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L’enquête

UN ACCORD ET BEAUCOUP D’ARRIÈRE-PENSÉES

L’enquête | publié le : 31.03.2015 | E. F.

L’administration centrale du ministère des Finances autorise le télétravail depuis cinq ans. Dans la pratique, il reste cependant marginal. L’employeur et certains syndicats sont réticents.

En matière de gestion des RH, le ministère de l’Économie et des Finances a la réputation d’être pionnier. Son administration a été la première, ou parmi les premières, à être labélisée “Diversité”, à se doter d’une cellule d’alerte antidiscriminations et à mettre en place une prime d’intéressement à la performance collective. Elle est également l’une des rares, dans la Fonction publique d’État, à proposer le télétravail à ses agents. Depuis fin 2010, les quelque 10 000 fonctionnaires employés dans son administration centrale – essentiellement à Paris et aux alentours – sont couverts par une convention cadre. Une initiative de l’employeur à laquelle six syndicats sur sept ont souscrit. « L’Administration voulait faciliter l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle des agents, rappelle Sophie Legrand, chef du bureau du développement RH à l’administration centrale des ministères économiques et financiers. En outre, quelques agents pratiquaient déjà le télétravail informel, la convention leur a donné un cadre. »

À l’époque, aucun texte de portée nationale ne couvrait le télétravail dans la Fonction publique. La convention cadre du ministère de l’Économie a donc repris les grands principes de l’accord national interprofessionnel de 2005 pour le secteur privé : volontariat, réversibilité, contractualisation, prise en charge des coûts par l’employeur.

COÛT : 1 000 EUROS

En outre, le texte décrit les règles de protection des données, celles sur la sécurité du salarié (certificat de conformité électrique établit par Véritas, assurance habitation) et la prise en charge des dépenses (les communications téléphoniques et les impressions en sont par exemple exclues). L’Administration estime ainsi que chaque télétravailleur lui coûte 1 000 euros.

Mais l’accord est muet sur le nombre de jours où les salariés restent à domicile ; la question est renvoyée au protocole individuel que signe chaque télétravailleur, avec l’accord de son supérieur hiérarchique. En outre, les critères d’éligibilité sont dispersés à plusieurs endroits du texte : nature des fonctions, confiance mutuelle, capacité à travailler à domicile, contrôle des résultats, bon fonctionnement du service. La convention fournit une liste indicative de missions se prêtant au télétravail : expertise, étude, conseil, traduction. Mais « chaque demande de télétravail fait l’objet d’une appréciation au cas par cas », relève Sophie Legrand. Surtout, le texte ne dit rien de la durée du télétravail, de facto à durée indéterminée.

Consciente des lacunes de la convention cadre, l’Administration propose aux syndicats de l’aménager en 2012. Au-delà des critères déjà existants, il s’agissait, explique-t-on au ministère, « de rassembler les critères d’éligibilité ; d’affirmer la possibilité de prendre en compte la situation personnelle de l’agent ; de définir un délai minimal d’ancienneté sur le poste avant de pouvoir bénéficier du télétravail ; de fixer une durée maximale (trois jours par semaine) afin de préserver le lien de l’agent avec son service, et passer d’une reconduction tacite de l’autorisation de télétravail à un réexamen annuel de la situation de l’agent ». La concertation n’aboutira pas, et comme le texte de 2010 est à durée indéterminée (quoique conçue comme une expérimentation !), il s’applique encore aujourd’hui avec ses imperfections. L’Administration devra vraisemblablement attendre la publication des décrets de la loi Sauvadet pour remettre la convention sur le métier.

Du coup, des usages se sont installés. Le télétravail est limité de fait à deux ou trois jours maximum par semaine. Par ailleurs, certains managers appliquent de leur propre chef une clause de revoyure : « Avec un salarié de mon équipe, nous sommes convenus qu’il pourrait télétravailler un an, puis que nous en reparlerions », témoigne l’un d’eux.

DÉMARCHES INDIVIDUELLES

Fin 2014, 151 salariés télétravaillaient ; 17 nouveaux feront de même en 2015. Il s’agit à 66 % de femmes ; à 49 % de personnes âgées de 50 à 59 ans ; à 56 % d’agents habitant en banlieue proche ou lointaine. Cette proportion “modeste” (1,5 % des effectifs), de l’aveu de Sophie Legrand, ne devrait pas substantiellement évoluer. Après une progression assez forte au début (30 personnes avant 2010 ; 90 entre 2012 et 2014), l’Administration n’a manifestement pas envie d’aller plus loin : « Le télétravail est une possibilité, pas un droit, explique-t-on au ministère. Cette modalité de travail n’est pas vouée à devenir habituelle. » Le syndicat Solidaires (premier syndicat sur l’ensemble du ministère) est l’allié objectif de la direction sur ce sujet, puisqu’il est contre le télétravail par principe, tout en défendant les demandes individuelles. Marie-Thérèse Deleplace, secrétaire général de Sud Centrale, énumère ses inconvénients : « L’interférence entre les vies privée et personnelle, la perte de la notion de fonctionnaire, la culpabilisation par rapport aux résultats, le moyen, pour l’État, de réaliser des économies d’échelle. »

Mais quid des salariés ? La syndicaliste pense qu’ils ne sont finalement pas si demandeurs que cela, du fait, principalement, des « parcours de carrière, que les salariés estiment incompatibles avec le télétravail », mais aussi à cause de « la mauvaise image qu’il véhicule, des freins de la hiérarchie, du souhait des salariés de ne pas être tout le temps chez eux, et de la petitesse des logements ».

SENTIMENT D’ISOLEMENT

Le télétravail semble en tout cas convenir à ceux qui le pratiquent. Angel Escribano, représentant de la CGT au CHSCT de l’Administration centrale des finances, dit que les télétravailleurs sont « heureux » de l’être, même s’ils préféreraient davantage de souplesse : « Par exemple, trois mois au bureau et trois mois à la maison, pour faire des économies de transport. » Deux enquêtes réalisées par l’Administration ont également recueilli des avis très largement positifs avec, toutefois, quelques bémols : un sentiment d’isolement des managers lorsque beaucoup de salariés télétravaillent, et une tendance de ces derniers à moins solliciter les télétravailleurs pour une tâche urgente, entraînant, du coup, un report de la charge vers ceux qui sont présents.

REPÈRES

Administration générale du ministère des Finances

Environ 10 000 salariés

Télétravailleurs effectifs

151 personnes.

Enjeu

Articulation vie privée-vie professionnelle.

Difficulté

Pas de limitation de la durée du télétravail.

Auteur

  • E. F.