, qui peut prendre quelques mois avant que l’entreprise ne soit en mesure de s’orienter vers des solutions adaptées. Sans céder à la tentation, pour gagner du temps, de calquer celles-ci sur des mesures qui ont pu fonctionner chez d’autres.

Dans cette phase, il s’agit de mobiliser un ensemble d’acteurs détenant, chacun, une partie de l’information : direction, management, RH, médecins du travail, représentants du personnel et, bien sûr, salariés. Le diagnostic inclut l’analyse des données démographiques (âge, genre, métier…) et de santé, de certaines situations de travail et des pratiques de prévention et de GRH. « Ici, on constate que les femmes ont davantage de problèmes de santé, car elles peuvent passer toute leur carrière à des postes pénibles, tandis que les hommes évoluent vers des postes de maintenance. Là, que les problèmes de santé touchent déjà des personnes relativement jeunes. « L’analyse doit être collective et les enjeux, partagés. « Le DRH ne peut mener le projet seul dans son coin », soutient ainsi Fabienne Caser.

Les actions peuvent ensuite prendre plusieurs formes et se combiner entre elles, sur des périmètres plus ou moins larges : amélioration des conditions de travail et réduction de la pénibilité physique (postures, aménagement des postes de travail…). Mais aussi modification de l’organisation, aménagement des horaires, temps partiel, etc.

FAVORISER LES STRATÉGIES INDIVIDUELLES

Pour Serge Volkoff se pose aussi la question de l’intensité du tra vail dans un univers où l’on se doit d’être toujours plus réactif : « Avec l’âge, il devient difficile d’agir dans la précipitation, on a besoin d’anticiper le travail, explique-t-il. En puisant dans son expérience, on se redonne des marges de manœuvre pour mieux réaliser les tâches. Dans un environnement clientèle, par exemple, on va organiser sa matinée pour traiter un dossier que l’on sait complexe. Les aides à domicile, qui souvent ne sont pas toutes jeunes, prévoient d’abord un moment de conversation avec la personne dont elles doivent s’occuper, afin de ne plus perdre de temps ensuite. « Des stratégies individuelles au plus près des situations de travail qui, rappelle-t-il, vont de soi dans les TPE, et que toutes les entreprises ont intérêt à favoriser.

Chez Révillon chocolatier, dans la Loire, la démarche de prévention du vieillissement professionnel est passée par la participation des salariés à des groupes de parole. Ce projet expérimental a permis d’établir une quarantaine d’actions de tout ordre (lire p. 24). L’équipementier aéronautique Latécoère s’est, pour sa part, attaché à dynamiser les secondes parties de carrière afin de maintenir la motivation de ses troupes (lire p. 23). La Police nationale vient, quant à elle, d’accoucher de son tout premier plan seniors, qu’il s’agit maintenant de déployer (lire p. 25).

Optimiste, Serge Volkoff voit dans ces enjeux liés au vieillissement « l’occasion à saisir pour repenser un certain nombre de déterminants des systèmes de travail. On peut mieux faire. Ce qui serait une bonne chose tant pour l’emploi que pour le budget de l’assurance-maladie ! ».

H. T.

“Rising to the challenge of an ageing workforce”, enquête menée à l’automne 2013 auprès de 480 entreprises européennes par The Economist Intelligence Unit pour Towers Watson.

INNOV’ÂGE ANIME DES DÉBATS DANS L’ENTREPRISE

Innov’âge est un projet expérimental piloté par l’Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l’innovation sociale et l’amélioration des conditions de travail (Aravis) et par Moderniser sans exclure Rhône-Alpes (MSERA). Son objet : favoriser l’accompagnement de l’allongement de la vie professionnelle dans le secteur agroalimentaire. « Si on veut que les salariés puissent travailler jusqu’au bout de leur carrière en bonne santé, en restant compétents et motivés, il faut faire évoluer les pratiques, explique Loes Mercier, responsable de l’équipe âge, santé, travail à Aravis. Or il est compliqué de parler de cette question dans l’entreprise. « 

Les enjeux sont particulièrement importants dans l’agroalimentaire, qui accuse un fort turnover, une aggravation des troubles musculo-squelettiques (95 % des maladies professionnelles) et un vieillissement de ses salariés (la part des plus de 55 ans est passée de 5,6 % à 8,5 % de 2011 à 2014).

Pour trouver des entreprises intéressées par la démarche, Aravis a établi un partenariat avec Opcalim (Opca de la branche), la Carsat et le Pôle européen agroalimentaire pour la communication, la recherche, l’innovation et le transfert de technologies (Pea Critt), qui conduisent déjà des actions de prévention dans les entreprises agroalimentaires de la région, ainsi qu’avec le cluster alimentaire Rhône-Alpes. Révillon et Sicarev ont répondu à cet appel (lire p. 24).

L’expérimentation conduite chez ces dernières et reposant sur des groupes de parole a permis d’élaborer des outils de sensibilisation qui seront diffusés plus largement par divers organismes : quatre vidéos des témoignages échangés, accompagnées d’un livret expliquant comment les utiliser avec un groupe, permettront d’animer des débats sur l’accompagnement de l’allongement de la vie professionnelle.

M. A.

Auteur

  • Hélène Truffaut